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CHAPITRE I

Auteur: Lily Davinni
last update Dernière mise à jour: 2021-06-29 15:20:31
Jeune sorcière au cœur pur,

Puise la force de ton âme,

Guide-nous à travers la nuit sans étoiles,

Fais naître la lumière au creux de tes mains,

Doux espoir,

Et le monde scintillera à nouveau.

Mes yeux s’ouvrent sur le plafond où je peux encore percevoir le regard doré fixé sur moi, brillant dans la pénombre tels des sphères d’or, illuminant ma chambre telle une lune éclairant la nuit noire. Je cligne des yeux pour faire disparaître les dernières images de mon rêve récurrent.

C’est déjà l’aube et bientôt, je devrai me lever. Inspirant profondément, j’essaie d’oublier cette voix douce qui me hante toutes les nuits. Une berceuse ! Une berceuse qui tourne en boucle dans ma tête et dont je ne mémorise jamais les paroles. Mais cet air ! Cette voix ô combien enchanteresse ! Je ne sais pas à qui elle appartient, mais le simple souvenir de ce rêve me fait frissonner de la tête aux pieds. De peur ? De tristesse ? Je ne saurais le dire.

— Debout, petite marmotte ! Je sais que c’est ton anniversaire, mais les bêtes n’en tiennent pas compte !

La voix enjouée de mon père me fait sourire et oublier mes tergiversations. Ce n’est qu’un rêve de toute façon. Certes, un rêve que je fais toutes les nuits depuis quelques semaines et une mélodie que je fredonne toute la journée, mais cela reste un songe tout droit sorti de mon imagination.

M’obligeant à me lever, je traverse la maison et sors pieds nus afin de tirer un seau d’eau fraîche du puits. Après une rapide toilette et un petit-déjeuner avalé en trois bouchées, je relève mes manches, tresse mes longs cheveux châtain clair, mets mon chapeau de paille et me dirige vers la grange. Attrapant un seau plein de graines, je me fais un devoir de nourrir les animaux avant de les faire sortir prendre l’air.

Je m’assieds sur une botte de foin et admire le soleil se lever doucement sur les prés, teintant d’orangé l’herbe fraîchement broutée par les vaches et les chèvres adorées de mon père. Je me sens soudain sereine et oublie mon cauchemar de la veille pour m’imprégner de l’atmosphère paisible qui règne sur la ferme. Je souris, appréciant ces moments privilégiés avec la nature. Les besognes ne me répugnent pas, au contraire. J’aime m’occuper des bêtes. J’aime l’odeur de la paille, la fragrance plus subtile de l’herbe et le caquètement des poules. Les regarder sautiller et courir dans tous les sens lorsque je viens les nourrir me donne le sourire.

Je vis dans une petite ferme près du village de Belle-Rose avec mon père, Anatole et ma mère, Constance. Notre maison au confort limité et aux installations rudimentaires, se situe à l’écart du village, chose dont je me réjouis grandement. Bien sûr que j’envie l’aisance et les privilèges que peuvent avoir certaines personnes bien nées, mais j’apprécie ma vie et adore mes parents. Je ne la changerais pour rien au monde… Quoique, à la réflexion, si on me donnait la possibilité de corriger une seule et unique chose, je choisirais sans doute une autre couleur pour mes yeux. Oui, avoir de beaux yeux bleus comme mon père ou même noisette comme ma mère, serait la petite touche qui comblerait mon bonheur. Seulement c’est impossible, à moins de les crever, mais alors, je serais aveugle et encore plus laide que la Recousue. Fataliste, je me dis que malheureusement, je devrai me contenter de ce que la nature m’a donné.

Après quelques minutes à profiter de ce sublime paysage, je vais rejoindre mon père qui assemble la paille. Attrapant un râteau, je me mets à la tâche. Papa fait toujours mine de s’étonner de ma force. Comme dans une œuvre de l’esprit que nous connaîtrions par cœur, ma réponse reste inlassablement la même :

— C’est parce que j’ai hérité de tes talents, Papa !

— Ce sont plutôt ceux de ta mère ! répond ensuite mon paternel sur le même ton.

