mardi 6 décembre 2107—Xalyah!Je me réveille en sursaut en reconnaissant la voix de mon frère.—Xavier, c’est toi?Je me lève d’un bond et me colle contre la porte.—Fais-moi sortir de là!Mon frère se tient juste de l’autre côté, ses yeux verts me dévisageant avec intensité.—Malheureusement, je ne peux pas.—Comment ça tu ne peux pas? Il y a forcément un moyen.—Dès qu’Alexian m’a mis au courant, je suis allé voir le général pour essayer de désamorcer la situation, mais il n’a rien voulu savoir. Et ton altercation avec le commandant Tragord n’arrange pas tes affaires.—Mais qu’il aille se faire foutre celui-là!—Heu… Xalyah…—C’est lui qui m’a provoquée, continué-je en l’ignorant.—Ce n’est pas avec de telles paroles que vous allez sortir plus vite de là, rétorque alors l’intéressé, sortant de l’om
«Allongée dans ma cellule, je tremble des pieds à la tête. En plus d’avoir mal, j’ai froid, et une violente quinte de toux m’arrache les poumons. Je passe une main poussiéreuse et tachée de sang sur mon front en sueur. Sans doute ai-je de la fièvre. Depuis quelques jours, je me sens moins lucide, plus faible. À peine ai-je la force de tenir tête à mes geôliers pour ne pas leur donner l’impression que je baisse les bras.Mon dernier repas dans cette cantine collective remonte à une éternité. J’en ai profité juste assez pour ne pas dépérir, mais pas suffisamment pour réellement me refaire une santé. Ces cons savent vraiment ce qu’ils font.La porte s’ouvre et la lumière provenant du couloir m’aveugle momentanément. Quelqu’un m’attrape alors par le bras pour me remettre debout, mais je tiens à peine sur mes jambes.—Tiens, mon geôlier préféré, grogné-je en reconnaissant l’homme qui a l’habitude de me trimballer à droite à gauche, selon les humeurs des b
samedi 17 décembre 2107J’ouvre les yeux. Il fait sombre et les battements de mon cœur résonnent fort dans ma poitrine. Le souffle saccadé, je me tourne sur le côté, pour accrocher du regard la lumière qui passe faiblement à travers les barreaux de la lucarne et sous le seuil de la porte de ma cellule.Dix jours que je suis là. Dix putains de journées à me peler les fesses dans cette pièce humide. En plus ils m’ont mise à la diète et j’ai faim. Très faim. À en avoir mal à la tête. Je repense alors à cet enfant. Son nom? Je ne le connaissais pas. Mais jamais, jamais je n’oublierai ce qu’ils lui ont fait. Ce qu’il lui a fait.Je lève les deux mains vers mon visage et me pince l’arête du nez pour tenter de soulager la tempête qui fait rage dans ma tête. Allez ma vieille, du nerf. Ce n’est rien à côté de ce que tu as déjà subi… Quand bien même… j’aimerais que la paix et la tranquillité s’installent un peu plus souvent à mes côtés au quotidien. J’en ai ma c
dimanche 18 décembre 2107J’ai attendu toute la matinée et le début de l’après-midi. Personne n’est venu me voir et j’en viendrais presque à regretter de ne pas avoir fini mon repas hier. Alors j’ai tué le temps comme je le pouvais, récitant mentalement le nom de toutes les personnes dont Thomas m’a parlé, récapitulant tous les évènements importants de ces derniers jours pour avoir une vision globale de ce qu’il se passe.Puis sans m’en rendre compte, mes pensées m’emmènent vers le Prophète. A-t-il prédit que j’en arriverais là aujourd’hui? Y aurait-il eu un moyen de l’empêcher? À quel moment les choses auraient-elles pu être différentes si j’avais pris d’autres décisions?Je frissonne en repensant à la forme humanoïde de cette machine. Et elle, quel est son rôle dans tout ça? Est-elle juste une observatrice ou façonne-t-elle les choses à sa convenance? Je me souviens qu’elle a affirmé avoir fait circuler de
