Je me retourne et colle Nora contre le mur en plaquant ma main sur sa bouche pour lui intimer de se taire. Ses sanglots ruissellent sur ses joues et elle porte une main à ma taille pour s’ancrer à la réalité. De larges traînées de sang maculent mes vêtements – le sien – mais ça n’a pas d’importance. Pour le moment il faut juste échapper aux gardes, nous verrons après pour le reste.À tâtons je ferme à clé le cagibi sombre où je viens de nous cloîtrer, tandis que de l’autre côté de la porte, les gardes s’approchent bruyamment.C’est quitte ou double, même si je suis persuadée qu’ils ne nous ont pas vues.Les claquements de talons des officiers résonnent dans chacun de nos muscles et vrillent notre crâne. Les yeux de Nora sont si dilatés qu’elle a l’air droguée. Je presse mon corps contre le sien dans l’espoir de faire cesser nos tremblements, alors que son sang continue d’imbiber nos vêtements. Le bruit des voix étouffées nous parvient et je perçois dans le regard d
Ne pas réfléchir. Ne pas considérer. Oublier qu’il y a une gamine en train de crever dans un placard à balais. Oublier que le cadavre troué de Leïa m’a regardée m’éloigner dans ce magnifique dédale opalin. Et le soleil, toujours à me narguer avec ses rayons chauds dardés sur moi. Je pleure parce que je ne peux plus arrêter, je pleure parce que je n’ai pas le droit de faire autre chose pour le moment.Je dois me rendre aux cuisines.J’ai besoin d’en parler à quelqu’un, de cracher tout ce que j’ai sur le cœur. C’est con: je n’ai pas le temps pour ça, je devrais courir de toutes mes forces vers la cuisine, mais mon cœur clopine, mes souffles s’égarent, mes pensées divaguent. Je pose une main contre le mur, laisse les traces rougeâtres de la vie de Nora sur les vitres. Je m’en fous qu’on me pourchasse. Je m’en fous qu’on me coure après et que le diable soit à mes trousses. <iMessage: Ellis>—Nora laissée. Cuisine dans cinq minutes
Bonjour, bouche de fusil.Je lève les mains en l’air et lâche le couteau. Je me rends. C’est bon, j’ai assez joué à la fugitive.On est dans ce qui semble être un garage, une sorte de sous-terrain humide. J’aperçois des camions garés derrière les soldats, alors que l’un d’eux détache des menottes de sa hanche et m’ordonne de sortir.—Gardez bien les mains en l’air.Je m’exécute du mieux que je peux, même si je tremble de tous mes membres. Il m’ordonne de me tourner et je prends conscience que je vais mourir ici. Ils vont me déchiqueter, ouvrir mon crâne, bousiller le reste de l’héritage Wheel. J’ai envie de rire face à l’ironie de la chose, mais je ne pourrais sortir que des sanglots. Alors que je l’imagine me passer les menottes, le déchirement d’une détonation me fait tanguer.J’ai envie de vomir.Je m’arc-boute, les mains au-dessus de la tête à cause des vibrations qui retentissent dans mon crâne. Je fais un pas en avant pour me
Isaac est ensuite retombé dans les vapes. Je me suis marrée un moment sur sa phrase: si même la Rébellion ne veut pas de nous, nous sommes bien barrés. J’ai supposé qu’il s’agissait d’une pointe d’arrogance, dont il a l’air bourré. Ellis a terminé de le recoudre et s’est attaqué à sa jambe, mais à part des bleus devenus jaunes, il n’a trouvé aucune blessure inquiétante. Nous l’avons laissé sur le sol, de peur de le bouger et de rouvrir ses plaies.—Et maintenant? l’interrogé-je.—Tu n’es pas fatiguée?—Je suis morte.—Alors dormons et attendons de voir si ce con survit.Je fais le tour du propriétaire: rien à manger, pas d’eau chaude, à peine un filet de boue froide sort du robinet. Il y a bien une chambre, mais le matelas est tellement miteux que j’ai peur de dormir dessus.—Prends le canapé. Et range cette lame, soupire-t-il, ou tu vas te blesser.Je hoche la tête et la cache sous l
