InayaJe marche. J’avance. Je m’enfonce dans les bois, encore et encore. Je commence à ne plus voir grand-chose à cause des arbres de plus en plus rapprochés. J’ignore combien de temps dure cette balade quelque peu salvatrice. Le problème, c’est que je ne suis pas sûre de pouvoir retrouver mon chemin jusqu’au village. Je ne suis même pas sûre d’en avoir envie, en fait. C’est tellement… étrange.Tout s’est passé si vite depuis l’incendie que je ne parviens plus à décrypter mes émotions. Depuis que les flammes ont englouti jusqu’à la dernière parcelle de bonheur qui égayait ma vie, je me sens amorphe. Incapable de ressentir quoi que ce soit. Le choc m’a englouti. Et l’enchaînement d’événements, qui a suivi la destruction de mon village, n’arrange rien. Notre départ du Texas, notre arrivée ici, l’apparition de cette marque sur ma paume…Mon estomac se tord et mes larmes s’amoncellent au coin de mes yeux. Comment est-ce que ça a pu se produire ? Je ne suis pas prête à me lier à quelqu’un,
La marque. Un croissant de lune un peu plus foncé que son épiderme, gravé sur sa peau comme au fer rouge. La même que moi.Machinalement, j’attrape son poignet, ignorant le frisson qui me parcourt l’échine. Malgré la fébrilité de mes jambes, je me relève pour être à son niveau, puis tourne ma main droite près de la sienne pour comparer le symbole qui y est apparu. Aucune distinction n’est visible, elles sont identiques. Deux croissants de lune orientés l’un vers l’autre comme pour former un cercle en dépit de l’espace qui réside entre les deux. Une symétrie parfaite.– Qu’est-ce qui nous arrive ? demandé-je naïvement, dans l’espoir qu’il infirme l’idée qui me trotte dans la tête et me vrille le cerveau.Mais sa réponse n’est pas tout à fait ce à quoi je m’attendais. C’est même tout le contraire.– Tu le sais déjà, autrement tu ne me poserais pas la question. Tu sais même très bien ce que représente cette marque.Un lien indivisible entre deux âmes sœurs. Parce que je suis la sienne, e
À cet instant, je regrette que notre Révélation ne nous confère pas les mêmes capacités que celle d’Ella et Lorenzo. Eux peuvent communiquer par la pensée. De notre côté, j’ai plutôt l’impression que notre lien fait de nous des éponges de nos émotions respectives, comme si nous étions surtout capables de nous transmettre un état d’esprit, des sensations, des ressentis… Mais de ce que j’en sais, une Révélation ne se manifeste jamais de la même façon chez les loups, et elle évolue constamment.Qui sait ce qu’elle nous réservera demain ou dans un an ?Pour l’instant, je me contente de l’écouter lorsqu’elle me pousse doucement du coude.– Allez, vas-y, dit-elle à voix basse.***En arrivant devant le chalet de Carole, je tambourine à sa porte, essoufflé. Je veux qu’elle m’ouvre, qu’elle me dise exactement ce qu’elle a vu ou entendu, ce qu’elle croit avoir surpris dans les bois. Parce que quoi que ce soit, ce n’est pas la réalité.– Carole, ouvre ! crié-je en faisant trembler le battant so
Je ferme les yeux et passe mes doigts dans mes cheveux, tirant légèrement dessus pour empêcher mon cerveau de partir dans toutes sortes de réflexions qui me tiendraient éveillée toute la nuit. Je jette un coup d’œil à mon téléphone. Posé sur la table de chevet, l’écran s’allume dès que je le touche. L’espace d’un instant, je m’imagine dans une autre vie, quelque part loin d’ici, avec Carter en train de dormir dans la pièce d’à côté. Une vie où j’aurais eu une famille aimante et attentionnée. Une vie où j’aurais vu apparaître un message de ma mère me demandant comment s’est passé ma soirée, et je lui aurais raconté que j’ai rencontré un très beau garçon, gentil et attentionné. Alors, elle m’aurait mise en garde sur les peines de cœur, mais seulement après m’avoir laissé lui dire tout ce que cette rencontre m’inspire. Ce que je ne peux ni faire ni ressentir aujourd’hui, car rien de tout ça n’est réel.Depuis que nous sommes en âge de nous gérer tout seuls, ma mère s’est complètement dét
