À mon réveil, Ellis n’était plus là.J’ai passé trois jours à voguer entre instructions de mission, travail physique et recherches sur Soulmates. Je dois mener à bien la mission qu’ils m’ont confiée. Je ne sais pas comment je vais me débrouiller, mais je n’ai pas le choix. J’ai essayé d’enfermer mes sentiments pour Ellis dans un coin de mon cerveau, de les repousser le plus loin possible, pour ne plus y penser. Et à la place, je me suis tournée vers Isaac.Volonté propre ou restes de produits chimiques? Je n’en aurai jamais la confirmation, mais je me sens bien avec lui. Il n’est pas parfait, mais qui l’est? Un peu trop franc – oui, c’est possible – et très bavard, il ne semble jamais trouver le temps long quand il parle de Mae. Je ne suis pas sûre qu’il y ait quoi que ce soit de romantique entre eux, tout juste le maigre espoir de pouvoir survivre un jour de plus. Ils se serrent les coudes et semblent se comprendre. L’égocentrisme dont il fait preuve me fasci
À l’étage, je ris de ma bêtise. C’était tellement évident… Nous sommes dans ma petite chambre, celle que je partageais avec les chats lorsqu’ils hantaient encore les lieux. Toute petite, mais tellement lumineuse, les fenêtres mangent les façades de la pièce et l’inondent d’un soleil timide. Les murs blancs, le parquet clair et les meubles en bois sentent le cèdre et je me perds dans les souvenirs que j’ai, alors que petite, je lisais sous la couverture à l’aide d’une lampe torche pour ne pas réveiller mes parents.<nostalgie>—C’est un joli tapis, tu ne trouves pas? demandé-je à papa alors qu’on le dispose dans la pièce.—Oui, dragons et licornes, ça ne m’étonne pas de toi.Il pose sa main sur ma tête et je me gargarise de ce contact. J’aime quand il est d’accord avec mes choix, et puis il s’accorde parfaitement avec les draps-housses parsemés de loups-garous.—Tu en prendras soin, d’accord? Il est important qu’il r
—On la veut en vie! hurle une voix déformée par le choc.J’ai encore une chance de m’en sortir. Je ne sais pas qui ils sont ni ce qu’ils veulent. Je me relève, franchis le canapé alors que les débris crissent sous mes pas maladroits. Je dois en ressortir vivante et apporter ce que j’ai dans le crâne à la Rébellion. Je titube entre les souffles de nouvelles explosions pour atteindre la terrasse. Du sang noir poisse ma vision.Autre bonne nouvelle: je connais le terrain, moi. De la fumée obstrue leur vision et j’en profite. Je m’approche du bord, retiens un haut-le-cœur en avisant le sol cinq mètres plus bas.—Ne bougez plus! hurle l’un des policiers.Je lui jette un regard: il me tient en joue avec ce qui me semble être une arme électrifiée. Pas de balles. Je suis déjà de l’autre côté de la rambarde, les deux mains sur la barre de fer.—Revenez de notre côté sans faire de mouvements brusques!Trois
Mon père? Impossible.Il ne pouvait pas en faire partie. Je… Je l’aurais su. Ma mère l’aurait su… Non? Peut-on cacher ce genre de choses aux gens que l’on aime?Cette pensée me fait l’effet d’une claque.Ce ne sont pas mes mots, mais ceux de Jaspe, ceux que je peinais tant à comprendre quand il ne digérait pas mon mensonge. C’est bien plus facile quand on est de l’autre côté de la barrière, quand on ment. On s’enfonce dans la tromperie comme dans un plaid, c’est doux, agréable et rassurant. Mentir nous permet d’être autre chose, de trouver une autre voie, un autre chemin, une manière alternative de vivre. Mentir est devenue au fil des années mon armure.Et je la tiens de mon père.Sans le savoir, je suis devenue celle qu’il a toujours été, cet être complexe dont nous ne connaissions que les parts de lumière, car en accepter les parts d’ombre aurait été trop douloureux.Fracassée par cette révélation, je n’ose même plus croiser