J’ai l’impression que les nanorobots cliquètent dans ma tête alors qu’ils se mettent en branle pour soigner ma commotion. Je ne peux m’empêcher de sourire ; Everlasting m’a peut-être sauvé la mise, pour une fois. La douleur reflue lentement mais je garde la tête dans les nuages, une brume désagréable vrillant mes tempes. Un bandeau m’obstrue la vue et aux vibrations que je ressens, je suis dans une voiture. Une voiture, vraiment?<nostalgie>—Ils vont bientôt nous retirer le tracteur, soupire mamie.—Pourquoi? demandé-je, alors qu’on est secoués comme des sacs de pommes de terre.—Trop de pollution, je crois que c’est lié aux moteurs, ma chérie. Mais c’est ton grand-père qui aurait pu nous dire, il s’y connaissait bien en mécanique, tu sais. Il travaillait dans le Glove, il y a bien longtemps. Ce tracteur, c’était le sien, alors j’aimerais le garder encore un peu… même si nous avons l’interdiction de nous en servir. Nous n
Le coup part et ricoche près de mon oreille pour aller se perdre dans les fourrés dans un écho strident. Je m’arc-boute tout en portant la main à mon tympan en grognant. Harmonie n’en a que le nom: sa tête est en bordel, elle vient de me tirer dessus!—C’était un test? crié-je. Vous auriez pu me toucher!—Comme tu le dis si bien, tu as un truc très intéressant sous le crâne, mais certaines personnes changent soudainement d’avis lorsqu’elles sont soumises à la pression. Sache qu’on va devoir te retirer ce que tu as dans la tête, je n’ai pas envie que de petits génies d’Everlasting se mettent à te pirater.—Je vais mourir si vous faites ça.—Oui, peut-être. Mais nos médecins ont appris à retirer Soulmates, alors je doute que le deuxième leur pose problème. Et puis nous n’avons pas le choix.Je ne veux pas qu’ils me le retirent, c’est ma seule porte de sortie. Tout ce que je vaux se trouve dans mon crân
Je suis en vie.Ça pétarade sous mon crâne, mais je suis en vie. J’ai envie de m’arracher la tête, les yeux, la peau, tout ce qui me compose, mais je suis là, à pouvoir respirer et penser. Alors tout va bien. J’ai l’impression d’avoir un marteau piqueur dans la tête. Je cligne plusieurs fois des yeux, afin de chasser les points noirs qui dansent devant moi.J’entrevois un visage. Je fais le point. On me parle. Les mots sonnent désordonnés.—As?—Hmmm.—Hé, doucement.Après avoir inspiré, expiré, dégluti, je réalise enfin qui me parle. Ellis. Mes yeux font le point vers son sourire timide. Qu’est-ce qu’il fait là? Il me sourit, me parle gentiment. Je suis au paradis, c’est définitif.—Tu es là; toi aussi?J’ai la voix qui tremble, tous les sens en pagaille. Le haut, le bas, le dessus ou le dessous n’ont plus de signification. Si le paradis ressemble à une vieille chambre de garage en bordel
Quand je repose le dossier me dévoilant les grandes lignes de ma mission, je ne me sens pas bien. Ils ne sont pas sérieux? Non, ils ne peuvent pas... Est-ce un test? Une façon de prouver ma valeur, ma volonté de m’intégrer? Est-ce que le but même de cette mission existe? Se jouent-ils de moi?Je reste coite sur mon lit, sans faire le moindre mouvement, abasourdie par ce que je viens de découvrir, par tout ce que ça remet en question et par l’avenir que je vois se créer sous mes yeux, alors que je pensais tout espoir vain.<nostalgie>—Tu seras brillante, As, et tu pourras m’aider avec Soulmates.On regarde les nanorobots vibrer sous l’œil acéré du microscope. Elles me fascinent, ces petites bêtes. Papa croit qu’elles pourront nous guérir, un jour. J’aimerais bien.—Ça, tu vois, c’est le futur, et c’est ce genre de choses que les ingénieurs inventent. C’est pour ça qu’on est utile. Certains pensent que ce
Parfois, je repense à son corps qui s’effondre, à son regard d’incompréhension qui me transperce. Je ne sais pas pourquoi ce souvenir remonte à la surface… Comme une tache qu’on essaie d’effacer, mais qui reste indélébile.Je mentirais en disant que ça ne me fait rien, mais j’ai l’habitude du mensonge.Ça ne me fait pas rien, mais ça ne me fait pas quelque chose non plus… Juste une ancienne cicatrice que l’on a envie de gratter, ou que l’on détaille de temps à autre, juste pour se remémorer qu’elle est là.Je me contente de regarder dans le vide, de me rappeler ses mains sur mon corps, ses lèvres sur les miennes. J’essaie désespérément de me souvenir de ce que je ressentais pour lui, de me replonger dans cet océan d’incertitudes, cette insécurité béate dans laquelle nous plonge l’amour.Je ne dirais pas que ce mot a été banni, juste qu’on ne le prononce plus vraiment. On se regarde les uns les autres, comme des fantômes errant