Oui, j’aime ma vie, ma famille et même la ferme. Si seulement nous pouvions vivre que tous les trois, ensemble pour toujours. La vie serait tellement calme et paisible, ennuyeuse certes, mais paisible.

— Elena, pourrais-tu aller au village ?

À ces mots, je me raidis et le râteau glisse de mes mains. Parmi toutes les corvées que je dois accomplir, me rendre au village est la plus désagréable de toutes. Pire encore, cette perspective me remplit d’effroi.

— Ne peux-tu y aller, Maman ? demandé-je d’une voix suppliante. Je ne voudrais pas que Papa finisse seul.

— Ton père se débrouille très bien, rétorque ma mère, consciente de mes peurs.

— Mais, son dos le fait souffrir !

— Elle a raison, Constance, tente mon père en me faisant un clin d’œil discret avant de se plier en deux. Mes épaules me font atrocement mal.

— Ne lui trouve pas d’excuses, Anatole ! Je sais que tu vas parfaitement bien, sinon je t’aurais entendu te plaindre toute la nuit. Et puis, je suis en train de préparer un repas pour ton anniversaire, Elena, alors si tu veux que je le finisse à temps… va.

Je pousse un lourd soupir plein de regrets, espérant encore adoucir ma mère par ma mine de chien battu. Son sourire en coin me fait comprendre qu’elle ne mord pas à l’hameçon. Je n’ai pas le choix. Mon père me sourit avec tristesse.

— Pour te faire oublier ta peur, je vais te donner de quoi réfléchir.

Un sourire naît sur mes lèvres. J’adore ses énigmes, d’autant plus celles qui sont si difficiles que mon esprit ne pense à rien d’autre qu’à les résoudre.

— Plus j’ai de gardiens, moins je suis gardé. Moins j’ai de gardiens, plus je suis gardé. Qui suis-je ?

— Je n’en ai aucune idée !

— Réfléchis bien, ma fille.

Je secoue la tête et le supplie du regard. Papa lève les yeux au ciel, un sourire amusé sur ses lèvres à peine visibles sous les longs poils de sa moustache.

— Tu abandonnes bien vite, aujourd’hui.

— C’est parce que je suis pressée de connaître la réponse.

— Bon, très bien ! capitule mon père en riant. La réponse est : un secret.

— J’aurais en effet pu le deviner toute seule, avoué-je en grimaçant.

— Je le sais bien mais tu as préféré donner ta langue au chat ! Sache, ma fille, que l’abandon ne te sera pas toujours permis. N’oublie pas que, dans la vie, tu seras parfois contrainte de poursuivre ta quête, même lorsque tu auras envie de fuir.

Je me pince les lèvres. Il arrive souvent que mes parents me prodiguent des conseils bien trop sérieux pour notre vie simple. Après tout, quels périls risquerais-je de rencontrer en devenant fermière ? Cependant, même si je ne vois pas l’utilité de tels enseignements, je ne bronche jamais. Qui sait ce que l’avenir me réserve ?

Papa sourit soudain face à ma mine renfrognée.

— En voilà une autre et tu n’obtiendras la réponse qu’à ton retour. Prête ?

J’acquiesce d’un hochement de tête et me rapproche pour l’écouter attentivement.

— Je suis immobile pendant la vie et je me promène durant ma mort. Qui suis-je ?

J’y réfléchirai durant ma dangereuse expédition. Comme vous devez vous en douter face à mon enthousiasme flagrant, je n’aime pas le village. Les habitants me scrutent toujours d’un œil indiscret et curieux. Même si je me montre polie et aimable – comme me l’a enseigné ma mère –, je sais que je leur inspire une certaine crainte.

La raison est simple : mes yeux sont dorés. Ce n’est pas seulement un éclat jaune que certains iris marron peuvent avoir à la lumière du soleil, mais une intense couleur or recouvrant entièrement mes iris. Maman a pour habitude de dire qu’un ange s’est penché sur mon berceau et a jeté des milliers de paillettes d’or sur mes iris. Je n’y crois pas une seconde et je ne suis pas la seule. Superstitieux de nature, les villageois interprètent mon anormalité soit comme un cadeau des dieux, soit comme un signe de présence maléfique, cette dernière interprétation étant celle de la plupart des imbéciles. Et les imbéciles sont légion à Belle-Rose.