—As?Je sursaute comme une gamine prise en flagrant délit et referme tout ce que j’ai ouvert dans mon esprit. Heureusement, personne ne peut voir ce que je visionne…—J’ai frappé deux fois, tu n’as pas entendu? s’étonne Ellis. Je peux entrer?—Oui, oui, vas-y.J’ai griffonné des mots incompréhensibles sur le bloc-notes devant moi alors que j’essayais de mettre en place le peu de neurones qui me restaient pour réfléchir à un plan.—Merci pour tout à l’heure, les sales bêtes dans mon esprit font vraiment n’importe quoi.—Je viens te voir, car j’ai besoin que tu me suives.—Quoi, pourquoi? Ce n’est vraiment pas recommandé pour mon cas…—Tu sais bien que si ce n’était pas important, je ne te ferais pas déplacer.Il me tend la main et je fronce les sourcils. Je ne me fais pourtant pas prier
Il prend mon visage en coupe et dépose un baiser sur mes lèvres, comme s’il avait peur de me briser. Mes mains maintiennent ses poignets alors que j’exerce une pression plus forte. Je titille sa lèvre inférieure, goûte son souffle pour perdre le mien. Notre baiser, à l’instar du monde, n’est pas parfait. Nos dents s’entrechoquent, mes cheveux chatouillent ses joues et je suis pantelante, quand finalement je me recule.<nostalgie>—Ça fait combien de temps que tu es toute seule? s’énerve Sarah.—Ça va, quelques mois, ce n’est rien…—Une bonne douzaine, alors, grommelle-t-elle.—Et alors?—Alors tu devrais te trouver quelqu’un.—Pourquoi? Pourquoi voulez-vous tous que je sois avec quelqu’un d’autre?—Tu gardes le souvenir de Jaspe et…—Non. Je chéris ma solitude, car je peux enfin me construire telle que je le souhaite. Je mène mes recherches, sors
—Mon père a laissé une porte dérobée dans le programme, expliqué-je à Ellis alors que nous nous sommes attablés.Même si mes tympans sifflent encore et que mon cœur bat trop vite de nos baisers, je ne dois pas perdre mon objectif de vue. Bientôt, Soulmates 2.0 sera implanté chez tout le monde, et je ne sais pas si ce cran de sûreté existe encore sur la nouvelle version. Il faudrait donc désactiver le programme chez tout le monde avant que le nouveau logiciel prenne sa place. Qu’ils réalisent et le fassent interdire, ou au moins qu’ils aient le choix face à la nouvelle version.Nous sommes assis dans ma chambre, face au bureau et je n’ai qu’une envie, me jeter sur lui, le dévorer de baisers, connaître la moindre parcelle de son corps. Je me retiens.—Si nous arrivons à avoir accès à l’ordinateur principal, nous pourrions désactiver tous les programmes chez tout le monde avec quelques lignes de code.—L’ordinateur central est situé dans les l
—As? crie Ellis de l’autre côté de la cloison.Ah tiens, il est revenu!—Tu es sous la douche? s’époumone-t-il pour que sa voix porte au-dessus des percussions de l’eau sur le zinc du bac.—J’arrive.Je me savonne rapidement, éteins l’eau, m’enroule dans une serviette devenue rêche d’avoir été trop lavée. Le mobilier est spartiate, mais c’est déjà mieux que la mort.—Dépêche-toi.Poussée par l’urgence dans sa voix j’ouvre la porte alors que je ne suis qu’en serviette de bain. Son regard ahuri est bien vite remplacé par le masque de rigueur qu’il déploie à chaque fois, sauf que je ne suis pas idiote et encore moins aveugle: je sais que ce qu’il voit lui plait.Je ne suis pas sûre d’avoir une âme de séductrice, mais savoir que je plais, toutefois… c’est agréable. C’est revigorant, comme si l’on méritait d’être vu. Malgré mes os taillés en pointe, ma peau devenue flasque et couturée de blessur
Parfois, je repense à son corps qui s’effondre, à son regard d’incompréhension qui me transperce. Je ne sais pas pourquoi ce souvenir remonte à la surface… Comme une tache qu’on essaie d’effacer, mais qui reste indélébile.Je mentirais en disant que ça ne me fait rien, mais j’ai l’habitude du mensonge.Ça ne me fait pas rien, mais ça ne me fait pas quelque chose non plus… Juste une ancienne cicatrice que l’on a envie de gratter, ou que l’on détaille de temps à autre, juste pour se remémorer qu’elle est là.Je me contente de regarder dans le vide, de me rappeler ses mains sur mon corps, ses lèvres sur les miennes. J’essaie désespérément de me souvenir de ce que je ressentais pour lui, de me replonger dans cet océan d’incertitudes, cette insécurité béate dans laquelle nous plonge l’amour.Je ne dirais pas que ce mot a été banni, juste qu’on ne le prononce plus vraiment. On se regarde les uns les autres, comme des fantômes errant
