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Chapitre 0005

Author: Becca Lou
Point de vue de Savage

Je fixe les yeux couleur miel de la petite fille accrochée à la main d'Angèle.

Mon cœur rate un battement et mes jambes menacent de me lâcher quand son regard croise le mien.

Une vague d'émotion me submerge, et je sens une brûlure monter derrière mes paupières.

Elle lève la tête vers sa mère et tend les bras pour qu'elle la porte.

Angèle lui sourit tendrement avant de la hisser sur sa hanche, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.

Ma fille.

Putain…

J'ai une fille.

Je la dévore des yeux tandis qu'elle niche sa tête contre l'épaule de sa mère.

Elle est méfiante. Réservée.

« Angèle… »

Ma voix s'étrangle tandis qu'elle s'approche. Je m'efforce de ravaler l'émotion qui me serre la gorge, mais elle est trop forte.

Mon regard reste rivé sur cette enfant qui m'observe en silence. Je lui offre un sourire… mais elle se blottit aussitôt contre sa mère.

Mon cœur se serre.

Elle ne sait pas qui je suis.

« Savage. »

La voix d'Angèle est tranchante, distante.

Fini le temps où elle prononçait mon prénom avec douceur. Cette époque est morte et enterrée, et je n'ai que moi à blâmer.

« Un verre ? » propose-t-elle d'un ton neutre.

Je secoue la tête, incapable d'avaler quoi que ce soit.

Sans insister, elle s'éloigne vers le comptoir et commande un soda.

L'ambiance est pesante.

Je surprends ma fille en train de m'observer du coin de l'œil, l'air intrigué. Je lui souris à nouveau, espérant… quoi, au juste ?

Elle détourne aussitôt le regard.

Un petit rire amer m'échappe.

Bonne fille. On ne parle pas aux inconnus.

Le problème, c'est que je ne devrais pas en être un.

Mais c'est ce que je suis, n'est-ce pas ?

Cette pensée me broie le cœur.

Elle a disparu avec mon enfant sans jamais avoir eu l'intention de me le dire.

« On s'assoit ? »

J'acquiesce et la suis jusqu'à une banquette.

Elle s'installe et pose notre fille sur ses genoux pendant que la serveuse lui apporte quelques jouets.

« Merci, Coral. On parlera plus tard. »

Un congé clair et net.

Le silence s'installe. Une tension presque palpable flotte entre nous.

« Comment elle s'appelle ? » brise-je finalement.

Angèle me scrute quelques secondes avant de lâcher :

« Rebel Carlotta Moretti. Elle vient d'avoir deux ans. »

Son prénom roule sur ma langue. Je le murmure. Le répète. Le goûte.

Rebel…

À l'entente de son nom, la petite lève la tête vers sa mère.

« Bas ! »

Un frisson me traverse.

Sa voix…

Ce son minuscule, innocent, me coupe le souffle.

Angèle rit et dépose un baiser sur son front.

« Pas maintenant, bébé. Bientôt, d'accord ? »

La petite hoche la tête et retourne à son jeu.

Je me passe une main sur le visage, essayant de rassembler mes pensées.

Puis, d'une voix rauque, je demande :

« Comment tu vas ? »

Angèle pose son verre.

« Je ne suis pas là pour échanger des politesses, Savage. Comment tu as su ? Et surtout, qu'est-ce que tu fais là ? »

Son regard me transperce, me traverse comme une lame froide.

« Quand tu es partie, tes parents ont convoqué une réunion d'urgence. Ils savaient que tu étais enceinte… et pourquoi tu avais fui. Ils avaient aussi reçu ces photos. »

Ma voix s'étrangle. Je marque une pause, avale ma salive, cherche mes mots.

« Je suis désolé de ne pas t'avoir crue, Angèle. »

Elle laisse échapper un rire sans joie, un ricanement qui me déchire. Ses doigts crispés sur son verre trahissent une tension contenue.

J'ai du boulot pour me faire pardonner.