Je dois reconnaître que mon attitude renforce leur méfiance. En effet, je suis certes polie, mais très introvertie. Je ne dis pas un mot et ne soutiens jamais le regard de quiconque. Les gens se demandent devant mon mutisme et mes yeux constamment baissés, si je ne suis pas atteinte d’une déficience mentale. Ce n’est pas le cas. Je suis tout à fait saine d’esprit. Toutefois, je manque cruellement de confiance en moi et puis, je n’ai pas envie de me confronter aux interrogations et à la haine de certains croyants pour lesquels je suis la réincarnation du mal. J’en rirais si je n’étais pas le sujet constant de critiques de tous les badauds de Belle-Rose.

Levant les yeux vers le ciel, je guette l’approche d’un nuage qui ternirait cette magnifique journée avant de poursuivre mon chemin en traînant des pieds. L’énigme de mon père me revient en tête mais je peine à me concentrer. Je suis terrifiée à l’idée de croiser certaines jeunes filles adorant me tourmenter. Ces dernières, issues de bonnes familles et prétentieuses à souhait, ont décidé de faire de ma pauvre personne, leur souffre-douleur. Depuis quelques années, elles ne cessent de me ridiculiser. Derrière leurs coiffures aux jolies boucles, leur visage aux traits angéliques et leurs luxueuses robes de satin, se cache un esprit vicieux dont les rouages ne cessent de tourner pour trouver la meilleure façon de me blesser. Même si leurs piques me touchent bien plus qu’elles ne le devraient, j’ai décidé – par lassitude et par peur de représailles contre mes parents – de ne plus riposter à leurs attaques. Les moindres paroles ou gestes déplacés font aussitôt accourir une horde de personnes bien nées à la ferme. Mes pauvres parents ont beau me défendre en soulignant la cruauté de leurs pestes de filles, rien n’y fait : je suis le mal incarné et je n’ai aucune excuse à leurs yeux.

Bien sûr, l’arme principale des pimbêches qui me houspillent est l’étrangeté de mes yeux. Mais au fil du temps, ma personne entière est devenue source d’inspiration mesquine. Même la pauvreté et le mode de vie de ma famille sont devenus les cibles des railleries. Toutefois, je ne suis pas stupide. Je sais très bien qu’autre chose se cache derrière ces persiflages puérils. Je sais parfaitement que ce qui alimente leur colère sans pour autant être avouable, sont les sentiments amoureux que j’éprouve pour le fils du gouverneur de Belle-Rose. Les langues de vipères utilisent mes émois visibles pour me tourner en ridicule et me harceler.

Il faut reconnaître que Jean est aux yeux de toutes les jeunes filles en âge de se marier, le meilleur parti du village. Toutes rêvent de le prendre pour époux. Le jeune homme est non seulement beau et charmant, mais il vient aussi d’une bonne famille. En conséquence, les mères s’imaginent leur fille au bras du fils de Monsieur le Gouverneur quand les pères se voient marcher aux côtés de ce dernier, et les filles rêvent de jouir des privilèges qui leur seraient accordés.

Ces rêves sont aussi ceux de Rosabelle, la belle mais impitoyable Rosabelle. Ses vaniteux parents ont été jusqu’à prénommer leur enfant en hommage à la ville, persuadés qu’elle en serait la reine, un jour. D’ailleurs, Rosabelle qui a hérité de l’arrogance de ses géniteurs, est à la tête du groupe qui me persécute. Même s’il est clair que je n’ai pas la moindre chance face aux jolies boucles blondes qui encadrent le visage de poupée délicate de ma rivale, elle ne peut s’empêcher de me haïr.