—D’accord As, je vais t’expliquer. De toute manière ça ne change plus grand-chose, maintenant.Je déglutis douloureusement. Il me prend de haut, me fait comprendre qu’il sait tout et que je ne sais rien. Est-ce que le Ellis chaleureux était un masque? S’ était-il forgé une personnalité pour me plaire? Dans quel but? Dans quelle optique?—Isaac ne t’a pas été attribué arbitrairement, mais le Docteur te l’a déjà dit un peu plus tôt, n’est-ce pas?—Le Docteur Healey…Je n’ai pas besoin qu’on m’explique davantage pour comprendre leur raisonnement. On m’a implanté une âme sœur faussée dès le départ et elle était censée me guider jusqu’à la Rébellion, mais pourquoi?Il peut lire en moi comme dans un livre ouvert et c’est sans surprise qu’il répond avant même que j’aie formulé la question à haute voix:—Parce que tu es la fille Wheel, que tu savais où étaient cachés les dossiers et que
Le silence m’étouffe, puis le soulagement.L’incompréhension aussi, de voir que nous y sommes finalement arrivés. Que nous en sommes là… Je ne peux pas y croire. Nous restons un long moment accroupis, le temps de reprendre notre souffle, d’oser enfin se regarder dans les yeux.—Tu… tu saignes! m’horrifié-je en voyant son bras gauche.—C’est superficiel.Il prend mon visage en coupe et plonge son regard dans le mien. Je crois que nous avons tous les deux envie de nous embrasser, de montrer au monde entier que l’amour existe. Et pourtant, je ne sais pas si je serai capable de le faire alors que Soulmates est encore dans mon cerveau. La première fois que nos lèvres se sont scellées, je ne savais pas qu’il était tatoué sur mon avant-bras et je pensais qu’il s’agissait du véritable amour.J’aimerais pouvoir en être convaincue à nouveau. J’aimerais être certaine d’être tombée amoureuse de lui pour les bonnes raisons. Déjà, sans avoir reçu
Les flammes lèchent Adrian, provoquant ses hurlements, alors qu’il disparaît de notre champ de vision en tournant à gauche. Il ne reste bientôt que les traînées noires sur le sol dans la lumière vacillante. Ils vont recommencer. Ils vont nous immoler. Je ferme les yeux et exige de l’équipe qu’on me lâche.—Putain lâchez-la! gueule Ellis. On vient à votre rencontre, on va les coincer par-derrière, tenez bon.Ellis, toujours là pour me sauver, pour réparer les pots cassés. Ellis qui n’arrivera probablement pas à temps cette fois-ci.Sauf si…Je dégaine mon flingue, lève le bras, maintiens mon poignet de la main gauche pour ne pas vaciller.—As, bouge, on recule!Des mains s’emparent de moi et je me dégage d’un coup d’épaule. De ce carrefour, sur la gauche, sortent les flammes qu’ils projettent. Elles envahissent tout le couloir pour nous acculer et nous forcer à reculer, à nous mettre à découvert. Seulement je ne reculerai
«Tire à vue», c’est le seul conseil qu’on m’a donné en me catapultant ici. J’hésite à sortir mon arme, mais ça briserait de suite ma couverture. Je n’ai pas le temps de réfléchir: il me reste dix minutes avant que les caméras de sécurité ne réalisent la supercherie.Pour le moment, la voie est libre.Je prends Isaac sur mon canal personnel, c’est lui qui va me guider jusqu’à l’ordinateur miracle.—As, tu vas prendre à droite à la prochaine intersection.—Tu peux voir s’il y a des patrouilles sur ton bidule? chuchoté-je.—Non, alors garde l’œil ouvert.—Non, je fais un colin-maillard.Il pouffe, puis le silence revient. Je déambule d’une manière que j’espère peu suspecte, en retenant toujours mon souffle à chaque fois que je passe un embranchement. Il me guide sans que j’aie besoin de râler et quand je croise un autre groupe de scientifiques, je me contente d’un petit hochement de tête en g
