Chapitre 6

Point de vue d’Asher

Après une douche et quelques cafés, je me sens un peu plus humain… ou aussi humain qu'un loup-garou peut se sentir avec si peu de sommeil.

« Bon, Ash, il faut qu’on règle ce bordel. » La voix de Caleb résonne, manifestement stressée, ce qui me fait comprendre que la journée ne s’annonce pas joyeuse.

« Quel bordel, encore ? », je demande, en soupirant, découragé. J’avais pourtant l’impression qu’on avait déjà réglé tout ce qu’il y avait à faire hier.

« Arrête de faire comme si tu étais débordé. », Caleb me lance un regard mauvais. « Il y a d’abord l’anniversaire de mon père. En plus, Éden me harcèle au sujet de l’enseignant pour l’école. On doit encore remplacer Éloïse. »

Je me rappelle qu’il avait mentionné qu’il fallait relancer l’offre pour un nouvel enseignant, mais j’avais pensé qu’Éden s’en chargerait. En tant que Luna et mère, je pensais qu’elle voudrait s’occuper de ce genre de tâches. Visiblement, je me suis trompé. Quant à l’anniversaire de son père, je pense qu’il est tout à fait capable de gérer cela lui-même, ou sa mère peut s’en charger. Sérieusement, est-ce que c’est mon rôle de tout faire ici ?

« Et toi, tu fais quoi exactement ? », je lui demande, un peu énervé.

« Les devoirs d’un Alpha. », Caleb répond avec un sourire satisfait. Ses « devoirs d’Alpha », ça doit être, le connaissant, s’asseoir à son foutu bureau avec les pieds en l’air, un café à la main. Fainéant. Il délègue tout son travail à moi, c’est certain.

« Je suis sûr que ton père préférerait que tu participes aux préparatifs de sa fête, ou même sa femme, non ? »

« Ça te gardera occupé. », dit Caleb avec un sourire, et je comprends alors pourquoi il me confie cette tâche. Il essaie de me donner de quoi occuper mon esprit, un truc qu’il fait depuis la mort d’Isla. Un truc dont je n’ai pas besoin, mais qu’il semble, avec sa compagne, penser essentiel. J’aurais tellement voulu qu’ils arrêtent…

La perte d’une compagne est une douleur sans égale, mais je n’ai pas besoin qu’on me traite comme si j’étais brisé. Incapable de fonctionner. « Je n’ai pas besoin de me tenir occupé, Caleb. », je lui rétorque, me levant pour quitter le bureau, sentant qu’il vaut mieux que je m’éloigne de lui avant de dire quelque chose que je regretterais.

« Ash, s’il te plaît, je fais de mon mieux pour t’aider. » Mon meilleur ami m’appelle.

« Cal, écoute, si c’est pour Isla, ça va bientôt faire sept ans qu’elle est partie. Je n’ai pas besoin qu’on me trouve des occupations. Je m’en occupe moi-même. Je suis le Bêta, et ça me tient assez occupé comme ça. Si j’avais besoin d’aide, je le demanderais, d’accord ? »

Je vois la préoccupation dans son regard, et cela ne fait que m’irriter. Ce même regard inquiet que je vois sur le visage de mes autres amis, de mes parents… des femmes âgées de la meute… tous inquiets pour moi, parce que j’ai perdu ma compagne. Ils ont peur que je m’effondre. Qu’ils soient inquiets pour mon cœur… mon âme. Je suis las de la compassion. Je n’en ai pas besoin. Elle ne ramènera pas ma compagne. Elle ne me fait pas sentir mieux. En fait, elle aggrave tout…

« Ash, mais tu n’es pas bien. On le voit. Tu es renfermé, en colère. Lunatique. Isolé. Presque déprimé… », Caleb me regarde, préoccupé.

« C’est ton diagnostic médical, c’est ça ? Je ne savais pas que tu étais aussi médecin en plus d’être Alpha de la meute. J’ai dû rater ça ! », je réplique, sarcastique, secouant la tête. « Écoute, si tu veux vraiment que je m’occupe de l’anniversaire de ton père, tu sais bien que je le ferai, c’est mon oncle, après tout. Quant au professeur, je peux remettre une annonce, mais nous n’avons eu aucune réponse la dernière fois. Donc, je pense qu’on va avoir des difficultés, à moins de chercher hors de la région. »

« On devra peut-être envisager cela si aucun enseignant n’est disponible dans les meutes locales. », Caleb acquiesce, et je sais que c’est une option à prendre en compte, car la nécessité de trouver un enseignant devient urgente.

« Je vais donc relancer l’annonce, et je vais aussi en publier une pour élargir les recherches. », lui dis-je, détestant l’idée d’étrangers dans notre meute, mais nous voulons un bon enseignant pour notre école. Ça a toujours été notre priorité, et malheureusement, cette fois, personne de notre meute n’a voulu se former.

« D’accord. Et désolé, Asher. Je m’inquiète juste pour toi. », Caleb pose sa main sur mon épaule, alors je lui adresse un signe de tête amical. Je suppose qu’il veut bien faire, même s’il m’agace parfois.

Je ne peux rien contre cette obscurité qui s’est installée dans ma vie depuis que j’ai perdu ma compagne. Et je ne peux pas la faire disparaître. J’ai essayé, plusieurs fois. Elle semble vouloir rester. La seule chose qui me fait avancer, c’est mon travail. Ma meute. Ils comptent sur moi. Et cela me donne un but. Une raison de me lever chaque jour. Mais les pensées sombres qui hantent mon esprit et celui de mon loup, Zion, sont presque comme une malédiction. Elles m’écrasent. Me suffoquent presque. Surtout quand je suis seul. Pourtant, je préfère être seul. La douleur que je ressens est presque addictive.

Il n’y a pas d’autre façon de la décrire. Je crois que j’apprécie presque cette douleur. J’aime l’obscurité qui m’entoure désormais. C’est ce que je suis devenu. L’Asher d’avant est parti. Il est parti au moment où la vie d’Isla a été arrachée. Le moment où elle m’a été arrachée. Le jeune, insouciant, heureux, qui riait et plaisantait avec les membres de la meute a disparu depuis longtemps. Remplacé par un type renfermé, isolé, solitaire, souvent déprimé. Qui évite les interactions avec les autres dès qu’il le peut et a maintenant la réputation d’être lunatique et irritable… L’heureux et charmant Bêta a laissé place à une sorte de monstre maussade que personne ne veut fréquenter…