Nous sommes repartis avant le lever du soleil, comme nous l’avions promis au couple de fermiers. Odette nous a préparé un panier bien garni et nous avons repris la route. Even m’a fait passer derrière lui, cette fois, contrairement à ses habitudes, et je ne sais quoi en penser. Depuis ce matin, il est distant et froid. Oh, il n’a jamais vraiment été très bavard ni chaleureux, mais j’espérais qu’après notre baiser magique, il se montrerait au moins amical, à défaut de plus. Or, depuis notre réveil, il m’a à peine adressé la parole.—Nous y sommes, chuchote Alyr en soupirant de soulagement.Les montures s’arrêtent devant une montagne dont le pic semble toucher les nuages blancs. Elle ressemble à un amas de rochers secs qui dégagent une aura aussi lugubre que la mort. Je frissonne, terrifiée, alors que des images de cette même montagne, mais couverte de fleurs multicolores, prennent vie devant mes yeux. Un souvenir. Un souvenir d’un temps heureux et paisible. J’imagine
Nous galopons maintenant depuis des heures quand soudain, les chevaux ralentissent lorsque le chemin de terre laisse place à des dalles de pierres grises.—Que se passe-t-il? murmuré-je à l’oreille d’Even.—Cet endroit est dangereux, nous devons rester sur nos gardes.La forêt qui borde la petite route me semble lugubre dans la pénombre du crépuscule. Nous poursuivons au pas, comme si nous devions éviter de faire trop de bruit. Je vois bien que les hommes sont anxieux. Ils ne cessent de regarder autour d’eux, craignant probablement que des ennemis soient cachés derrière les arbres. Serait-ce possible? Je me surprends à les imiter, examinant les environs avec suspicion. Pourtant, je n’ai pas peur. Étrangement, mes sentiments sont partagés. Je ressens une espèce d’euphorie mâtinée d’une tristesse poignante. Heureuse d’emprunter ce chemin tout en ne souhaitant pas découvrir ce qui se trouve au bout. Serais-je déjà venue ici dans des temps ancie
Nous partons aux premières lueurs de l’aube. Even m’a demandé de monter devant lui afin que ses bras m’entourent et me protègent durant la traversée du territoire des nymphes. Je ne proteste pas pour une fois. Je demande aux hommes s’il est possible de contourner cette zone, mais Even me répond que cette forêt est enclavée par des montagnes escarpées et occupées par les monstres de Barral, puis que le seul détour possible serait de contourner ces dernières. Mais cela prendrait quatre jours de plus et le sort jeté par la Recousue prend fin à minuit et sept minutes.Galdor s’immobilise devant une arche de pierres blanches aux colonnes entourées de fleurs. Il sort son épée, aussitôt imité par Alyr. Even chuchote à mon oreille que nous entrons sur le territoire des nymphes. Il me désigne l’inscription gravée en haut de l’arche.«Prends garde à toi qui t’aventures sur nos terres. Écoute le chant des sirènes et la mort t’accueillera à bras ouverts.»Je frémis
De grands coups frappés à la porte me réveillent en sursaut. Avec un soupir, je regarde Even se lever et enfiler ses vêtements à la hâte. Se tournant vers moi, il m’intime de rester immobile et silencieuse. Je ne l’écoute pas et me lève dès qu’il est dans l’autre pièce. Le petit miroir accroché au mur me renvoie mon regard doré, signe que le sort d’Elena a pris fin. Je reconnais les voix de Galdor et d’Alyr de l’autre côté de la porte. À qui est la troisième voix?—Je dois ramener la sorcière à Victoire, ordre du roi Arsène!—Nous devons ramener la princesse à Drail, ordre de son père, le roi Ezéchiel, répond sèchement Alyr.—Le roi de Victoire veut la rencontrer avant de l’escorter à Drail, rétorque l’inconnu.Even plante un regard plein de regret dans le mien, inquiet. Il me fixe quelques secondes sans rien dire, sans même cligner des yeux, puis pousse un lourd soupir qui me fait frissonner d’angoisse. Lorsqu’il me demande par