mercredi 23 novembre 2107L’aube vient de se lever et Khenzo m’attend, assis en travers de la porte d’entrée, à l’abri du vent. Surprise de voir qu’il ne m’a pas abandonnée comme il aurait été en droit de le faire après la façon dont je me suis comportée avec lui, je reste immobile. Tout en le dévisageant en silence, je plaque une main sur mon flanc pour endiguer la douleur qui irradie toujours de ma plaie par balle. Si seulement il n’y avait que cette douleur qui me fasse souffrir...—Tu as pris ta décision à ce que je vois, déclare-t-il d’une voix qui ne laisse transparaître aucune émotion.—Excuse-moi, murmuré-je, penaude.—C’est déjà fait.Il se relève et s’avance vers moi en me tendant une pomme:—Mange.Un peu décontenancée, je continue de le scruter. Il n’était pas obligé de me repêcher dans ce fleuve. Il n’était pas obligé de me retirer cette putain de balle et de me recoudre pour que je ne me
«Une fois de plus je suis traînée par terre, comme on traîne une vulgaire serpillière derrière soi. Une fois de plus, le soldat qui me tient par le bras me jette dans une pièce froide. La même que la dernière fois? Une autre? Je n’en sais rien. Tout se ressemble ici. Les cellules, les soldats, les pièces, les hommes en blouse blanche, les journées… ou les nuits… ou les heures. Je ne sais plus. J’ai perdu la notion du temps depuis un moment déjà.Dès que je peux, j’essaye de dormir, de reprendre des forces, cependant ils ne me laissent aucun répit. Chaque instant devient une bataille qu’il faut remporter pour survivre. Pour l’instant, je garde le cap. Mais pour combien de temps encore?Un autre soldat, qui patientait dans la pièce, me soulève par le col de mon t-shirt couvert de sueur et de sang et me décoche un formidable revers de main. S’il croit que je vais rester consciente de cette manière, il va falloir qu’il revoie un peu ses méth
jeudi 24 novembre 2107J’ouvre les yeux, le cœur battant à tout rompre. Allongée sur le sol, la tête posée sur l’épaule de Khenzo, ce dernier m’entoure de ses bras. Sa respiration est lente et profonde, comme dans la maison bourgeoise. Apaisante.Il ne fait pas chaud, alors même si je ne suis pas très à l’aise, je reste collée à lui, attendant qu’il se réveille à son tour. Lui aussi a besoin de repos. Et j’espère que le sien aura été plus réparateur. Je ressasse un moment ce qui a peuplé mes rêves cette nuit.—Je ne sais pas ce que tu as dans la tête, marmonne mon compagnon, mais tu devrais arrêter d’y penser.L’espace d’un instant, son étreinte se resserre avant de se relâcher. Le jeune homme se frotte les yeux énergiquement et je me redresse sur un coude pour lui laisser un peu de place.—Tu as bien dormi? demandé-je poliment.—Mieux que toi si j’en juge ta tête, répond-il.Je fronce les sourcils et me lè
vendredi 25 et samedi 26 novembre 2107Peu à peu, je sors du brouillard opaque dans lequel j’ai sombré si facilement. J’aimais bien cette sensation étrange où l’âme semble flotter entre deux mondes, où plus rien n’est tangible.Consciente d’être allongée sur un lit, dans une chambre que je ne connais pas et libre de m’en évader à n’importe quel moment pour remonter le fil de mes souvenirs, je maîtrise de moins en moins les images qui assaillent sans relâche mon esprit. Le présent revient au galop et avec lui la réalité de tout ce que j’ai vécu ces deux dernières années. L’angoisse et la terreur m’étreignent alors et j’essaye de leur échapper en courant à travers ce brouillard qui me semble être ma seule issue.Par moments, je croise le regard inquiet de Khenzo, à d’autres, les yeux doux de cette vieille femme et l’instant d’après, c’est le regard agonisant d’Adrien qui pèse sur moi ainsi que le visage bleui par la mort de ma mère.Je les supplie de me
dimanche 18 décembre 2107J’ai attendu toute la matinée et le début de l’après-midi. Personne n’est venu me voir et j’en viendrais presque à regretter de ne pas avoir fini mon repas hier. Alors j’ai tué le temps comme je le pouvais, récitant mentalement le nom de toutes les personnes dont Thomas m’a parlé, récapitulant tous les évènements importants de ces derniers jours pour avoir une vision globale de ce qu’il se passe.Puis sans m’en rendre compte, mes pensées m’emmènent vers le Prophète. A-t-il prédit que j’en arriverais là aujourd’hui? Y aurait-il eu un moyen de l’empêcher? À quel moment les choses auraient-elles pu être différentes si j’avais pris d’autres décisions?Je frissonne en repensant à la forme humanoïde de cette machine. Et elle, quel est son rôle dans tout ça? Est-elle juste une observatrice ou façonne-t-elle les choses à sa convenance? Je me souviens qu’elle a affirmé avoir fait circuler de
