L’obscurité de la nuit enveloppait Dakar d’un voile silencieux, contrastant avec l’animation qui régnait encore quelques heures plus tôt dans les rues. À l’extérieur, les derniers échos des vendeurs ambulants s’éteignaient lentement, remplacés par le bruissement des feuillages agités par la brise marine. Àïcha, assise sur le bord de son lit, fixait le masque d’ivoire posé sur son bureau.
Malgré la lumière tamisée de sa lampe, l’objet semblait capter et refléter un éclat étrange, comme s’il possédait une lueur propre. Elle l’observa, fascinée et inquiète à la fois. Ce masque n’était pas qu’un simple artefact. Il exerçait une sorte d’attraction silencieuse sur elle, un appel qu’elle ne pouvait ignorer.
Elle passa une main dans ses cheveux en bataille, signe de son agitation intérieure. Depuis qu’elle avait ouvert ce coffret, une sensation nouvelle s’était installée en elle. Un mélange d’excitation et de malaise, comme si une force inconnue venait de s’immiscer dans son quotidien.
Pourquoi son grand-père lui avait-il légué un tel objet ?
La question tournait en boucle dans sa tête. Son grand-père n’avait jamais mentionné ce masque dans ses histoires. Pourtant, en le tenant entre ses mains, elle avait ressenti une connexion puissante, presque familière.
Prenant son carnet, elle se mit à noter tout ce qui lui passait par l’esprit :
Matériau : Ivoire ancien, extrêmement bien conservé.
Inscription au dos : Langue inconnue.
Sensation en le touchant : Frissons. Impression d’être... ailleurs.
Vision ? Hallucination ? : Chaleur, tambours, chants…
Elle s’arrêta un instant et mordilla l’extrémité de son stylo, perdue dans ses pensées. Si ce masque était aussi vieux qu’il en avait l’air, comment se faisait-il qu’elle ressente quelque chose en le touchant ?
Elle relut ses notes et hocha la tête. Il lui fallait des réponses. Demain, elle consulterait le professeur Ndiaye, un expert en langues anciennes de l’université. Peut-être saurait-il lui donner des indices sur l’origine du masque.
Soudain, un bruit retentit.
Un clic sec, métallique.
Aïcha releva brusquement la tête. Ce n’était pas un bruit habituel. Son souffle se coupa alors qu’elle écoutait attentivement.
Le silence s’épaissit.
Son regard glissa lentement vers la porte. Elle était fermée… ou du moins, elle en était persuadée quelques instants plus tôt.
Une sensation glacée s’empara d’elle, hérissant les poils de ses bras. Elle posa son carnet et se leva lentement, ses pas à peine audibles sur le tapis. Sa main tremblante s’approcha de la poignée.
Elle hésita.
Au moment où ses doigts effleurèrent le métal froid, un courant d’air s’infiltra sous la porte, effleurant sa peau nue.
Elle retint un frisson.
Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Son esprit tentait de rationaliser : Ce n’est que le vent… Ou peut-être une mauvaise serrure…
Mais son instinct lui murmurait autre chose.
Elle ferma les yeux un instant, cherchant à calmer sa respiration. Puis, avec un élan de courage, elle ouvrit brusquement la porte.
Le couloir était vide.
Pourtant… quelque chose n’allait pas.
L’air semblait plus lourd, comme chargé d’une présence invisible. Elle sentait un poids sur sa poitrine, une oppression sourde qui l’empêchait de respirer librement.
Elle plissa les yeux, scrutant les ténèbres du couloir faiblement éclairé par la lueur du salon. Rien.
Et pourtant…
Elle recula prudemment et referma la porte, son cœur battant toujours à un rythme effréné. Elle se retourna et laissa son regard dériver vers le masque.
Il était toujours là, immobile, posé sur son bureau.
Mais…
Était-ce une illusion d’optique, ou avit-il légèrement changé d'orientation?