« Ah ouais ? Et pourquoi tu m'aurais crue, hein ? Peu importe maintenant, c'est fini. Le mal est fait. »

Elle trempe les lèvres dans son soda avant d'ajouter, d'un ton acide :

« Et ta 'femme' ? »

Je me fige. Une boule se forme dans ma gorge.

Je secoue la tête. Tout ça, c'est ma faute. Maintenant, il faut que je répare les choses.

« J'en ai plus. Je l'ai virée le jour où je l'ai surprise en plein ébat avec deux hommes. Elle n'a jamais été enceinte. »

Angèle lève les yeux au ciel et éclate d'un rire froid.

« Non, sans blague ? Ça alors, quelle surprise. » ironise-t-elle.

Je l'observe, incapable de détourner le regard. J'ai tant de choses à dire… et aucune idée d'où commencer.

« Écoute, je sais, arrête avec cette attitude. Tu aurais dû me le dire ! Au lieu de ça, tu as pris la fuite et tu m'as caché son existence ! » Je crache, la voix plus forte que je ne l'aurais voulu.

Elle repose son verre, lentement.

Puis me fixe, impassible.

Son regard me tétanise.

« Qu'est-ce que tu veux, Savage ? » demande-t-elle d'un ton faussement blasé. Mais je la connais.

Elle joue les indifférentes, elle veut me faire croire que ça ne la touche pas. Mais ce n'est pas elle.

Angèle est douce, lumineuse, pleine de joie. C'est la plus pure des âmes. La voir comme ça, froide et distante, c'est comme une lame plantée dans mon cœur.

« Vous rentrez avec moi, toutes les deux. Moi, Ryder Savage Jackson, président des Princes of Darkness MC, je vous réclame comme miennes. »

Un instant, elle me fixe, interdite.

Puis, un éclat de rire lui échappe. Un vrai rire, moqueur, vibrant, qui secoue ses épaules et lui arrache une larme au coin de l'œil.

Rebel se met à rire aussi, ravie, tapant dans ses petites mains comme si c'était un jeu.

« Oh, Savage, Savage, Savage… Belle tentative. Mais tu vois, tu ne peux pas nous réclamer. » Elle se redresse, plonge son regard dans le mien, et son sourire s'efface.

« Je suis une Moretti. Et ça, mon cher, ça écrase totalement ton petit numéro de chef de gang. »

Elle penche la tête, un éclat dur dans le regard.

« Mon père est au courant ? Et ma mère ? Elle sait que c'est à cause de toi que j'ai fui ? Que son unique fille a dû disparaître ? »

Je me mets à rire à mon tour.

« Désolé de te décevoir, princesse, mais oui. Ils savent. J'ai pris une raclée mémorable, et j'ai un joli souvenir sur la jambe grâce à la balle qu'elle m'a tirée. Et ils savent aussi que je vous ai retrouvées.

Toi, Angèle Maria Moretti, tu rentres avec moi. Que je doive te traîner en hurlant ou non. Tu as fui trop longtemps. Maintenant, il est temps de rentrer à la maison. »

Ses yeux s'agrandissent et je souris, satisfait. Finies les fuites.

Elle croise les bras, le menton relevé.

« Très bien. On rentre. »

Un soulagement. Enfin.

Mais elle n'a pas fini.

« Mais pas dans ton club. Je rentre chez moi, avec elle. Et on organisera des visites. Je ne veux pas qu'elle traîne dans ton foutu club, ni autour de tes filles de joie. Prends-le ou laisse-le, Ryder. Parce que franchement, vu la merde dans laquelle tu m'as foutue, t'as déjà une putain de chance d'être encore en vie.  »

Je ris à gorge déployée.

Elle ne comprend pas.

« Qu'est-ce qui est drôle ? Ce sont mes conditions. Il n'y a plus de “nous”, Ryder, et il n'y en aura plus jamais. Tout ça, ce n'est pas pour toi, ni pour ton club. C'est pour elle. Elle est ma priorité. Et si je dis qu'elle ne mettra jamais les pieds dans ton monde, c'est comme ça. Sinon, tu peux partir et oublier jusqu'à son existence.  »

Je cesse immédiatement de rire. Un grondement sourd s'échappe de ma gorge.