– Tu n’arrives pas à dormir ? demande-t-elle.Elle ne semble pas prête à s’en aller apparemment… Honnêtement, je préférerais être seule et me perdre dans les souvenirs de mon frère pour ne jamais oublier son visage. Mais par respect pour celle qui a offert un abri à ma meute, je fais tout de même l’effort de répondre.– Pas vraiment. Et vous, que faites-vous dehors à une telle heure ?– Rha ! elle s’esclaffe en rejetant la tête en arrière. Pourquoi est-ce que tu me vouvoies ?– Eh bien, parce que vous êtes une alpha et que…– Certainement pas ce soir ! Là, je ne suis qu’une mère qui tente désespérément d’endormir sa fille depuis des heures et qui a fini par l’emmener au grand air comme elle aime pour enfin y parvenir. Alors, tutoie-moi, s’il te plaît.Je lui souris gentiment, le cœur adouci par le visage de sa petite, écrasé sur son épaule, un filet de bave s’échappant de sa bouche entrouverte. Mon attention se reporte sur le feu de camp qui se consume dans le silence paisible de la n
Ella nous sort de nos pensées en attrapant nos poignets pour les coller côte à côte.– Qu’est-ce que… commence-t-elle avant de comprendre. Je savais qu’il se passait quelque chose entre vous. Je l’ai compris à l’instant où je vous ai vus vous rentrer dedans. Enzo aussi l’a ressenti, comme une connexion supplémentaire. Comme si la meute avait un nouveau membre. C’était donc ça…Comme pris en faute, Mason et moi recroquevillons les épaules alors qu’elle réalise peu à peu ce qui se joue devant elle. Sa bouche s’entrouvre et elle finit par nous lâcher en reculant d’un pas. Une longue minute plus tard, elle finit par secouer la tête pour recentrer son attention sur la disparition de Carole.– On parlera de ça plus tard. Réveille Aiden et Jenny, et n’oublie pas les Miller, on se rejoint ici dans dix minutes pour faire le point, termine-t-elle en s’éloignant déjà en direction d’une grande maison.– Pas les Miller !Ella rebrousse chemin pour se planter devant Mason, le dos bien droit et le v
Alors que je cogite depuis un bon quart d’heure, à peine sensible à la morsure du froid nocturne, des bruits de pas accompagnés de la voix de Mason me ramènent au présent. Le temps qu’il arrive à mon niveau avec Jenny – je suppose –, Aiden et les jumeaux Miller, Ella revient également, Lorenzo parfaitement réveillé derrière elle.– C’est une blague ? lance méchamment l’un des Miller.C’est celui qui ne semble pas m’apprécier. Il ne m’a fallu qu’une rencontre avec lui pour prendre conscience de son mépris envers moi. Il reprend sur le même ton :– Qu’est-ce qu’elle fait ici, celle-là ?Il esquisse un signe de la tête dans ma direction, comme si je n’étais rien de plus qu’une petite chose futile. Mason, qui n’a toujours pas daigné m’adresser, ne serait-ce qu’un regard, pousse pourtant un profond soupir en se tournant vers lui.– Elle est parfaitement dans son droit, Jake, alors ferme-la !La tension grimpe en flèche entre eux, comme si la réplique de Mason avait joué le rôle de détonate
Je me retrouve debout devant la porte de la maison dans laquelle j’ai grandi depuis que j’ai quitté l’Angleterre, à mes 10 ans. La façade en pierres beiges, légèrement noircies par le temps, est surplombée d’un toit en tuiles marron. Simple, mais efficace et chaleureux. Mes parents n’ont jamais fait preuve d’extravagance – c’est un trait de caractère que j’ai hérité d’eux. Mon cœur se remplit de joie à l’idée d’être ici, à une porte de distance de ceux qui ne me trahiront jamais. Mais je suis soudain saisie d’une profonde angoisse lorsque je pense au moment où je devrai leur expliquer pourquoi je suis là et pas avec la meute, au village. Pourquoi je suis seule, plutôt qu’avec Mason. Pourquoi j’ai une grosse valise, et non mon habituel bagage cabine largement suffisante pour les quelques jours que je viens passer chez eux en général. Ils me demanderont pourquoi je ne les ai pas prévenus de mon arrivée et je leur répondrai que je ne savais pas moi-même que j’allais venir. Et puis… je me
