À ce moment-là, je ne le sais pas encore, mais elle possède une voix grave, chaude, enveloppante. Une voix qui vous prend et ne vous lâche pas. Non je ne le sais pas, car pour l’instant, je regarde la cohorte de mes fans qui viennent me demander un autographe de mon dernier livre érotique. Avec sa couverture genre hentai 1 , je suis étonné que des jeunes femmes bien sous tous rapports osent se promener avec. C’est une vraie provocation. Les signatures s’enchaînent à tel point que j’en ai mal au poignet et que j’ai du mal à écrire mon prénom de grand châtain avec une chaussure marron : Richard.
« Pour qui dois-je signer ?
— Vanilla Pinson.
— Hmmm.
— Vous savez, j’adore vous lire et vous relire… Et si vous saviez en quels endroits et quelles circonstances.
— J’ose imaginer… Vanilla… Pinson. »
Hop, une dédicace pimentée pour Vanilla. Pendant qu’elle est près de me dévoiler des scènes de plaisir en solitaire, sous l’œil effaré du public, je regarde la jolie blonde qui se tient juste derrière elle. La classe, mini robe noire, décolleté discret, long manteau de cachemire, étole transparente. La trentaine.
— Merci Vanilla, ça me touche beaucoup d’avoir une fan et même une groupie, telle que vous ! Mais il faut que je continue la… queue, vous comprenez ? »
Le Pinson parti, la blonde se poste en face de moi : nous nous étudions deux secondes comme deux fauves qui se reconnaissent.
« Vous vous appelez comment ?
— Jeanne.
Un mot, un son, un souffle, qui me font vibrer. Je sais que j’ai déjà perdu la partie. Je m’approprie son nom en le répétant, en le mastiquant.
— Très bien… Jeanne… Je suis étonné de voir une femme telle que vous à ma séance de dédicace…
— C’est que je me sers de vos textes dans mon métier.
— Vraiment ?
— Oui je suis lectrice… professionnelle.
Je soulève mes sourcils fournis.
— Intéressant ! Après la dédicace pourriez-vous m’expliquer ça dans ma limousine ? Je vous offre le champagne.
Elle hésite puis sourit :
— Hum ! Dans ce cas-là, impossible de refuser ! Avec plaisir, ce sera sûrement un moment unique. »
⁂
Enfin ! Enfin ! Je le tiens ! Je l’ai vu me dévorer des yeux ou bien je me fais des idées. Oh, j’avais bien prémédité les choses. Grande lectrice de ses œuvres, j’avais remarqué à travers ses descriptions détaillées des femmes ce qui était susceptible de lui plaire. Et j’ai la preuve que je ne me suis pas trompé : il m’invite dans sa limousine, lui, Richard Manoir ! Lui le romancier érotique dont j’étais l’une des servantes les plus méritantes.
Un rêve se réalise mais pas question de jouer la groupie enamourée. Je suis une professionnelle après tout.
Je lis sa dédicace sur la page de garde :
Jeanne, mes mots dans votre bouche me font déjà saliver.
Dédicace qui manque un peu d’originalité mais néanmoins amusante.
Dans la librairie, je reste sagement dans mon coin. Je le vois qui regarde de temps en temps dans ma direction, comme s’il avait peur que je m’évapore. Pourtant, nous n’avons échangé que quelques mots, je dois vraiment lui plaire. J’observe ses cheveux châtains, sa corpulence et même son embonpoint d’homme bon vivant, j’entends sa voix pleine d’humour et de gouaille. Du coin de l’œil, je regarde ses sourires spirituels, des sourires charismatiques qui, certainement, entretiennent son succès. Enfin la séance de dédicace se termine. Manoir glisse vers moi, et m’invite à le suivre. L’émotion m’envahit.
L’intérieur de sa limousine est immense et confortable. Je lance faussement à l’aise et impertinente : « Vous êtes richard à plus d’un titre. »
Il rit, bon public. Cet homme aime mettre à l’aise, il est généreux à sa manière. Les lumières de la ville défilent tandis qu’il me semble que nous sommes immobiles. Ce voyage est un rêve feutré, de calme et de volupté.
Enfoncée dans la banquette, j’ai bien du mal à ce que ma minirobe garde une longueur décente. Cette voiture est un vrai piège à femmes.
Sensible à mon embarras, avec un regard amusé, il me demande :
« Donc, vous êtes lectrice ?
— Oui. En fait pour être précise, je suis lectrice érotique.
Richard en a le souffle coupé, je suis bien contente. Je développe :
— Des gens me payent pour que je leur lise à domicile des textes érotiques. Et lorsqu’ils n’ont pas de désir particulier, souvent je pioche dans vos textes.
— Vous me voyez honoré… Si je vous suis bien, vous pourriez me lire mes textes à domicile contre de l’argent ?