Aïcha sentit une vague de chaleur lui monter au visage. L’adrénaline lui brouillait l’esprit. Elle se frotta les yeux, cherchant une explication logique. Peut-être que la lumière jouait avec ses nerfs.
Elle secoua la tête. Stop. Ça suffit. Je suis juste fatiguée.
Prenant une grande inspiration, elle attrapa un tissu et recouvrit le masque avant de se glisser sous ses draps.
Elle ne pouvait pas s’empêcher d’y penser. Ce masque… il représentait quelque chose de bien plus grand qu’elle ne l’imaginait encore.
Et elle avait la désagréable sensation d’avoir déclenché queque shose.
Demain, elle chercherait des réponses.
Mais ce soir…
Elle ne fermerait pas l’œil.
Le soleil se lève lentement sur Dakar, projetant une lumière dorée à travers les rideaux de la chambre d'Aïcha. Elle avait à peine dormi. Allongée sur le dos, les yeux fixés au plafond, elle repassait en boucle les événements de la veille. Ce bruit métallique, ce courant d'air glacé sous la porte, et surtout… cette étrange impression que le masque avait bougé.Elle se redressa, jetant un coup d'œil vers son bureau. Sous le tissu qui le recouvrait, le masque semblait attendre, silencieux, immobile. Un frisson lui parcourut l'échine.Ce n'est qu'un objet. Un simple artefact.Elle se force à repousser ses craintes et se leva. Une nouvelle journée commençait, et elle comptait bien en profiter pour obtenir des réponses.Elle se prépara rapidement, attrapa son sac et glissa le carnet dans lequel elle avait recopié l'inscription du masque. Avant de sortir, elle hésite une seconde, puis se retourne vers son bureau. D'un geste rapide, elle souleva le tissu et observe le masque une dernière foi
Le soir tombait lentement sur Dakar, enveloppant la ville d'un manteau d'ombres. Assise sur une chaise en rotin près de sa fenêtre, Aïcha tenait une tasse de thé entre ses mains tremblantes. Ses pensées tournaient en boucle, inexorablement attirées par les révélations du professeur Ndiaye.Un ancien royaume… Une langue oubliée… Un masque qui murmure des vérités enfouies…Elle baissa les yeux vers l'objet posé sur son bureau. L'ivoire semblait capter la faible lumière de la lampe, projetant une lueur spectrale sur le bois verni. L'inscription au dos du masque, à peine visible sous certains angles, lui paraissait plus étrange que jamais.Un soupir échappa à ses lèvres. Devait-elle vraiment montrer cet artefact au professeur ?Une part d'elle hésite. Ce masque… il lui a donné la sensation d'être respecté, scrutée, analysée. Depuis qu'elle l'avait en sa possession, quelque chose d'inexplicable se produisait. Était-ce son imagination ? Ou bien avait-elle réveillé une force ancienne, endorm
Aïcha n'avait pratiquement pas dormi de la nuit. Les événements de la veille lui tournaient dans la tête comme une litanie obsédante. Chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle revoyait cette obscurité oppressante, ce murmure venu de nulle part… et ce masque qui, elle en était certaine, l'observait.Dès que le soleil pointe à l'horizon, elle se lève d'un lien et s'habilla rapidement. Elle glisse le masque dans un tissu de lin, puis dans un sac en cuir avant de quitter son appartement.Le trajet jusqu'à l'université lui parut interminable. La chaleur matinale ne réussissait pas à dissiper le froid qui s'accrochait à ses os. Elle sentait un poids inhabituel dans son sac, comme si le masque était plus lourd qu'hier.Lorsqu'elle arrive enfin devant le bureau du professeur Ndiaye, elle inspire profondément et frappa à la porte.— Entrez !La voix posée du professeur la rassura un peu. Elle poussa la porte et entra, refermant derrière elle comme pour se couper du monde extérieur.Le vieil h