J’ai envie d’appeler Ellis.Je me retiens, nous sommes en mission, pas en badinage. On descend les différents étages, alors que les strates de chaque niveau nous apparaissent quand nous les dépassons. Mae reste silencieuse et moi aussi, mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Elle doit être soulagée… Peut-être agacée aussi, que je sois une cible si facile. Mais polie, elle se contente de croiser les bras et d’attendre que nous arrivions en bas.L’architecture de mon être est en train de s’effondrer quand nous sortons de la cage de verre. Je fais taire les combats qui m’assaillent et garde la tête haute ; As, celle du lycée, je l’invoque, je l’implore, celle qui se moquait bien des quolibets, des œillades, des remarques déplacées. Reviens, celle qui était encore fière et forte, fais-nous l’honneur de venir sauver ce qui peut encore l’être.L’apaisement me gagne quand nous déambulons dans les rues que je connais si bien. La chaleur, le soleil, la promesse d’une ét
Jaspe est là. Oui, c’est bien lui.Lorsque son regard me transperce, je meurs un petit peu plus, je me décompose. Il va nous vendre. Il va sonner l’alerte. Il a forcément dû voir les informations. Il sait qui je suis, ce que je représente ; les entrailles de la Rébellion, l’âme des résistants, le cœur libre.Je remercie Mae d’être la femme intelligente qu’elle est: quand j’agrippe son avant-bras, elle comprend en un coup d’œil que lui et moi nous connaissons et que tout notre plan s’écroule pour une seconde, un regard, un souffle, un baiser, un amour de jeunesse.L’amour pour briser nos plans.Je retiens un rictus mauvais tandis que les secondes s’égrènent et que le temps s’effondre entre nous. La faille spatio-temporelle qui nous sépare va bientôt se réduire. Il se remettra à courir comme il l’a toujours fait, galopant à une allure folle, sans que rien n’ait d’emprise sur lui. Nous avons vécu cinq ans ensemble. Une brise. Une caresse sur nos peaux alo
J’aurais aimé bénéficier d’une nuit plus longue. Les néons clignotent à huit heures, ordre d’Harmonie pour que l’on reste en vie. Le noir, la nuit, l’obscurité encombre l’esprit à tel point qu’on ne veut plus sortir du lit, et l’on reste en boule, prostré, à penser à tout ce que l’on a laissé derrière nous. Ellis dépose un baiser sur le sommet de mon crâne et s’extirpe des couvertures en s’étirant comme un chat.—C’est un beau jour pour mourir.—Jolie référence, noté-je avant de me lever à mon tour.Case douche, puis cafétéria. La journée va encore être longue avant que l’heure fatidique n’approche, tout le temps pour Ellis de me baratiner encore un peu, de m’inspirer confiance et par la même occasion de me détourner de l’échéance.—C’est dingue que nous soyons arrivés à ce stade-là, lancé-je, un peu placidement, alors que nous sommes dans la salle informatique pour nous tenir au courant avant le départ.—C’est-à-dire?
Ellis dort. Sa respiration, calme, me l’indique sans doute possible.Je me sens mal à l’idée de ce que je vais faire, mais je ne pourrai pas vivre sans savoir. Alors j’allume le réseau du Bunker, auquel j’ai accès depuis que j’ai prouvé ma valeur. Il marche beaucoup mieux sur ordinateur, seulement je ne veux pas regarder ça au milieu de tout le monde.Je prends un long moment avant de taper les mots. Comme si rien qu’écrire son nom pouvait briser tous les barrages que j’ai érigés jusqu’ici. Peut-être bien, en fin de compte, mais si demain je dois mourir, je veux savoir.<recherche>Jaspe Wolfe</recherche>Ça mouline, le petit cercle cherche, patine un peu, d’ailleurs. J’ai presque envie qu’il plante«désolé, connexion interrompue»et on passerait à autre chose. L’angoisse me tiraille, je n’ai aucune idée de ce que je vais trouver.Ou plutôt j’ai peur de ce que je vais lire.Le résultat des recher