« Je vous ai réclamées, toutes les deux. »

Elle plisse les yeux, prête à frapper là où ça fait mal.

Je poursuis sans lui laisser le temps.

« Désolé de te l'apprendre, Angèle, mais tu n'as pas le choix. Vous rentrez avec moi, point final. Tes parents sont déjà au courant. Ils nous rejoindront là-bas dans deux jours. Alors fais-toi à l'idée. Et ne t'en fais pas, tu n'auras pas à mettre un pied au club. Vous avez votre propre maison, tout est déjà prêt. Tu les connais, ils ne traînent pas. »

Elle se lève d'un bond, Rebel blottie dans ses bras.

Elle me fusille du regard.

Puis, lentement, un sourire moqueur étire ses lèvres.

« Ouais… T'es du genre rapide, c'est vrai. »

Son ton est glacial.

« Assez rapide pour te jeter dans les bras d'une pétasse du club, sans même avoir eu les couilles de rompre avec moi avant. »

Je reste figé.

Elle s'avance, tout près.

Son souffle frôle ma joue.

« Une fille qui t'a roulé avec une fausse grossesse et des fausses photos dégueulasses de moi. Bien joué, Ryder. Sur ce, à jamais. Je ne mettrai jamais les pieds quelque part avec un type comme toi. »

Puis elle tourne les talons et sort du bar, la tête haute. Rebel, perchée sur son épaule, agite sa petite main dans ma direction.

Je lui rends son geste avec un sourire et un clin d'œil.

Angèle pense vraiment pouvoir m'échapper comme ça ?

Qu'elle le veuille ou non, j'obtiens toujours ce que je veux. Et cette fois, ce que je veux, c'est elle.

Oh, ma princesse, tu me sous-estime.

Je sors mon téléphone et compose le seul numéro capable de la faire plier.

Elle va me haïr pour ça.

C'est certain.

Mais je n'ai pas le choix. Il faut sortir l'artillerie lourde. Elle n'a jamais été comme ça. Elle a changé.

Avant, elle était douce. Maintenant, elle est féroce, bornée, une gosse de riche qui joue les dures.

« Laisse-lui du temps. Quoi que tu lui aies fait, elle a besoin de temps. Elle n'a jamais réagi comme ça avant. »

La serveuse débarrasse la table, ramassant le verre vide et les jouets oubliés.

Elle me lance un regard entendu. Je hoche la tête, les yeux restent fixés sur la porte qu'elle a franchie.

Du temps ?

Elle n'en aura pas.

« Dis-moi qu'elle rentre chez elle. »

À l'autre bout du fil, une voix soupire.

« Elle est bornée, elle refuse. Elle joue la carte de la résistance. »

« Laisse-la-moi. »

La communication coupe.

Je pousse un soupir et range mon téléphone.

Son SUV s'éloigne, filant droit vers sa maison.

Je remets mon casque et enfourche ma bécane, le moteur vrombissant sous moi.

J'arrête au clubhouse de Solomon.

Je pousse la porte et entre.

L'ambiance est détendue, l'odeur du cuir et de l'alcool flottant dans l'air.

Blaze est déjà là, accoudé au bar, une bière à la main.

Autour de nous, les serveuses du club nettoient, discutent avec des autres membres.

Dès qu'il me voit, un sourire goguenard s'étire sur ses lèvres.

« Laisse-moi deviner… Elle t'a envoyé chier ? » Il rit avant de porter sa bouteille à ses lèvres.

Je m'approche et m'appuie sur le comptoir.

« J'ai une fille, Blaze. Elle est magnifique. Elle s'appelle Rebel. »

Il recrache sa gorgée de bière en un énorme jet.

« Putain ! »

Ouais. Putain, en effet.
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