D’un mouvement de la tête, il m’invite à regarder Carole, toujours de l’autre côté du cercle. Jake Miller se dirige vers elle sous ses yeux pétillants. J’ignore si elle a décidé de revenir définitivement dans la meute, mais une chose est sûre : elle est heureuse d’être là, avec ses amis. Sa famille. Je ne suis même pas sûre qu’elle en ait conscience.Elle serre Jake dans ses bras, mais pas comme on le ferait avec un simple ami. Pas comme si Mason avait creusé un trou béant de tristesse et de solitude à cause de son absence. Mais plutôt comme si retrouver Jake lui provoquait un profond soulagement. Et je le sais, car j’ai l’impression de me voir il y a quelques minutes avec Mason.Si Carole et Jake n’en sont pas à s’avouer leurs sentiments naissants, il est tout de même certain qu’ils en ont.– Bien, lance Lorenzo d’une voix puissante qui résonne parmi la foule. Puisque nous sommes tous là, ou presque, commençons.Les chuchotements s’essoufflent au point de plonger le village dans un s
– Mes affaires.– Pourquoi ? demande-t-il avant même que l’écho de mes mots ne se soit essoufflé.– Eh bien… Je me suis dit que ce serait déplacé de rester ici avec Carole à côté… Je ne voudrais pas créer un malaise…Il fronce les sourcils, l’air de réfléchir à ce qui aurait pu me faire penser ça, puis son regard revient percuter mes iris.– Je t’ai dit que tu étais ici chez toi et que tu pouvais rester aussi longtemps que tu le souhaitais.– Mais Carole…– Carole vient de s’installer chez Ella et Lorenzo. Elle laisse ainsi sa maison à disposition, en cas de besoin. Tout est clair désormais entre elle et moi.J’ouvre la bouche pour répondre quelque chose qui me donnerait moins l’air désespéré, mais rien n’en sort. La situation est si perturbante qu’une vague de soulagement me fait vaciller lorsque Mason m’adresse un sourire sincère en esquissant un pas vers moi.– Tu m’as manqué, murmure-t-il.Il avance encore, jusqu’à s’arrêter à quelques centimètres. Son souffle s’échoue sur mes jou
Ses épaules se détendent imperceptiblement et un sourire éclaire son visage lorsque nous passons entre les premiers arbres qui marquent la lisière de la forêt.– Tu as toujours vécu ici ? demande-t-elle.– Oui ! C’est le cas de la plupart des membres de la meute.Je lui prends la main pour l’aider à escalader quelques rochers avant de reprendre notre avancée tranquillement. Ce n’est que quelques mètres plus tard que je prends conscience de ne pas l’avoir lâchée.Nous évoluons sur le terrain escarpé en comparant ma vie recluse au village et la sienne, pleine de possibilités, dans une ville où le tourisme est particulièrement actif. Je lui avoue n’avoir jamais imaginé ma vie ailleurs que dans ce coin paumé au cœur de la Louisiane.Finalement, nous atteignons le sommet de la colline où nous avons l’habitude de nous retrouver avec le groupe. C’est un peu notre endroit à nous, notre refuge, où rien ni personne ne pourra jamais nous atteindre.– Waouh… lâche-t-elle dans un soupir en découvr
MasonEn sortant de la douche pour rejoindre la solitude de ma chambre d’hôtel, les cheveux encore dégoulinants, je repense à ma conversation avec Carole.Ces dernières semaines, bien qu’on se disputait souvent, je l’aimais, et ça fait du bien d’apprendre qu’elle aussi, même si nos sentiments avaient déjà pris une autre voie. Ils s’étaient transformés en quelque chose de moins passionnel, et sûrement de plus amical au fond. Ce que je ressens pour Inaya n’a pas d’égal. C’est tellement plus… profond. Indescriptible. Et si une part de moi sera toujours attachée à Carole, je dois faire mon chemin de mon côté et lui laisser une chance d’en faire de même, y compris si c’est avec Jake.La sonnerie de mon téléphone m’interrompt dans mes pensées alors que j’enfile un bas de survêtement. Le nom de Lorenzo s’affiche sur l’écran. Je fronce les sourcils, étonné. Il sait où je suis et ce que je suis venu faire là, il n’est pas du genre à se manifester dans ce type de situations. Je repense à ce qu’
– Laisse-la digérer l’information. Tu la retrouveras plus tard.Je fronce les sourcils, à la fois intriguée par le départ d’Ella et perplexe face à ce qui se joue sous mes yeux. Je ne comprends plus rien. En quoi la sœur de l’ancien alpha pourrait être mêlée à cette affaire ? Pourquoi était-elle en prison ? Et surtout, comment a-t-elle réussi à s’en échapper ?C’est Brice qui attire mon attention en soupirant bruyamment. Puis il entreprend de me raconter.– Nicole a toujours été de nature très jalouse. C’est presque maladif chez elle. Je suis l’aîné de la fratrie, alors j’ai repris la direction de la meute après mon père. Elle ne l’a jamais supporté. Je suppose que tout est vraiment parti de là. Puis, elle a épousé l’alpha Miller…– Miller comme… Jake et Gregor ? l’interrompé-je de plus en plus étonnée.– C’est leur père, oui. Nicole est leur belle-mère. Mais cette union ne lui a pas suffi. Elle voulait diriger et elle n’était pas en position de le faire, du moins pas toute seule. C’e