Le pire, c’est que je ne me fais pas d’illusions. Je sais que Rosabelle est celle que Jean épousera. Leurs familles respectives ne sont-elles pas les plus anciennes et les plus riches du village ? Ces gens ont depuis longtemps déjà, bien avant la naissance de leurs enfants, cherché un moyen d’unir leurs deux familles « royales ». Leur vœu va être exaucé par le mariage de Rosabelle et Jean, célébré au printemps prochain. Quelle aubaine pour ces deux clans d’avoir pour l’un, un charmant fils et pour l’autre une magnifique fille, tous deux en âge de se marier ! Les préparatifs n’ont même pas commencé, que ce mariage est déjà devenu le sujet de conversation préféré des villageois.

Bien sûr, tout le monde savait que cela arriverait un jour, mais il se passe si peu de choses à Belle-Rose, que la moindre nouvelle devient le centre d’intérêt de toute une communauté. De plus, la famille de Rosabelle en fait un tel évènement que personne à des kilomètres à la ronde et même à la grande ville, ne peut ignorer cette union. Et malgré tout ce tintamarre, Rosabelle ne peut s’empêcher de me mener la vie dure.

Ce qui rend d’autant plus furieuse la belle demoiselle et la pousse à me tourmenter davantage, est que Jean se montre étrangement plaisant envers moi. Mon ennemie ne comprend évidemment pas ce qui pousse son fiancé à se montrer si amical avec « la paysanne mal fagotée » et craint même qu’il ne soit attiré par mes yeux d’or. Mais après tout, Rosabelle et Jean vont se marier et, bien que le jeune homme fasse preuve de bonté à mon égard, elle – et elle seule – portera la magnifique bague d’une valeur inestimable à son joli petit doigt, tandis que la paysanne que je suis passera sa vie seule avec ses animaux.

Je secoue la tête pour arrêter de penser à Rosabelle, à Jean, au parfait couple qu’ils forment et à leur future progéniture qui sera sans aucun doute adorable. Quoique, adorable soit un tantinet exagéré si cette progéniture a le caractère de sa mère. Cette pensée amène un sourire sur mes lèvres trop pleines pour être jolies, sourire qui disparaît instantanément. Je ne souhaite attirer l’attention de personne et ma bonne humeur risque de terroriser plus d’un villageois.

Je me hâte de parcourir le chemin qui mène à la boulangerie du village. J’achète rapidement ce dont ma mère a besoin et repars tout aussi vite. Je ne veux surtout pas croiser Rosabelle et ses amies qui, je le sais, risquent de m’importuner. Je passe rapidement dans les ruelles sans me faire remarquer et soupire de soulagement lorsque je dépasse la dernière maison du bourg.

À l’orée du bois, une silhouette vêtue d’une longue robe de coton noir élimé me fait marquer un temps d’arrêt. Je salue la « Recousue », une femme à l’âge incertain qui vit dans le coin le plus sombre de la forêt. Celle-ci est surnommée ainsi car ses paupières sont… cousues.

La rumeur dit qu’elle était autrefois une magnifique sorcière qui pouvait tuer d’un seul regard. Certaine de son pouvoir et de sa beauté, elle aimait ensorceler les hommes afin de les réduire en esclavage avant de les tuer une fois qu’elle s’en lassait. Le peuple effrayé et en colère face à toutes ces disparitions, aurait décidé de se réunir, de la capturer et d’arracher ses yeux avant de coudre ses paupières. Privée de ses prunelles, réceptacle de son pouvoir malfaisant, la sorcière aurait été relâchée et se terre depuis, dans sa maison vétuste sans adresser la parole à quiconque.

Je ne crois évidemment pas à ces histoires. D’une, parce que les sorcières et la magie n’existent pas, et de deux, car j’éprouve de la compassion pour cette femme que tous semblent exclure à cause d’une anomalie physique. Après tout, je suis moi-même reléguée au ban de la société à cause de la couleur particulière de mes yeux. Je ne vais donc pas faire subir à une autre ce que j’endure moi-même.

C’est pourquoi je la salue toujours lorsque je la croise. La femme ne me répond jamais et se détourne à chaque fois… sauf aujourd’hui. Son visage aux multiples cicatrices disgracieuses, encadré de longues mèches de cheveux noirs comme la nuit, reste tourné vers moi. Elle semble me fixer à travers ses paupières closes et abîmées. Mal à l’aise, je détourne les yeux et continue mon chemin tête baissée. Mais je fais à peine quelques pas qu’une voix criarde parvient à mes oreilles, me faisant grimacer.