—D’accord As, je vais t’expliquer. De toute manière ça ne change plus grand-chose, maintenant.Je déglutis douloureusement. Il me prend de haut, me fait comprendre qu’il sait tout et que je ne sais rien. Est-ce que le Ellis chaleureux était un masque? S’ était-il forgé une personnalité pour me plaire? Dans quel but? Dans quelle optique?—Isaac ne t’a pas été attribué arbitrairement, mais le Docteur te l’a déjà dit un peu plus tôt, n’est-ce pas?—Le Docteur Healey…Je n’ai pas besoin qu’on m’explique davantage pour comprendre leur raisonnement. On m’a implanté une âme sœur faussée dès le départ et elle était censée me guider jusqu’à la Rébellion, mais pourquoi?Il peut lire en moi comme dans un livre ouvert et c’est sans surprise qu’il répond avant même que j’aie formulé la question à haute voix:—Parce que tu es la fille Wheel, que tu savais où étaient cachés les dossiers et que
Le silence m’étouffe, puis le soulagement.L’incompréhension aussi, de voir que nous y sommes finalement arrivés. Que nous en sommes là… Je ne peux pas y croire. Nous restons un long moment accroupis, le temps de reprendre notre souffle, d’oser enfin se regarder dans les yeux.—Tu… tu saignes! m’horrifié-je en voyant son bras gauche.—C’est superficiel.Il prend mon visage en coupe et plonge son regard dans le mien. Je crois que nous avons tous les deux envie de nous embrasser, de montrer au monde entier que l’amour existe. Et pourtant, je ne sais pas si je serai capable de le faire alors que Soulmates est encore dans mon cerveau. La première fois que nos lèvres se sont scellées, je ne savais pas qu’il était tatoué sur mon avant-bras et je pensais qu’il s’agissait du véritable amour.J’aimerais pouvoir en être convaincue à nouveau. J’aimerais être certaine d’être tombée amoureuse de lui pour les bonnes raisons. Déjà, sans avoir reçu
Les flammes lèchent Adrian, provoquant ses hurlements, alors qu’il disparaît de notre champ de vision en tournant à gauche. Il ne reste bientôt que les traînées noires sur le sol dans la lumière vacillante. Ils vont recommencer. Ils vont nous immoler. Je ferme les yeux et exige de l’équipe qu’on me lâche.—Putain lâchez-la! gueule Ellis. On vient à votre rencontre, on va les coincer par-derrière, tenez bon.Ellis, toujours là pour me sauver, pour réparer les pots cassés. Ellis qui n’arrivera probablement pas à temps cette fois-ci.Sauf si…Je dégaine mon flingue, lève le bras, maintiens mon poignet de la main gauche pour ne pas vaciller.—As, bouge, on recule!Des mains s’emparent de moi et je me dégage d’un coup d’épaule. De ce carrefour, sur la gauche, sortent les flammes qu’ils projettent. Elles envahissent tout le couloir pour nous acculer et nous forcer à reculer, à nous mettre à découvert. Seulement je ne reculerai
«Tire à vue», c’est le seul conseil qu’on m’a donné en me catapultant ici. J’hésite à sortir mon arme, mais ça briserait de suite ma couverture. Je n’ai pas le temps de réfléchir: il me reste dix minutes avant que les caméras de sécurité ne réalisent la supercherie.Pour le moment, la voie est libre.Je prends Isaac sur mon canal personnel, c’est lui qui va me guider jusqu’à l’ordinateur miracle.—As, tu vas prendre à droite à la prochaine intersection.—Tu peux voir s’il y a des patrouilles sur ton bidule? chuchoté-je.—Non, alors garde l’œil ouvert.—Non, je fais un colin-maillard.Il pouffe, puis le silence revient. Je déambule d’une manière que j’espère peu suspecte, en retenant toujours mon souffle à chaque fois que je passe un embranchement. Il me guide sans que j’aie besoin de râler et quand je croise un autre groupe de scientifiques, je me contente d’un petit hochement de tête en g