— Hé bien, effectivement, si ça vous tente ! Je crois pouvoir dire que je suis assez expressive. En tous cas, j’ai des clientes et des clients fidèles et même des couples.
— Mais euh, pendant vos lectures, il ne se passe rien ?
— Non. Il n’y a pas d’interactions avec moi à proprement parler, non. Je peux m’habiller très sexy à la demande mais je n’accepte aucun contact, toute l’intensité du jeu vient de là. Par contre les auditeurs et auditrices peuvent faire ce qu’ils veulent, ça ne me troublera en aucune manière.
— Oh !
— Et c’est pour ça, que j’ai des couples qui sont de fidèles clients, si vous voyez ce que je veux dire.
Richard s’adosse confortablement sur la banquette et souffle :
— J’imagine très bien, Jeanne. Ça me laisse rêveur… Vous êtes libre maintenant ?
Satisfaite, mais je ne le montre pas, je passe une main dans mes cheveux.
— Oui, absolument. C’est quand même une occasion rare pour moi ! Mais je vous préviens ce n’est pas donné !
Richard sourit d’une manière suffisante
— Ce n’est vraiment pas un problème pour moi. »
Il parle à l’interphone avec son chauffeur pour lui demander de nous conduire à son domicile.
Arrivés chez lui, je file à la salle de bain. Je vais pouvoir sortir le grand jeu. Je vérifie l’état de mon porte-jarretelles, j’accentue mon décolleté et je me remaquille : je sais qu’avec mon timbre de voix, il va me trouver irrésistible car déjà il est à ma main. Armée de son livre, je m’assieds sur un fauteuil non loin de lui. En experte, je croise les jambes, ce qui fait remonter ma mini-robe au-dessus de la démarcation des bas, et je me cambre. Je commence à lire les extraits que j’adore. Ils seront tirés successivement des nouvelles suivantes : « Un train d’enfer », « Le couvent des envies » et « Bouche cousue ». J’espère bien faire craquer Richard mais cela, amie lectrice, ami lecteur, vous le saurez en lisant ce qui vient…
Note 1 : Manga japonais aux fantasmes érotiques totalement… débridés (NDA).
Un train d’enferDevant l’assemblée disparate des étudiants de lettre première année, le vieux maître pérore, pensé-je en un éclair de distanciation par rapport à ma situation présente. Par association d’idées, je me remémore un passage du livre d’Hélène Blavatsky, La doctrine secrète, que je suis en train de lire et sa fameuse formule ésotérique:«Quand l’élève est prêt, le maître apparaît.»Je songe in petto: «Dans mon cas ce serait plutôt, quand l’élève est prêt, la maîtresse apparaît.»Je regarde autour de moi les jeunes filles
IJ’ouvre les yeux et regarde le Christ au corps tordu de souffrance sur sa croix en face de moi. Les draps rêches sur mon corps nu et mon sexe en érection. La croix en fer forgé sur le mur blanc. Je soupire. An 1346, quarantième anniversaire. L’occasion de récapituler. Je me lève et prends un broc d’eau pour me baigner.Je revêts ma robe en bure ceinturée d’une corde grossière, je fais jouer les boules du chapelet entre les doigts de ma main. Je repense au moment où l’on m’a confié ce rosaire et tondu ma chevelure, le jour de ma conversion devant mon père spirituel.«Paul, contrairement à beaucoup de tes frères ici qui sont puceaux de la vie, tu as vécu, et tu as commis des crimes, tu t’es sinc
Les personnes qui entrent dans ma boutique ne viennent pas par hasard. A notre époque totalitaire, ultra-surveillée où le livre et plus largement toute pensée originale sont vus comme dangereusement subversifs, rentrer dans la seule librairie érotique et ésotérique de France et de Navarre tient d’une volonté délibérée et peut être passible de ré-endoctrinement moral. Je suis un îlot à ma façon, clandestin bien sûr, et quand les visiteurs (je les appelle ainsi plus que clients) pénètrent dans mes rayonnages, je les observe fureter en silence avec bienveillance. En silence, car nous n’échangeons nulle parole: des micros pourraient enregistrer nos conversations et, par reconnaissance vocale, identifier ces originaux qui osent venir chez moi.⁂
Perdu dans le cosmos infini. Jeanne s’est tue. Sa voix pourtant continue de résonner dans mes oreilles, dans mon cerveau, dans tout mon corps. Une bourrasque, une tempête, un choc que je n’avais pas anticipé! Je revis la scène.Jeanne lit. Charmeuse de serpents, mes mots ondoient sous sa voix, et la flamme s’élève, magique. Je la regarde, contemple son visage épanoui, ses lèvres sensuelles, sa poitrine opulente qui entrebâille le décolleté, ses cheveux longs qui tombe en cascade sur ses épaules nues et son dos. Ses cuisses à moi dévoilées.Je ferme les yeux, hypnotisé: l’envie de goûter chaque son. Envie de me laisser aller, comme rarement j’ai eu envie devant une personne. Envie de goûter ce cadeau de la vie.