— Mais ne serait-ce donc pas notre petite sorcière adorée !? dit Rosabelle avec un sourire mauvais.

Je fais mine de ne pas entendre ses propos et passe mon chemin sans la regarder. Tournant la tête vers la forêt, je constate avec surprise que la Recousue a disparu.

— Une minute, sorcière, où vas-tu ?

Une masse de tissus soyeux et colorés me barre la route. Je me retiens de lever les yeux au ciel. Même si je dépasse Rosabelle d’une bonne tête, je sais que je ne ferai pas le poids contre sept filles en lourds jupons à cerceaux.

— Je dois rentrer chez moi, réponds-je en regrettant de ne pas pouvoir arracher le chignon de cette petite peste. Si vous voulez bien me laisser passer, mes parents m’attendent.

— Mais non, reste un peu avec nous, répond Rosabelle, un sourire mauvais affiché sur ses lèvres roses comme une framboise. Nous pourrions bavarder un peu. Si je me souviens bien, c’est ton anniversaire, n’est-ce pas ? Tu as dix-huit, non ?

Je hoche la tête.

— Ma pauvre, poursuit-elle avec une tristesse feinte. Tu vas devenir vieille fille. Plus aucun homme ne voudra de toi !

— Si tant est qu’un homme ait déjà voulu d’elle, ajoute méchamment Béatrice, provoquant ainsi le rire de ses amies.

— Je n’ai que faire d’un époux, réponds-je, feignant l’indifférence.

Rosabelle éclate d’un rire presque maléfique. Dire que c’est moi qu’on traite de monstre…

— Quel vilain mensonge ! Tu ne peux qu’être peinée de voir qu’une demoiselle de mon âge va se marier tandis que toi, vieille fille de dix-huit ans…

— Je suis ravie que vous soyez mariée pour vos seize ans, Rosabelle, rétorqué-je avec amabilité.

— Oh ! Que tu es gentille, ironise la jeune fille en se tournant vers ses amies avec malveillance. Et si tu venais avec nous afin que nous puissions t’offrir un petit présent ?

Ma gorge s’assèche brusquement. Notant le regard entendu qu’échangent mes ennemies, je me demande avec inquiétude ce qu’elles préparent, même si je n’ai pas envie de le découvrir. Je sais pertinemment que quoiqu’elles souhaitent me faire, cela ne me plaira pas. Prenant mon courage à deux mains, j’affiche un sourire désolé et tente de maîtriser le sentiment de panique qui commence à me gagner.

— Ce serait avec plaisir, mais je n’en ai pas le temps.

— Allons, nous n’en avons que pour quelques minutes ! s’impatiente Rosabelle, tandis que ses suivantes forment un cercle autour de moi.

Je réprime un mouvement de recul et contemple les visages méprisants qui m’entourent. Oui, elles ont une idée derrière la tête. La panique qui m’a maintenant pleinement envahie, commence à se teinter de colère et de ressentiment. Comment peuvent-elles faire preuve de tant de cruauté ? Toutefois, pour ne pas déclencher les hostilités et leur donner ainsi une bonne raison de m’agresser pour ensuite aller se plaindre auprès de leurs parents, je conserve mon calme et ma courtoisie.

— Pardonnez-moi, Mesdemoiselles, mais je ne peux m’attarder plus longuement. Je suis attendue. Si vous aviez l’obligeance de me laisser passer…

Mon affabilité a le don d’agacer Rosabelle qui, telle une enfant capricieuse, se met à taper du pied couvert d’un soulier neuf assorti à sa robe, mains posées sur les hanches. Comprenant que ces pestes ne vont pas céder facilement, je tente malgré tout de reprendre mon chemin. Malheureusement, les filles me bloquent le passage. Je plante alors mon regard dans celui de leur reine et attends patiemment qu’elle se décide à me libérer.