Aïcha fixait le professeur Ndiaye, le cœur battant à tout rompre. Ses mots résonnaient encore dans sa tête, comme un écho lointain."Ce masque appartient à une confrérie secrète... Il est la clé d’un mystère qui n’a jamais été résolu."Elle baissa les yeux vers l’objet posé sur le bureau. Son simple regard lui donnait l’impression qu’une énergie sourde émanait de l’ivoire sculpté. La pièce semblait s’être refroidie d’un degré, ou peut-être était-ce simplement elle qui frissonnait sous le poids de cette révélation.— Que suis-je censée faire maintenant ? demanda-t-elle d’une voix rauque.Le professeur Ndiaye croisa les mains sur la table et la fixa d’un regard grave.— Tout dépend de toi, Aïcha. Maintenant que tu sais que ce masque est bien plus qu’un simple objet, es-tu prête à en découvrir la vérité ?Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Était-elle prête ?Tout en elle lui criait de fuire. De refermer cette porte avant qu’il ne soit trop tard. De tout oublier et de reto
Le souffle court, Aïcha resta figée devant la porte de son appartement. L’ouverture à peine visible, l’obscurité de l’intérieur avalant la lumière du couloir. Son cœur battait à un rythme effréné.Quelqu’un était entré.Elle porta une main tremblante à la bandoulière de son sac, où le masque d’ivoire reposait, caché sous des couches de tissu. Elle hésita. Devait-elle appeler à l’aide ? Contacter la police ? Mais avec quoi ? Pour leur dire quoi ? Qu’un masque ancien semblait attirer des forces invisibles ?Non. Il fallait qu’elle sache.Inspirant profondément, elle s’avança lentement et poussa la porte du bout des doigts. Elle grinça légèrement sur ses gonds, et un frisson glacé lui parcourut la nuque.L’intérieur était plongé dans la pénombre. Pourtant, elle était presque sûre d’avoir laissé une lumière allumée avant de partir. Elle resta quelques secondes sur le seuil, écoutant.Rien.Pas de souffle, pas de bruit de pas, pas de présence visible.Elle s’avança doucement, refermant la
Aïcha sentit son souffle se bloquer. Les paroles de Malik résonnaient dans sa tête comme un glas funèbre."Tu as réveillé quelque chose, Aïcha. Et maintenant, ils viennent pour toi."Ses doigts se resserrèrent instinctivement autour de la bandoulière de son sac, là où reposait le masque. Tout son corps était tendu, prêt à se défendre ou à fuir.Elle planta son regard dans celui de Malik, cherchant un indice, un signe qui lui prouverait qu’il disait la vérité — ou au contraire, qu’il lui mentait.— Pourquoi devrais-je te croire ? lâcha-t-elle d’une voix plus ferme qu’elle ne se sentait réellement.Malik ne cilla pas.— Parce que si tu ne me crois pas, tu ne passeras pas la nuit.Un frisson glacé lui parcourut l’échine.— Tu fais exprès d’être aussi dramatique ou c’est une menace ?Il eut un léger sourire, mais son regard restait grave.— Ce n’est pas une menace. C’est un fait. Tu as déjà ressenti leur présence, pas vrai ? Les murmures ? Le froid soudain ? L’impression d’être observée ?