Le lendemain matin, le roi me propose une promenade dans les magnifiques jardins du château. J’accepte volontiers, ravie de découvrir davantage ce paysage enchanteur. J’apprends qu’il est ami de longue date avec mon père. Durant leur jeunesse, Ezéchiel et Arsène avaient pris l’habitude de s’entraîner ensemble pendant que leurs pères s’occupaient des affaires des royaumes. Ils ont noué des liens d’amitié indéfectibles, si bien que le roi Arsène a trouvé cela naturel de demander à son propre fils, guerrier émérite, de protéger au péril de sa vie la princesse de Drail, dernière sorcière aux yeux d’or de surcroît.—Je tenais à m’assurer que celle qui est destinée à sauver Alatar arrive saine et sauve.Je souris sans rien dire, peu encline à le contredire et à ternir sa bonne humeur. Alors que je me penche pour examiner une fleur aux pétales roses piquetés de jaune qui m’est inconnue, le monarque m’informe que chacune de ses épouses a aménagé un coin qu’elles aimaient en
Je blêmis. Cela ne fait que deux jours que je connais cet homme et il m’a déjà percée à jour. Je commence par secouer la tête dans une tentative pathétique de nier l’évidence.—N’essayez pas de me leurrer! répond doucement mais fermement le prince. Je ne suis pas Even.—Je lui ferai part de cette remarque.—Si vous voulez provoquer un duel…—Certainement pas! Quoiqu’il serait divertissant de voir votre frère avec un poignard dans le cœur… si cœur il y a.—Ne changez pas de sujet. Je le devine dans vos yeux. Les voir ensemble vous meurtrit, ajoute-t-il avec une mine désolée.—Astian, je vous en prie…—Personne d’autre que moi ne le saura, je vous le promets. Ce matin encore, je pensais qu’il ne s’agissait que d’une simple attirance et de sentiments sans conséquence, mais ce soir, je remarque que c’est bien plus que cela.Je ne sais que répondre. Il est difficile de parler de mes
Je n’arrive pas à contrôler ma monture qui m’impose une cadence infernale. Je me contente de m’accrocher aux rênes, terrifiée à l’idée de tomber à cette allure. Je pousse un immense soupir de soulagement lorsque la bête s’arrête d’elle-même à l’orée d’un sombre bois. Des arbres aux formes effrayantes se dressent devant moi. Des troncs en forme de spirale émanent des fines branches qui pointent vers le ciel. De grosses racines recouvrent la terre comme un amas de pièges prêts à vous enfermer. Malgré les feuilles d’un vert soutenu, l’endroit me paraît tout droit sorti d’un cauchemar. Je secoue la tête. Je ne m’enfoncerai pas dans cette forêt au risque de me perdre. Mieux vaut trouver une autre voie.Je suis décidée à rebrousser chemin lorsque soudain, des images de créatures vêtues de noir et galopant sur d’énormes chevaux aux robes sombres défilent devant mes yeux. Je suis suivie! N’ayant pas le temps de trouver un moyen de contourner la forêt, je m’y engage malgré ma peur.
Je suis soulagée. Des hommes sont partis chercher le cheval blessé dans la forêt et le palefrenier m’a affirmé qu’il allait bien. Un sentiment de tristesse infini mêlé à la culpabilité honteuse m’a submergée lorsqu’on m’a appris qu’aucun membre de mon escorte n’a survécu, pas même le pauvre Renal: ils ont donné leur vie pour me protéger.Lorsque j’ai demandé à Even ce qu’il faisait à Drail et comment il était arrivé si vite alors que j’avais mis deux jours, il m’a expliqué que le royaume de Drail n’était qu’à une demi-journée de Victoire, mais que j’avais dû me perdre. Quant à sa présence à Drail, il m’a raconté que mon père, le roi Ezéchiel, ne me voyant pas arriver, avait dépêché ses hommes dans la forêt et un messager à Victoire. Ayant appris ma disparition, le roi Arsène a lui-même envoyé du monde à ma recherche. Even, Alyr et Galdor se sont aussitôt imposés dans l’expédition «sauvons Elena». Sur la route, les chevaliers ont découvert la voiture renversée,
