Chapitre 3

Trois ans plus tard

Point de vue de Bailey

Je conduis sur la longue route qui mène à la meute. Je déteste ce trajet. C’est comme retourner en enfer pour moi. La meute de Lotus d’Ombre. Ma version personnelle de l’enfer. Pourtant, ces trois années passées loin, à étudier, ont été incroyables. J’ai pu devenir la femme que j’aurais toujours dû être. Confiance en moi. Assurance. Courage. Juste moi. Et maintenant, pleinement diplômée, je suis une enseignante qualifiée.

En tant que louve, on te martèle pendant des années que ta priorité est de trouver ton âme-sœur, ton compagnon prédestiné. Fonder une famille avec lui, créer un lien fort. Un amour. Une famille. Mais après avoir accepté que mes rêves naïfs d’adolescente ne se réaliseraient jamais—surtout grâce à la déesse de la lune qui m’a imposé un compagnon incapable d’aimer quelqu’un d’autre que lui-même—j’ai décidé de me concentrer sur ma carrière. Mon éducation avait toujours été une grande fierté pour moi. J’aimais apprendre, et j’avais décidé de transmettre ce don aux autres. Je ne me souciais plus du regard des autres. À l’université, entourée de gens qui ressentaient la même chose, je me suis enfin sentie à ma place.

C’est ça qui m’a permis de devenir la personne que j’étais censée être. Mais à présent, je dois retourner à la meute, sur leur ordre. L’accord était clair : une fois mon diplôme en poche, je devais revenir. Sauf si, bien sûr, j’avais trouvé mon compagnon. Mais, je savais au fond de moi que cela n’arriverait jamais. Mon compagnon m’attendait à la maison, se pavanant dans la meute, jouant les rois, couchant avec toutes les louves à sa portée, d’après ce que j’entendais, après m’avoir rejetée.

Je m’arrête aux portes gardées de notre meute. Harley, un de nos guerriers de garde, s’avance vers ma fenêtre. « Carte d’identité. », ordonne-t-il.

Je le regarde, surprise. On ne m’a jamais demandé mon identité en rentrant chez moi, même lors de mes rares visites. Je ne revenais que quand c’était absolument nécessaire. Ce lieu m’inspirait maintenant du dégoût, et revenir était devenu la dernière de mes priorités...

« Harley, c’est moi. Bailey. », je lui explique en essayant de ne pas sourire de son erreur.

Harley me regarde de plus près. « Merde, désolé Bailey, je ne t’avais pas reconnue. Tu as changé de coiffure. Et tu ne portes plus de lunettes. Tu es magnifique. », dit-il, visiblement gêné par sa méprise.

Je souris à sa réaction. Oui, mes cheveux sont plus lisses qu’avant, retombant sagement dans mon dos. Mes lunettes de lecture ont disparu, remplacées par une vision corrigée au laser. Et un peu de maquillage simple accentue mes traits. Apparemment, quelqu’un a remarqué le changement…

« Pas de souci. Tu as encore besoin de ma carte d’identité ? », je lui demande.

Il me sourit. « Je pense que je sais qui tu es. Bon retour. » Il me salue d’un hochement de tête en ouvrant la barrière. « Peut-être qu’on se verra dans le coin pendant ton séjour. », ajoute-t-il alors que je m’éloigne en voiture.

Je souris en réponse. Maintenant, je n’avais plus de raison d’attendre un compagnon. Et ce n’est pas comme si Miles faisait un effort pour rester célibataire. À chaque fois que je revenais, il avait une louve différente à son bras, la présentant fièrement avant de la remplacer par une autre à ma prochaine visite. Il était devenu un véritable Casanova. Une plaisanterie, à mes yeux.

Je roule sur les routes familières de notre vieille meute. Le soleil du soir descend dans le ciel alors que j’approche de chez moi. Maman doit déjà m’attendre, et peut-être papa, s’il est rentré du travail. Mon frère et ma sœur, je ne sais pas. Ils vivent encore ici, mais passent leur temps entre amis. Mon frère songe d’ailleurs à déménager dans la suite de Beta au siège de la meute en vue de prendre la relève de notre père. Dans tous les cas, ils ne se pressent jamais pour me voir quand je rentre. Me retrouver ne semble pas leur priorité…

Je gare ma voiture devant notre maison. Difficile de croire que je suis de retour. Coincée ici. Une sensation d’angoisse m’envahit à l’idée de rester ici, misérable, sans issue, depuis que mon compagnon m’a rejetée. Personne d’autre que lui et moi n’est au courant. Il considère qu’un Alpha serait vu comme faible s’il révélait avoir défié le choix de la puissante Déesse de la lune. C’est donc notre secret. Ou bien, selon lui, je le paierai d’une manière que je préfère ne pas imaginer.

Je n’ai pas envie de penser à tout ça. Miles a permis que je m’éloigne pour mes études, persuadant mon oncle, l’Alpha actuel, et mes parents d’accepter, du moins c’est ce qu’il dit. La vérité, je ne la connaîtrai probablement jamais. Mais c’est pour cela, et cela seul, que j’ai accepté de suivre sa demande.

S’il a vraiment agi en ma faveur, il m’a permis de réaliser mon rêve de devenir enseignante, loin de la meute, de vivre pour moi-même, sans être « la fille du Bêta ». Et j’ai prospéré grâce à cela. Mais maintenant, je devais revenir. Retourner là où est ma place. Bien que j’aie mon diplôme, j’ai peu de perspectives d’avenir. Je suis probablement coincée ici.

En sortant de la voiture, je suis plus déterminée que jamais à trouver un emploi, en espérant même pouvoir partir, quand j’entends la voix de ma mère. « Bailey ! » Elle m’appelle depuis le perron, un grand sourire aux lèvres. « Tu es magnifique, ma chérie. »

Je lui rends son sourire et me dirige vers la porte. C’est alors que j’aperçois Miles sortir de la maison voisine, celle des Alpha. Ai-je mal choisi mon moment pour revenir ?

Son regard rencontre le mien, sombre, avant de se tourner vers maman. « Salut, tante Brianna. Tu ne m’avais pas dit qu’elle rentrait aujourd’hui. »

Maman sourit à Miles, comme s’il était tout pour elle. « Ah, j’ai dû oublier. Bailey est de retour pour de bon, Miles. N’est-ce pas formidable ? »

Encore une fois, Miles me lance un regard noir. « Hmmm. Vraiment formidable. », dit-il avec un mépris à peine voilé.

« Tu restes loin de moi, sauf si j’en décide autrement, tu comprends ? ,», me dit-il par lien mental alors qu’il rejoint sa voiture.

« Tu ne vas pas lui parler, Bai ? », insiste maman. « Il sera Alpha l’an prochain, tu sais ? »

« Oh, ne t’en fais pas, tante Brianna. Bailey sera pardonnée cette fois. Je suis sûr qu’elle est fatiguée de son voyage. Mais je la verrai sans doute dans le coin. Et oui, elle devra s’habituer à moi comme son supérieur. Son Alpha. » Il dit cela avec un rictus, et ses mots me nouent l’estomac. Je ne pense pas pouvoir rester ici… Il me faut un travail, loin de ma meute, pour échapper à mon Alpha psychotique et ex-compagnon !