Le vent nocturne s’engouffra violemment dans ses vêtements alors qu’Aïcha chutait dans le vide. Troisième étage. Une fraction de seconde plus tôt, elle aurait juré qu’elle ne sauterait jamais. Mais Malik avait agrippé sa main et elle l’avait suivi, poussée par l’instinct de survie.L’atterrissage fut brutal.Elle sentit le choc dans ses jambes lorsqu’elle tomba sur un tas de cartons et de vieilles caisses empilées dans la ruelle en contrebas. L’impact lui coupa le souffle, mais elle n’eut pas le temps de s’apitoyer sur la douleur lancinante qui irradiait ses chevilles.— Debout ! ordonna Malik en lui tendant la main.Il était déjà sur ses pieds, en alerte, les yeux braqués vers la fenêtre d’où ils venaient de sauter.Aïcha se releva avec difficulté, grimaçant sous l’effet de l’adrénaline.Puis, un cri.Une silhouette apparut à la fenêtre, suivie d’un autre individu vêtu de sombre. Leurs poursuivants.— Ils vont descendre ! On doit partir ! lança Malik.Sans attendre de réponse, il att
La ruelle était étroite, presque suffocante, plongée dans une obscurité inquiétante. Seuls quelques lampadaires vacillants projetaient une lumière tremblotante sur les murs décrépis des immeubles. Aïcha suivait Malik de près, sa respiration encore saccadée après la course effrénée.Chaque pas résonnait dans le silence pesant de la nuit. Elle savait qu’ils n’étaient pas en sécurité.Malik s’arrêta enfin devant une porte métallique à peine visible, encastrée entre deux bâtiments délabrés. Il sortit une clé de sa poche et la fit glisser dans la serrure.Clac.La porte s’ouvrit dans un léger grincement. Malik jeta un regard autour d’eux avant de faire signe à Aïcha d’entrer.— Dépêche-toi.Elle obéit, sentant la tension électriser l’air autour d’eux. Une fois à l’intérieur, Malik referma la porte derrière lui, enclencha un verrou et alluma une lampe de chevet posée sur une table basse.La lumière révéla une petite pièce austère, à peine meublée. Un canapé usé trônait dans un coin, accompa
Ils avaient quitté la forêt au petit matin.Le soleil filtrait à travers un ciel de nuages éclatés, comme des morceaux de rêves qui tardaient à s'effacer.Le sol sous leurs pieds était doux.Souple.Recouvert d’une herbe fine et dorée qui semblait chuchoter à chaque pas.Ils marchaient sans urgence.Comme si le temps, désormais, n'était plus une menace.Seulement une respiration.Un battement de cœur.Un rythme doux dans lequel ils s’accordaient sans y penser.Très vite, ils ressentirent une présence.Pas lourde.Pas imposante.Une présence ancienne.Stable.Comme un rocher silencieux dans le courant d'une rivière.Ils avancèrent, attentifs.Et ils le virent.Assis au centre d'une clairière minuscule.Un vieil homme.Tout simplement là.Comme s'il avait toujours été là.Comme s'il avait attendu leur venue depuis toujours.Il était petit.Courbé.Sa peau était sillonnée de rides profondes, comme les strates d’un tronc séculaire.Ses yeux brillaient d’une lumière douce, ni moqueuse, ni
Le chemin de verre s’effaça doucement derrière eux, comme un rêve rendu à la mer.Devant eux, la terre devint plus sombre.Plus riche.Chaque pas soulevait une odeur d’humus, de racines profondes, de souvenirs anciens.Le vent avait changé de voix.Il ne portait plus seulement des chants.Il murmurait.Bas.Continu.Comme un chœur discret, né du sol même.Ils avancèrent, le cœur lent, les yeux grands ouverts.Ils savaient.Ils sentaient.Ils étaient entrés dans la Forêt des Mémoires.Les arbres étaient immenses.Leurs troncs larges comme des murailles.Leurs branches tissées en voûtes naturelles.Chaque feuille semblait porter une lumière intérieure.Un éclat discret.Pas éclatant.Pas aveuglant.Chaleureux.Ils marchaient, fascinés.Les troncs, les branches, les racines semblaient vibrer doucement sous leurs pas.Et sur chaque tronc… des traces.Des empreintes.Des signes.Parfois une main gravée.Parfois un mot.Parfois juste une forme imprécise.Des marques d’âmes passées.Ils comp
La plaine disparut derrière eux dans un dernier frémissement de vent tiède.Leurs pas, désormais, ne cherchaient plus à fuir.Ils avançaient par désir d'être.Par curiosité douce.Par appel intérieur.Le chemin devant eux n’était plus une fuite en avant, ni une quête désespérée.Il était rencontre.Rencontre avec eux-mêmes.Avec ce qu’ils étaient devenus.Et avec ce qu’ils allaient encore devenir.Très vite, ils sentirent le changement.L'air, d'abord, devint plus dense.Plus frais.Le sol sous leurs pieds semblait vibrer légèrement.Et devant eux…Une lueur.Étrange.Irréelle.Un miroitement qui semblait respirer.Ils accélérèrent.Le cœur battant.Et la virent.La mer.Mais pas une mer d’eau.Une mer de verre.Immobile.Cristalline.Étendue à perte de vue.Chaque vague figée en plein mouvement.Chaque crête scintillante sous la lumière douce du ciel.Ils s’approchèrent du rivage.Et s'aperçurent que le verre n'était pas opaque.Qu'en se penchant au-dessus, on pouvait voir à travers.