samedi 17 décembre 2107J’ouvre les yeux. Il fait sombre et les battements de mon cœur résonnent fort dans ma poitrine. Le souffle saccadé, je me tourne sur le côté, pour accrocher du regard la lumière qui passe faiblement à travers les barreaux de la lucarne et sous le seuil de la porte de ma cellule.Dix jours que je suis là. Dix putains de journées à me peler les fesses dans cette pièce humide. En plus ils m’ont mise à la diète et j’ai faim. Très faim. À en avoir mal à la tête. Je repense alors à cet enfant. Son nom? Je ne le connaissais pas. Mais jamais, jamais je n’oublierai ce qu’ils lui ont fait. Ce qu’il lui a fait.Je lève les deux mains vers mon visage et me pince l’arête du nez pour tenter de soulager la tempête qui fait rage dans ma tête. Allez ma vieille, du nerf. Ce n’est rien à côté de ce que tu as déjà subi… Quand bien même… j’aimerais que la paix et la tranquillité s’installent un peu plus souvent à mes côtés au quotidien. J’en ai ma c
«Allongée dans ma cellule, je tremble des pieds à la tête. En plus d’avoir mal, j’ai froid, et une violente quinte de toux m’arrache les poumons. Je passe une main poussiéreuse et tachée de sang sur mon front en sueur. Sans doute ai-je de la fièvre. Depuis quelques jours, je me sens moins lucide, plus faible. À peine ai-je la force de tenir tête à mes geôliers pour ne pas leur donner l’impression que je baisse les bras.Mon dernier repas dans cette cantine collective remonte à une éternité. J’en ai profité juste assez pour ne pas dépérir, mais pas suffisamment pour réellement me refaire une santé. Ces cons savent vraiment ce qu’ils font.La porte s’ouvre et la lumière provenant du couloir m’aveugle momentanément. Quelqu’un m’attrape alors par le bras pour me remettre debout, mais je tiens à peine sur mes jambes.—Tiens, mon geôlier préféré, grogné-je en reconnaissant l’homme qui a l’habitude de me trimballer à droite à gauche, selon les humeurs des b
mardi 6 décembre 2107—Xalyah!Je me réveille en sursaut en reconnaissant la voix de mon frère.—Xavier, c’est toi?Je me lève d’un bond et me colle contre la porte.—Fais-moi sortir de là!Mon frère se tient juste de l’autre côté, ses yeux verts me dévisageant avec intensité.—Malheureusement, je ne peux pas.—Comment ça tu ne peux pas? Il y a forcément un moyen.—Dès qu’Alexian m’a mis au courant, je suis allé voir le général pour essayer de désamorcer la situation, mais il n’a rien voulu savoir. Et ton altercation avec le commandant Tragord n’arrange pas tes affaires.—Mais qu’il aille se faire foutre celui-là!—Heu… Xalyah…—C’est lui qui m’a provoquée, continué-je en l’ignorant.—Ce n’est pas avec de telles paroles que vous allez sortir plus vite de là, rétorque alors l’intéressé, sortant de l’om
lundi 5 décembre 2107L’aube se lève à peine sur les ruines qui entourent l’entrepôt que nous sommes déjà rassemblés devant les véhicules, prêts à partir. Une brume blanchâtre nous entoure, ce qui donne un air solennel aux adieux que nous échangeons avec Yasshem et Madaline, ainsi que les quelques personnes qui ont fait l’effort de mettre leur nez dehors.Il faut dire que nous ne sommes pas restés suffisamment longtemps avec Khenzo pour réellement sympathiser avec les résidents et, pour le moment, nous sommes les seuls à faire partie du convoi de retour vers Belary, en plus des hommes de Tragord.Ce dernier a promis à Yasshem de renvoyer un autre convoi avec des camions de transport qui, à l’aller, serviront à amener les premiers équipements nécessaires à la mise en place d’un avant-poste et, au retour, rapatrieront ceux qui voudront se mettre à l’abri.Même si pour le moment je me méfie de cet homme, je dois reconnaître qu’il a le sens de l’organisat