Inaya– C’est le deuxième incendie en à peine quelques semaines. Comme dans le village de Dwayne, personne n’a rien vu avant les premières flammes. Il y a bien eu un bruit d’explosion, mais ça a été rapidement mis de côté face à la fureur du feu qui s’est propagé. Ce n’est que plus tard que la thèse de l’incendie criminel a été confirmée. Heureusement, il n’y a eu aucun blessé, mais il faut faire quelque chose pour que ça ne se reproduise plus, récapitule Lorenzo en s’asseyant autour de la table du Conseil, juste à côté d’Ella.Je n’arrête pas de passer en revue les maigres informations dont nous disposons à ce sujet, dans l’espoir d’y trouver une explication. J’ai un mauvais pressentiment. Une sombre impression que quelque chose de beaucoup plus grave, qu’on ne se l’imagine, se prépare dans notre dos. Et en attendant, on perd notre temps à discuter…Sur le chemin vers la salle du Conseil, Ella m’a informée des dernières nouvelles pour que je ne sois pas perdue. Il y a quelques jours,
Mason :Je ne sais pas trop, en fait.C’est la fin d’une période dema vie, pendant laquelle j’aigrandi et aimé, comme jamaisavant de te rencontrer.L’espace d’un instant, je crois bien que je cesse de respirer. J’ignore s’il a volontairement sous-entendu qu’il m’aimait ou s’il a dit ça juste comme ça, parce que nous sommes des âmes sœurs et que le lien qui nous unit est particulièrement inexplicable, mais le fait est qu’il l’a dit. Et mon cœur l’a compris.Je relève les yeux de mon écran pour méditer sur cette déclaration cachée et je tombe sur une photo d’Ella et Lorenzo, le jour de leur mariage. Leurs yeux jaunes pétillants de bonheur et l’aura qu’ils dégagent me font réaliser que c’est en moi que je dois puiser la force et la volonté de vivre une belle histoire avec Mason. Une histoire qui nous ressemblera, nous, et personne d’autre.Je reprends mon souffle en inspirant profondément. Je concentre mon attention sur l’appareil et je le serre si fort dans mes mains que mes phalange
– Un nouvel incendie. Dans la meute des parents d’Ella, cette fois. On a des raisons de croire que Nicole sait quelque chose. Brice cherche des infos de ce côté-là.– Est-ce qu’on peut faire quelque chose pour aider ?– On ? m’étonné-je, irrité.Il y a à peine cinq minutes, elle m’a fait comprendre qu’elle ne faisait pas partie de la meute, qu’elle ne s’y sentait pas chez elle après y avoir vécu pendant cinq ans, et maintenant, elle voudrait intervenir ? Je trouve ça tellement paradoxal que mon cerveau n’arrive plus à suivre. J’ignore si je devrais me concentrer sur sa solidarité ou sur le trou béant qu’elle a creusé dans ma poitrine, comme si je n’avais pas suffi à la rendre heureuse au village, que l’amour que je lui portais ne valait rien.– Écoute, Mason… Je suis désolée. Tu n’as pas tous les torts. Si je suis honnête, je dirais même que tu n’en as aucun. J’ai bien vu que tu ne pouvais pas lutter contre l’attirance que tu ressens pour Inaya, et je ne t’en veux pas, mais tu ne peux
16MasonPerché sur le bureau de Carole, les pieds sur sa chaise, je l’observe, détaillant chaque trait de son visage, chaque parcelle de sa silhouette, mais je ne ressens rien d’autre que de la culpabilité. Il n’y a plus cet amour qui crépitait entre nous et nous animait. Je sais qu’elle le ressent aussi. Notre relation n’allait déjà plus très bien avant l’arrivée d’Inaya, mais on tenait le coup. Peut-être par habitude ? Quoi qu’il en soit, je ne veux pas continuer de cette manière, et je ne pense pas qu’elle en ait envie non plus.Assise sur le bord de son lit, à quelques mètres de moi, elle se tient droite, ignorant l’attention que je lui porte. Son téléphone vibre à côté d’elle, l’écran s’allume pour lui indiquer l’arrivée d’un nouveau message, mais elle n’y jette qu’un bref coup d’œil avant de retourner l’appareil face contre le matelas.Voilà presque dix minutes que personne ne parle, même si je devrais probablement me lancer puisque venir ici était mon idée. Mais maintenant que