La sorcière lâche un hoquet en posant une main sur sa poitrine. La terrible douleur qui vient d’y naître ne peut signifier qu’une chose: l’une de ses sœurs vient de perdre la vie. Elle peut sentir l’âme de son amie quitter ce monde pour rejoindre les membres de son clan décimé par Barral, le mage noir qui la retient prisonnière depuis treize longues années.—Elena…Elle lâche un sanglot tandis que les larmes inondent son visage émacié aux yeux dorés entourés de cernes sombres. Ainsi, le rempart entre Barral et leur dernier espoir venait de disparaître. Plus rien ne protégerait l’être de lumière censé sauver Alatar, plus rien ne retenait le mal de la soumettre à sa volonté. À moins qu’Elena n’ait eu le temps de la former. La femme lâche un soupir. D’après ce qu’elle avait appris par les pensées de ses sœurs encore en vie, la fille de la divinatrice avait été privée de ses pouvoirs depuis sa fuite avec Elena vers le monde des humains, un monde dé
Le vent plaque ma chemise contre ma peau, faisant plier les branches des pauvres arbres qui ont le malheur de m’entourer. Elena hurle mais je l’entends à peine: ses paroles se perdent dans le rugissement du vent que j’ai moi-même créé. La colère, la haine, la peur, voilà tout ce que je ressens. Devant mes yeux se forme l’image d’un homme au crâne lisse marqué d’encre noire. Son visage aux traits durs et ses iris plus foncés que l’obsidienne, s’étirent en même temps qu’un sourire cruel se dessine sur ses lèvres. Sa carrure immense vêtue d’une armure aussi noire que les dessins sur son faciès, lève des mains tenant des globes blancs et dorés ensanglantés, les yeux des sorcières de mon clan. Je ne souhaite qu’une seule chose: lui faire perdre ce sourire.Fais naître la lumière au creux de tes mains, Doux espoir,Et le monde scintillera à nouveau.—Elena!Deux mains empoignent violemment mes bras et si je n’avais pas rencontré un
Les jours, les semaines puis les mois ont passé. Malgré l’hiver bien entamé, il n’y a aucune trace de neige. Au contraire, la température est étrangement douce. La Recousue m’a appris que les saisons ne s’étalent pas sur l’année à Alatar, mais sont propres à chaque contrée. En effet, chaque province a son climat. C’est pour cela que la plupart des royaumes s’étendent sur la contrée d’Emisphèbe où le temps est clément toute l’année, mis à part quelques jours de pluie.Je suis déçue de ne pas avoir de neige mais me résigne à accepter la vue des plaines émeraude et des arbres éternellement en fleurs. Ce temps agréable me permet de m’entraîner toute la journée dehors. Viser des cibles ne me pose plus le moindre problème. Créer des sphères de pouvoir et les lancer sur mes ennemis qu’Elena a rendus amovibles grâce à ses pouvoirs m’amuse. La sorcière a dû inventer de nouveaux défis pour me tester et je dois dire qu’elle ne manque pas d’ingéniosité: faire se mouvoir une montagne,
En sortant pour ma leçon de magie, je ne m’attendais pas à trouver Elena devant une longue table où trônent un grand bol contenant de l’eau, une lanterne illuminée par la lueur vacillante d’une flamme et un récipient rempli de terre.—Que dois-je faire? demandé-je en fronçant les sourcils.—Apprendre à te servir des éléments en te liant à eux.Hier, Elena m’a fait un grand discours sur la nature, ses bienfaits et son utilité pour notre magie. Je pourrais, bien sûr, utiliser mes pouvoirs sans faire appel aux éléments, mais mon amie refuse d’envisager cette éventualité hormis extrême nécessité. Elle m’interdit de trop puiser dans mes ressources. Au mieux, un sort trop puissant sans l’aide des éléments me fatiguera tellement que je serais une proie facile pour mes ennemies. Au pire, ces derniers n’auront rien à faire puisque mon cœur s’arrêtera de battre après une terrible hémorragie… Il vaut donc mieux que je ménage mes forces en me servant de celle
Le soleil donne des éclats dorés aux cheveux de maman. Même si elle me gronde, je ne peux m’empêcher de remarquer à quel point elle est belle. —Je t’ai déjà interdit d’utiliser tes pouvoirs sans moi, Elena!—Je voulais juste agrandir le papillon!—Et tu as failli détruire la demeure de la Saëcerin! Sans parler du toit de notre maison!Je baisse les yeux, honteuse. Des larmes coulent sur mes joues rondes et je renifle. Maman s’agenouille pour être à ma hauteur. Ses doigts chauds et fins se posent sous mon menton et m’obligent à lever la tête vers elle. Ses yeux dorés, identiques aux miens, sont remplis d’amour. Je suis heureuse de voir que même si je fais des bêtises, elle m’aime toujours. —Tu ne contrôles pas encore tes pouvoirs, Elena. Tu ne peux pas les utiliser sans la surveillance d’une adulte. C’est trop dangereux!—Je sais, avoué-je piteusement. —Alors, pourquo