— Laissez-la passer, finit-elle par dire après m’avoir toisée un long moment de ses yeux d’un bleu aussi glacial que le ciel d’hiver. Elle ne sait manifestement pas apprécier notre compagnie.

Je retiens un soupir de soulagement. Malgré la capitulation de mes ennemies, je reste sur mes gardes. Tant que je ne serai pas hors de leur portée, je serai toujours en danger. D’ailleurs, je ne fais que quelques pas, que la voix aiguë de la fiancée de Jean résonne à nouveau cruellement à mes oreilles :

— Mais attends ! Permets-nous au moins de t’offrir ton présent avant que tu ne t’en ailles !

Je ne me retourne pas et poursuis ma route, accélérant la cadence. Une douleur aiguë entre les omoplates me fige sur-le-champ. Une autre me pousse à faire un pas. Oh non. Des rires mesquins s’élèvent et je n’ai d’autre choix que de courir, une main maintenant fermement l’anse de mon panier, malgré les poignées de cailloux qui écorchent la peau de mon dos. Je passe rapidement devant la Recousue dont la réapparition instantanée m’aurait intriguée en d’autres circonstances, et cours sans m’arrêter jusqu’à ce que j’atteigne la porte de ma maison. Le visage inquiet de ma mère m’accueille, me brisant davantage le cœur. Sans prendre la peine de nettoyer mes larmes, je m’écroule dans ses bras, tremblante.

— Pourquoi me font-elles ça, Maman ? Que leur ai-je fait ?

— Ma pauvre chérie ! Je suis tellement désolée !

— Je les déteste ! Elles sont si cruelles !

— Elles le regretteront un jour, je te le promets, me réconforte-t-elle en caressant doucement mes cheveux.

— Quand cela ? J’en ai assez de subir tous ces tourments parce que mes yeux sont horribles ! C’est injuste !

— Ne dis pas cela, Elena. Écoute-moi, s’écrie ma mère tendrement en prenant mon visage entre ses mains afin d’essuyer les larmes sur mes joues. Tu as les plus beaux yeux du monde. Crois-moi, ajoute-t-elle précipitamment face à ma moue dubitative. Tu es juste dans un lieu où les gens ne savent pas apprécier ta particularité. Mais aie confiance. Un jour, tu verras que tes iris ont bien plus de valeur que n’importe quel trésor de ce monde.

— Tu dis seulement cela parce que tu es ma mère ! rétorqué-je d’une voix tremblante.

— Je dis cela car c’est la vérité, réplique-t-elle en me serrant dans ses bras. Tu verras bientôt. Tu comprendras que j’ai raison. Et cela arrivera bien plus vite que tu ne le penses.

Commentaires (1)
goodnovel comment avatar
Viola Mahotiere
magnifique
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  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   EPILOGUE + REMERCIEMENTS

    La sorcière lâche un hoquet en posant une main sur sa poitrine. La terrible douleur qui vient d’y naître ne peut signifier qu’une chose: l’une de ses sœurs vient de perdre la vie. Elle peut sentir l’âme de son amie quitter ce monde pour rejoindre les membres de son clan décimé par Barral, le mage noir qui la retient prisonnière depuis treize longues années.—Elena…Elle lâche un sanglot tandis que les larmes inondent son visage émacié aux yeux dorés entourés de cernes sombres. Ainsi, le rempart entre Barral et leur dernier espoir venait de disparaître. Plus rien ne protégerait l’être de lumière censé sauver Alatar, plus rien ne retenait le mal de la soumettre à sa volonté. À moins qu’Elena n’ait eu le temps de la former. La femme lâche un soupir. D’après ce qu’elle avait appris par les pensées de ses sœurs encore en vie, la fille de la divinatrice avait été privée de ses pouvoirs depuis sa fuite avec Elena vers le monde des humains, un monde dé