J’ai envie d’appeler Ellis.Je me retiens, nous sommes en mission, pas en badinage. On descend les différents étages, alors que les strates de chaque niveau nous apparaissent quand nous les dépassons. Mae reste silencieuse et moi aussi, mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Elle doit être soulagée… Peut-être agacée aussi, que je sois une cible si facile. Mais polie, elle se contente de croiser les bras et d’attendre que nous arrivions en bas.L’architecture de mon être est en train de s’effondrer quand nous sortons de la cage de verre. Je fais taire les combats qui m’assaillent et garde la tête haute ; As, celle du lycée, je l’invoque, je l’implore, celle qui se moquait bien des quolibets, des œillades, des remarques déplacées. Reviens, celle qui était encore fière et forte, fais-nous l’honneur de venir sauver ce qui peut encore l’être.L’apaisement me gagne quand nous déambulons dans les rues que je connais si bien. La chaleur, le soleil, la promesse d’une ét
Jaspe est là. Oui, c’est bien lui.Lorsque son regard me transperce, je meurs un petit peu plus, je me décompose. Il va nous vendre. Il va sonner l’alerte. Il a forcément dû voir les informations. Il sait qui je suis, ce que je représente ; les entrailles de la Rébellion, l’âme des résistants, le cœur libre.Je remercie Mae d’être la femme intelligente qu’elle est: quand j’agrippe son avant-bras, elle comprend en un coup d’œil que lui et moi nous connaissons et que tout notre plan s’écroule pour une seconde, un regard, un souffle, un baiser, un amour de jeunesse.L’amour pour briser nos plans.Je retiens un rictus mauvais tandis que les secondes s’égrènent et que le temps s’effondre entre nous. La faille spatio-temporelle qui nous sépare va bientôt se réduire. Il se remettra à courir comme il l’a toujours fait, galopant à une allure folle, sans que rien n’ait d’emprise sur lui. Nous avons vécu cinq ans ensemble. Une brise. Une caresse sur nos peaux alo
J’aurais aimé bénéficier d’une nuit plus longue. Les néons clignotent à huit heures, ordre d’Harmonie pour que l’on reste en vie. Le noir, la nuit, l’obscurité encombre l’esprit à tel point qu’on ne veut plus sortir du lit, et l’on reste en boule, prostré, à penser à tout ce que l’on a laissé derrière nous. Ellis dépose un baiser sur le sommet de mon crâne et s’extirpe des couvertures en s’étirant comme un chat.—C’est un beau jour pour mourir.—Jolie référence, noté-je avant de me lever à mon tour.Case douche, puis cafétéria. La journée va encore être longue avant que l’heure fatidique n’approche, tout le temps pour Ellis de me baratiner encore un peu, de m’inspirer confiance et par la même occasion de me détourner de l’échéance.—C’est dingue que nous soyons arrivés à ce stade-là, lancé-je, un peu placidement, alors que nous sommes dans la salle informatique pour nous tenir au courant avant le départ.—C’est-à-dire?
Ellis dort. Sa respiration, calme, me l’indique sans doute possible.Je me sens mal à l’idée de ce que je vais faire, mais je ne pourrai pas vivre sans savoir. Alors j’allume le réseau du Bunker, auquel j’ai accès depuis que j’ai prouvé ma valeur. Il marche beaucoup mieux sur ordinateur, seulement je ne veux pas regarder ça au milieu de tout le monde.Je prends un long moment avant de taper les mots. Comme si rien qu’écrire son nom pouvait briser tous les barrages que j’ai érigés jusqu’ici. Peut-être bien, en fin de compte, mais si demain je dois mourir, je veux savoir.<recherche>Jaspe Wolfe</recherche>Ça mouline, le petit cercle cherche, patine un peu, d’ailleurs. J’ai presque envie qu’il plante«désolé, connexion interrompue»et on passerait à autre chose. L’angoisse me tiraille, je n’ai aucune idée de ce que je vais trouver.Ou plutôt j’ai peur de ce que je vais lire.Le résultat des recher