Je suis soulagée. Des hommes sont partis chercher le cheval blessé dans la forêt et le palefrenier m’a affirmé qu’il allait bien. Un sentiment de tristesse infini mêlé à la culpabilité honteuse m’a submergée lorsqu’on m’a appris qu’aucun membre de mon escorte n’a survécu, pas même le pauvre Renal: ils ont donné leur vie pour me protéger.Lorsque j’ai demandé à Even ce qu’il faisait à Drail et comment il était arrivé si vite alors que j’avais mis deux jours, il m’a expliqué que le royaume de Drail n’était qu’à une demi-journée de Victoire, mais que j’avais dû me perdre. Quant à sa présence à Drail, il m’a raconté que mon père, le roi Ezéchiel, ne me voyant pas arriver, avait dépêché ses hommes dans la forêt et un messager à Victoire. Ayant appris ma disparition, le roi Arsène a lui-même envoyé du monde à ma recherche. Even, Alyr et Galdor se sont aussitôt imposés dans l’expédition «sauvons Elena». Sur la route, les chevaliers ont découvert la voiture renversée,
Je n’arrive pas à contrôler ma monture qui m’impose une cadence infernale. Je me contente de m’accrocher aux rênes, terrifiée à l’idée de tomber à cette allure. Je pousse un immense soupir de soulagement lorsque la bête s’arrête d’elle-même à l’orée d’un sombre bois. Des arbres aux formes effrayantes se dressent devant moi. Des troncs en forme de spirale émanent des fines branches qui pointent vers le ciel. De grosses racines recouvrent la terre comme un amas de pièges prêts à vous enfermer. Malgré les feuilles d’un vert soutenu, l’endroit me paraît tout droit sorti d’un cauchemar. Je secoue la tête. Je ne m’enfoncerai pas dans cette forêt au risque de me perdre. Mieux vaut trouver une autre voie.Je suis décidée à rebrousser chemin lorsque soudain, des images de créatures vêtues de noir et galopant sur d’énormes chevaux aux robes sombres défilent devant mes yeux. Je suis suivie! N’ayant pas le temps de trouver un moyen de contourner la forêt, je m’y engage malgré ma peur.
Je blêmis. Cela ne fait que deux jours que je connais cet homme et il m’a déjà percée à jour. Je commence par secouer la tête dans une tentative pathétique de nier l’évidence.—N’essayez pas de me leurrer! répond doucement mais fermement le prince. Je ne suis pas Even.—Je lui ferai part de cette remarque.—Si vous voulez provoquer un duel…—Certainement pas! Quoiqu’il serait divertissant de voir votre frère avec un poignard dans le cœur… si cœur il y a.—Ne changez pas de sujet. Je le devine dans vos yeux. Les voir ensemble vous meurtrit, ajoute-t-il avec une mine désolée.—Astian, je vous en prie…—Personne d’autre que moi ne le saura, je vous le promets. Ce matin encore, je pensais qu’il ne s’agissait que d’une simple attirance et de sentiments sans conséquence, mais ce soir, je remarque que c’est bien plus que cela.Je ne sais que répondre. Il est difficile de parler de mes
Le lendemain matin, le roi me propose une promenade dans les magnifiques jardins du château. J’accepte volontiers, ravie de découvrir davantage ce paysage enchanteur. J’apprends qu’il est ami de longue date avec mon père. Durant leur jeunesse, Ezéchiel et Arsène avaient pris l’habitude de s’entraîner ensemble pendant que leurs pères s’occupaient des affaires des royaumes. Ils ont noué des liens d’amitié indéfectibles, si bien que le roi Arsène a trouvé cela naturel de demander à son propre fils, guerrier émérite, de protéger au péril de sa vie la princesse de Drail, dernière sorcière aux yeux d’or de surcroît.—Je tenais à m’assurer que celle qui est destinée à sauver Alatar arrive saine et sauve.Je souris sans rien dire, peu encline à le contredire et à ternir sa bonne humeur. Alors que je me penche pour examiner une fleur aux pétales roses piquetés de jaune qui m’est inconnue, le monarque m’informe que chacune de ses épouses a aménagé un coin qu’elles aimaient en