  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   CHAPITRE XXI

    Le vent plaque ma chemise contre ma peau, faisant plier les branches des pauvres arbres qui ont le malheur de m’entourer. Elena hurle mais je l’entends à peine: ses paroles se perdent dans le rugissement du vent que j’ai moi-même créé. La colère, la haine, la peur, voilà tout ce que je ressens. Devant mes yeux se forme l’image d’un homme au crâne lisse marqué d’encre noire. Son visage aux traits durs et ses iris plus foncés que l’obsidienne, s’étirent en même temps qu’un sourire cruel se dessine sur ses lèvres. Sa carrure immense vêtue d’une armure aussi noire que les dessins sur son faciès, lève des mains tenant des globes blancs et dorés ensanglantés, les yeux des sorcières de mon clan. Je ne souhaite qu’une seule chose: lui faire perdre ce sourire.Fais naître la lumière au creux de tes mains, Doux espoir,Et le monde scintillera à nouveau.—Elena!Deux mains empoignent violemment mes bras et si je n’avais pas rencontré un

  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   CHAPITRE XX

    Les jours, les semaines puis les mois ont passé. Malgré l’hiver bien entamé, il n’y a aucune trace de neige. Au contraire, la température est étrangement douce. La Recousue m’a appris que les saisons ne s’étalent pas sur l’année à Alatar, mais sont propres à chaque contrée. En effet, chaque province a son climat. C’est pour cela que la plupart des royaumes s’étendent sur la contrée d’Emisphèbe où le temps est clément toute l’année, mis à part quelques jours de pluie.Je suis déçue de ne pas avoir de neige mais me résigne à accepter la vue des plaines émeraude et des arbres éternellement en fleurs. Ce temps agréable me permet de m’entraîner toute la journée dehors. Viser des cibles ne me pose plus le moindre problème. Créer des sphères de pouvoir et les lancer sur mes ennemis qu’Elena a rendus amovibles grâce à ses pouvoirs m’amuse. La sorcière a dû inventer de nouveaux défis pour me tester et je dois dire qu’elle ne manque pas d’ingéniosité: faire se mouvoir une montagne,

  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   CHAPITRE XIX

    En sortant pour ma leçon de magie, je ne m’attendais pas à trouver Elena devant une longue table où trônent un grand bol contenant de l’eau, une lanterne illuminée par la lueur vacillante d’une flamme et un récipient rempli de terre.—Que dois-je faire? demandé-je en fronçant les sourcils.—Apprendre à te servir des éléments en te liant à eux.Hier, Elena m’a fait un grand discours sur la nature, ses bienfaits et son utilité pour notre magie. Je pourrais, bien sûr, utiliser mes pouvoirs sans faire appel aux éléments, mais mon amie refuse d’envisager cette éventualité hormis extrême nécessité. Elle m’interdit de trop puiser dans mes ressources. Au mieux, un sort trop puissant sans l’aide des éléments me fatiguera tellement que je serais une proie facile pour mes ennemies. Au pire, ces derniers n’auront rien à faire puisque mon cœur s’arrêtera de battre après une terrible hémorragie… Il vaut donc mieux que je ménage mes forces en me servant de celle

  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   CHAPITRE XVIII

    Le soleil donne des éclats dorés aux cheveux de maman. Même si elle me gronde, je ne peux m’empêcher de remarquer à quel point elle est belle. —Je t’ai déjà interdit d’utiliser tes pouvoirs sans moi, Elena!—Je voulais juste agrandir le papillon!—Et tu as failli détruire la demeure de la Saëcerin! Sans parler du toit de notre maison!Je baisse les yeux, honteuse. Des larmes coulent sur mes joues rondes et je renifle. Maman s’agenouille pour être à ma hauteur. Ses doigts chauds et fins se posent sous mon menton et m’obligent à lever la tête vers elle. Ses yeux dorés, identiques aux miens, sont remplis d’amour. Je suis heureuse de voir que même si je fais des bêtises, elle m’aime toujours. —Tu ne contrôles pas encore tes pouvoirs, Elena. Tu ne peux pas les utiliser sans la surveillance d’une adulte. C’est trop dangereux!—Je sais, avoué-je piteusement. —Alors, pourquo