dimanche 4 décembre 2107Le lendemain matin, Khenzo m’apprend qu’au moins dix personnes ont trouvé la mort pendant la nuit, dont deux résidants des lieux. Il y aurait également quelques blessés plus ou moins sévères dans les rangs de Yasshem. Effectivement les échanges de coups de feu ont été nourris pendant deux ou trois heures, ce qui ne m’a pourtant pas empêchée de somnoler pendant tout ce temps, partagée entre inquiétude et culpabilité. Inquiétude pour ceux risquant leur vie dehors, culpabilité concernant mon inaction dans l’histoire.—Noellie est morte, m’annonce Khenzo de but en blanc, l’air fatigué.—Noellie? répété-je, ne voyant pas de qui il parle.—La fille aux cheveux frisés.J’essaye de rester impassible, mais j’avoue que la nouvelle me secoue un peu. Pas plus tard qu’hier, elle était une jeune femme pleine de vie et d’entrain et aujourd’hui…—Comment est-ce arrivé?—Deux des l
samedi 3 décembre 2107J’ouvre les yeux à moitié, émergeant avec difficulté de mon rêve. Revivre en permanence le passé m’épuise, mais je n’arrive pas à l’empêcher, comme si mon inconscient semblait vouloir ressasser encore et encore ces souvenirs pour garder ma motivation première intacte.Je me redresse et regarde autour de moi avec une impression de déjà-vu: des gamins qui jouent, des hommes et des femmes qui s’activent et au milieu, un petit vieux qui passe parmi les lits de camp avec le petit déjeuner.Comme la dernière fois, je prends le récipient en le remerciant et engloutis la gelée d’une seule bouchée. Ensuite, je m’étire de tout mon long et me dirige vers le coin repas pour déposer la vaisselle dans les bacs prévus à cet effet. Je n’attends pas qu’on me dise quoi faire et attrape l’un d’eux pour nettoyer tout le contenu.Mervin passe devant moi avec Louna et m’adresse un timide signe de la tête. Je lui réponds de la main.—&nbs
«La terreur fait maintenant partie intégrante de moi. Elle rôde en permanence, n’attendant qu’un signe de faiblesse de ma part pour me faire perdre pied. Souvent je résiste, mais à chaque fois j’y succombe, n’étant alors plus que spectatrice de mes frayeurs et de ma douleur.Séances après séances, cet homme au regard étrange a éveillé des peurs profondes. Des peurs que je n’aurais jamais imaginé ressentir. Pourtant elles sont bien là, en moi, ancrées dans mon esprit, enfouies dans mes entrailles.Et quand le doc en a fini avec moi, d’autres prennent le relais pour éprouver la résistance de mon corps. C’est subtil, ça laisse peu de traces, mais ça fait un mal de chien. La combinaison des deux tortures me donne l’impression d’être réduite à une masse molle, inerte, qui tente de se ranimer à chaque accalmie, mais indéniablement, mon état se dégrade de plus en plus.La souffrance, ce n’est pas tellement le plus dur dans cette situation. Comme tout, on s’y fait
vendredi 2 décembre 2107Deux jours que nous marchons sans relâche. Nous nous sommes arrêtés quelques heures seulement cette nuit, pour nous restaurer et trouver un peu de chaleur. Nous sommes exténués. Après avoir changé plusieurs fois de direction, être revenus sur nos pas, avoir hésité, les jambes sont lourdes, les sacs pèsent des tonnes, mais notre calvaire arrive bientôt à son terme.Au bout de la rue se dresse l’entrepôt où Yasshem nous a reçus généreusement il y a quelques jours. Revoir cette bâtisse se dresser dans le ciel blanc me donne des frissons. La dernière fois j’étais encore pleine d’espoir, si contente de toucher presque au but après tout ce temps. Revenir ici, c’est témoigner de l’échec cuisant de ma mission, qui consistait à retrouver ma place auprès des miens. Si seulement j’avais été plus rapide, plus forte… Peut-être qu’ils ne seraient pas morts aujourd’hui.Khenzo, qui a sans doute senti ma détresse, pose une main sur mon épaule. Je le