Le matin fut long à venir.Quand ils ouvrirent les yeux, la grotte étoilée s'était évanouie comme un rêve heureux.Le monde qui les attendait dehors semblait plus vaste.Plus nu.Le vent glissait doucement sur la plaine, soulevant des volutes de poussière pâle.Un vent léger.Presque timide.Ils marchèrent.Droit devant eux.Pas parce qu’ils savaient où ils allaient.Mais parce qu'ils avaient appris à faire confiance à l’appel muet des chemins.Au bout de plusieurs heures, ils sentirent le changement.Pas une frontière.Pas un panneau.Un frisson subtil dans l’air.Une densité nouvelle.Comme si l’espace lui-même leur chuchotait :"Ici, quelque chose vous attend."Devant eux, la plaine s’étendait à perte de vue.Vide.Ou presque.Quand ils plissèrent les yeux, ils virent des formes.Des reflets.Des lignes floues.Et peu à peu, ils comprirent :Des portes.Pas des portes dressées.Pas des portes sculptées.Des portes invisibles.Posées dans l’air.Suspendues.Comme des promesses silen
La nuit tomba plus tôt ce jour-là.Non pas brusquement.Mais comme une caresse.Un drap tiré doucement sur leurs épaules.Ils marchaient depuis des heures déjà, leurs nouveaux trésors serrés dans leurs mains ou nichés contre leur cœur.Et au loin, dans la pénombre, une lumière.Faible.Clignotante.Pas un feu.Pas un village.Quelque chose d’autre.Quelque chose de vivant.Ils échangèrent un regard.Puis accélérèrent le pas.À mesure qu'ils approchaient, la lumière se clarifiait.Elle venait d’une ouverture dans la roche.Une grotte.Large.Béante.Mais douce.Presque accueillante.Comme une bouche ouverte prête à chanter.Devant l’entrée, une stèle de pierre.Simple.Sur laquelle était gravé :> "Chaque souffle que tu offres éclaire une nuit que tu ne vois pas."Ils restèrent un moment devant l’inscription.À la laisser entrer dans leur peau.Dans leur souffle.Puis, sans un mot, ils entrèrent.La grotte était vaste.Froide au premier abord.Mais étrangement réconfortante.Le sol éta
La clairière du tisserand s’évanouit derrière eux comme un rêve dont on garde la chaleur mais dont les détails s’effacent.Leurs pas, légers malgré la fatigue, semblaient désormais habités d’un nouveau rythme.Un rythme intérieur.Non pas dicté par la destination, mais par la justesse du moment.Ils marchaient longtemps.Peut-être des heures.Peut-être des jours.Le temps avait perdu son ancienne forme.Ils étaient devenus autres.Et le monde autour d’eux semblait s’ouvrir en réponse.À l’orée d’une grande plaine, le vent leur apporta quelque chose d’inattendu.Des voix.Des rires.Des appels.Mais pas bruyants.Pas commerciaux.Des voix pleines de douceur, de souvenirs murmurés.— Il y a un marché, souffla Komi, plissant les yeux.— Mais il n’est pas comme les autres, répondit Salimata.Ils avancèrent.Et découvrirent.Une multitude d’étals.Pas de tentes criardes.Pas de cris de vendeurs.Chaque étal était une île de lumière.Et sur chaque table…Pas des objets neufs.Pas des trésor