Je reluque tes entrelacs ésotériquesTes réseaux de soie et de dentelleGuette la veine sous la chair,Maigre paroiPour mon instinct de vampireDans laquelle je mordrai avec joie.Je te boiraiA grands traits.De nos désirsMe ferait le vent pire.De languir,Tu viendras à me maudire.Nos esprits déliquescentsSe fusionneront en délires indécentsCe n’est pas une pr
Je reluque tes entrelacs ésotériquesTes réseaux de soie et de dentelleGuette la veine sous la chair,Maigre paroiPour mon instinct de vampireDans laquelle je mordrai avec joie.Je te boiraiA grands traits.De nos désirsMe ferait le vent pire.De languir,Tu viendras à me maudire.Nos esprits déliquescentsSe fusionneront en délires indécentsCe n’est pas une pr
Perdu dans le cosmos infini. Jeanne s’est tue. Sa voix pourtant continue de résonner dans mes oreilles, dans mon cerveau, dans tout mon corps. Une bourrasque, une tempête, un choc que je n’avais pas anticipé! Je revis la scène.Jeanne lit. Charmeuse de serpents, mes mots ondoient sous sa voix, et la flamme s’élève, magique. Je la regarde, contemple son visage épanoui, ses lèvres sensuelles, sa poitrine opulente qui entrebâille le décolleté, ses cheveux longs qui tombe en cascade sur ses épaules nues et son dos. Ses cuisses à moi dévoilées.Je ferme les yeux, hypnotisé: l’envie de goûter chaque son. Envie de me laisser aller, comme rarement j’ai eu envie devant une personne. Envie de goûter ce cadeau de la vie.
Les personnes qui entrent dans ma boutique ne viennent pas par hasard. A notre époque totalitaire, ultra-surveillée où le livre et plus largement toute pensée originale sont vus comme dangereusement subversifs, rentrer dans la seule librairie érotique et ésotérique de France et de Navarre tient d’une volonté délibérée et peut être passible de ré-endoctrinement moral. Je suis un îlot à ma façon, clandestin bien sûr, et quand les visiteurs (je les appelle ainsi plus que clients) pénètrent dans mes rayonnages, je les observe fureter en silence avec bienveillance. En silence, car nous n’échangeons nulle parole: des micros pourraient enregistrer nos conversations et, par reconnaissance vocale, identifier ces originaux qui osent venir chez moi.⁂
IJ’ouvre les yeux et regarde le Christ au corps tordu de souffrance sur sa croix en face de moi. Les draps rêches sur mon corps nu et mon sexe en érection. La croix en fer forgé sur le mur blanc. Je soupire. An 1346, quarantième anniversaire. L’occasion de récapituler. Je me lève et prends un broc d’eau pour me baigner.Je revêts ma robe en bure ceinturée d’une corde grossière, je fais jouer les boules du chapelet entre les doigts de ma main. Je repense au moment où l’on m’a confié ce rosaire et tondu ma chevelure, le jour de ma conversion devant mon père spirituel.«Paul, contrairement à beaucoup de tes frères ici qui sont puceaux de la vie, tu as vécu, et tu as commis des crimes, tu t’es sinc
Un train d’enferDevant l’assemblée disparate des étudiants de lettre première année, le vieux maître pérore, pensé-je en un éclair de distanciation par rapport à ma situation présente. Par association d’idées, je me remémore un passage du livre d’Hélène Blavatsky, La doctrine secrète, que je suis en train de lire et sa fameuse formule ésotérique:«Quand l’élève est prêt, le maître apparaît.»Je songe in petto: «Dans mon cas ce serait plutôt, quand l’élève est prêt, la maîtresse apparaît.»Je regarde autour de moi les jeunes filles
À ce moment-là, je ne le sais pas encore, mais elle possède une voix grave, chaude, enveloppante. Une voix qui vous prend et ne vous lâche pas. Non je ne le sais pas, car pour l’instant, je regarde la cohorte de mes fans qui viennent me demander un autographe de mon dernier livre érotique. Avec sa couverture genre hentai 1 , je suis étonné que des jeunes femmes bien sous tous rapports osent se promener avec. C’est une vraie provocation. Les signatures s’enchaînent à tel point que j’en ai mal au poignet et que j’ai du mal à écrire mon prénom de grand châtain avec une chaussure marron: Richard.«Pour qui dois-je signer?—Vanilla Pinson.—Hmmm.&m