  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   CHAPITRE XVII

    Je suis soulagée. Des hommes sont partis chercher le cheval blessé dans la forêt et le palefrenier m’a affirmé qu’il allait bien. Un sentiment de tristesse infini mêlé à la culpabilité honteuse m’a submergée lorsqu’on m’a appris qu’aucun membre de mon escorte n’a survécu, pas même le pauvre Renal: ils ont donné leur vie pour me protéger.Lorsque j’ai demandé à Even ce qu’il faisait à Drail et comment il était arrivé si vite alors que j’avais mis deux jours, il m’a expliqué que le royaume de Drail n’était qu’à une demi-journée de Victoire, mais que j’avais dû me perdre. Quant à sa présence à Drail, il m’a raconté que mon père, le roi Ezéchiel, ne me voyant pas arriver, avait dépêché ses hommes dans la forêt et un messager à Victoire. Ayant appris ma disparition, le roi Arsène a lui-même envoyé du monde à ma recherche. Even, Alyr et Galdor se sont aussitôt imposés dans l’expédition «sauvons Elena». Sur la route, les chevaliers ont découvert la voiture renversée,

  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   CHAPITRE XVI

    Je n’arrive pas à contrôler ma monture qui m’impose une cadence infernale. Je me contente de m’accrocher aux rênes, terrifiée à l’idée de tomber à cette allure. Je pousse un immense soupir de soulagement lorsque la bête s’arrête d’elle-même à l’orée d’un sombre bois. Des arbres aux formes effrayantes se dressent devant moi. Des troncs en forme de spirale émanent des fines branches qui pointent vers le ciel. De grosses racines recouvrent la terre comme un amas de pièges prêts à vous enfermer. Malgré les feuilles d’un vert soutenu, l’endroit me paraît tout droit sorti d’un cauchemar. Je secoue la tête. Je ne m’enfoncerai pas dans cette forêt au risque de me perdre. Mieux vaut trouver une autre voie.Je suis décidée à rebrousser chemin lorsque soudain, des images de créatures vêtues de noir et galopant sur d’énormes chevaux aux robes sombres défilent devant mes yeux. Je suis suivie! N’ayant pas le temps de trouver un moyen de contourner la forêt, je m’y engage malgré ma peur.

  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   CHAPITRE XV

    Je blêmis. Cela ne fait que deux jours que je connais cet homme et il m’a déjà percée à jour. Je commence par secouer la tête dans une tentative pathétique de nier l’évidence.—N’essayez pas de me leurrer! répond doucement mais fermement le prince. Je ne suis pas Even.—Je lui ferai part de cette remarque.—Si vous voulez provoquer un duel…—Certainement pas! Quoiqu’il serait divertissant de voir votre frère avec un poignard dans le cœur… si cœur il y a.—Ne changez pas de sujet. Je le devine dans vos yeux. Les voir ensemble vous meurtrit, ajoute-t-il avec une mine désolée.—Astian, je vous en prie…—Personne d’autre que moi ne le saura, je vous le promets. Ce matin encore, je pensais qu’il ne s’agissait que d’une simple attirance et de sentiments sans conséquence, mais ce soir, je remarque que c’est bien plus que cela.Je ne sais que répondre. Il est difficile de parler de mes

  • La Dernière Sorcière aux Yeux d'Or Tome1   CHAPITRE XIV

    Le lendemain matin, le roi me propose une promenade dans les magnifiques jardins du château. J’accepte volontiers, ravie de découvrir davantage ce paysage enchanteur. J’apprends qu’il est ami de longue date avec mon père. Durant leur jeunesse, Ezéchiel et Arsène avaient pris l’habitude de s’entraîner ensemble pendant que leurs pères s’occupaient des affaires des royaumes. Ils ont noué des liens d’amitié indéfectibles, si bien que le roi Arsène a trouvé cela naturel de demander à son propre fils, guerrier émérite, de protéger au péril de sa vie la princesse de Drail, dernière sorcière aux yeux d’or de surcroît.—Je tenais à m’assurer que celle qui est destinée à sauver Alatar arrive saine et sauve.Je souris sans rien dire, peu encline à le contredire et à ternir sa bonne humeur. Alors que je me penche pour examiner une fleur aux pétales roses piquetés de jaune qui m’est inconnue, le monarque m’informe que chacune de ses épouses a aménagé un coin qu’elles aimaient en

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