Ils quittèrent la tour à l’aube.Derrière eux, le paysage semblait avoir changé de lumière.Comme si le monde lui-même avait entendu leurs aveux.Ils marchaient sans parler.Mais leur silence n’avait rien de vide.Il était plein de ce qu’ils étaient devenus.Leurs pas étaient plus ancrés.Leur souffle plus libre.Et dans leurs regards, une reconnaissance nouvelle.Non pas de l’autre.De soi.Ils ne cherchaient plus à arriver quelque part.Ils se laissaient guider.Par ce qu’ils ressentaient.Et par ce que le monde leur murmurait.Le sentier les mena à une clairière.Large.Ouverte.Mais couverte d’une brume douce.Presque vaporeuse.Au centre, une grande toile suspendue entre quatre arbres.Et autour… des vêtements.Suspendus dans l’air.Mais sans corde.Sans cintre.Flottants.Invisibles.Parfois, un pli se dessinait.Une manche.Un col.Une étoffe qui ondulait comme une pensée.Et tout près, un homme.Assis.Silencieux.Il tissait.Pas avec une machine.Avec ses mains.Et son souffl
Ils marchaient depuis deux jours sans croiser âme qui vive.Le paysage avait changé.Les arbres étaient devenus plus rares, plus noueux.Le ciel semblait plus proche.Et l’air, plus dense.Pas étouffant.Chargé.Comme si les pierres, les herbes, la terre elle-même retenaient leur souffle.À chaque pas, le silence s’intensifiait.Non pas vide, mais attentif.Ils sentaient qu’ils s’approchaient de quelque chose.Quelque chose de haut.Et soudain… elle fut là.Une tour.Plantée au centre d’une plaine nue.Ni forêt autour.Ni collines.Juste elle.Étrange.Brute.Presque organique.Elle semblait née de la terre, plutôt que bâtie.Pas de porte visible.Pas d’escaliers.Aucune ouverture.Juste cette masse haute, droite, impossible à ignorer.Et pourtant… étrangement invitante.Ils s’approchèrent.Chaque pas vers elle semblait plus lourd.Comme si la tour pesait sur l’air lui-même.Ou sur leurs épaules.Sur leurs pensées.Et en arrivant à sa base, ils virent une inscription gravée dans la pi
Le matin se leva sans hâte, étirant ses couleurs comme on déploie une couverture sur un corps endormi.Les enfants, encore enveloppés dans les souvenirs vibrants de la montagne d’échos, marchaient d’un pas calme, presque méditatif.Leur silence n’était plus pesant.Il était plein.Plein de ce qu’ils avaient déposé là-haut.Plein de ce qu’ils ne savaient pas encore nommer.Et dans l’air, une douceur.Un parfum de terre, de mousse, de promesse.Ils ne savaient pas où ils allaient, mais ils savaient que quelqu’un les attendait.Et ils avaient appris, désormais, à faire confiance au chant du monde.Au milieu de la journée, ils atteignirent une vallée.Fermée.Paisible.Presque retenue.Comme un lieu qui ne veut pas trop s’offrir.Le sentier descendait doucement, bordé de fleurs pâles, de pierres rondes.Et au fond, une maison.Ou plutôt, une forme.Faite de bois, de tissus, de silence.Elle ne ressemblait à aucune autre.Elle semblait tissée d’absence.Et pourtant, tout en elle disait : e