Chapitre 6

« Yvane, si quelque chose arrive, je te tiens pour responsable ! » La voix de Julien grondait, sombre et menaçante. Il serrait Iris contre lui et se retournait brusquement pour s'éloigner.

Je restais là, figée, perdue dans mes pensées. L’image de la colère impitoyable de Julien résonnait dans mon esprit. Les promesses d'amour éternel, qui semblaient si sincères à une époque, étaient désormais d'une ironie amère. Quand a-t-il cessé de m’aimer ? Et pourquoi n'avais-je rien vu venir ?

En proie à une douleur insupportable, je sombrais dans un abîme de souffrance, jusqu'à ce que petite Cerise entre dans la pièce, préoccupée, me demandant si j’allais bien. C’est alors que je suis sortie enfin de ma torpeur. J’ai réalisé que pleurer pour un homme aussi détestable était inutile. J’ai redressé la tête et repris le travail.

Vers midi, mon téléphone a vibré. En voyant que c’était Doris qui appelait, j’ai raccroché immédiatement.

Quelques minutes plus tard, une autre vibration. Cette fois, c'était mon père. Un frisson d'inquiétude m’a parcouru. Est-ce que Iris n’avait pas tenu bon ? Est-ce qu’elle était morte ?

Après quelques secondes d'hésitation, j’ai fini par répondre.

À peine le téléphone pressé contre mon oreille, la voix de mon père a éclaté, tonitruante, me frappant comme un coup de tonnerre.

« Yvane ! Tu es complètement folle ! Iris est déjà en mauvaise santé et toi, tu l’as frappée, tu l’as jetée au sol ! »

J’ai retiré lentement le téléphone de mon oreille, attendant qu’il ait fini de crier. Puis j’ai répondu calmement : « Il y a des caméras dans mon bureau, si tu veux voir ce qui s’est passé. »

Je savais que même s’ils voyaient les images, ils continueront à me blâmer.

Comme je l’avais prévu, mon père a rétorqué d’une voix pleine d’assurance : « Peu importe ce que montrent les caméras ! L’important, c’est que ta sœur est gravement malade et toi, tu n’as même pas de compassion ! »

Fatiguée de me défendre, je préférais ne rien dire. Tout serait vain de toute façon.

En entendant mon silence, mon père a abandonné son tir de reproches et a soufflé : « Bon, Iris souhaite que tu sois témoin de son mariage. Tu n’as rien à faire ce jour-là, alors donne-lui un coup de main. »

« Et si je décide de saboter son mariage ? » j’ai rétorqué, sarcastique.

Mon père est resté silencieux un moment avant de répondre : « Tu veux des parts de l'entreprise, n’est-ce pas ? Si tu es témoin de ce mariage, je te donnerai les parts que ta mère possédait. »

J’étais prise de court. Les parts de ma mère, que j’avais essayé d’obtenir par tous les moyens pendant des années, m'étaient toujours refusées. Maintenant, il acceptait de me les céder ?

« Transfère déjà la moitié des parts à mon nom, et l’autre moitié après le mariage. » J’ai proposé, me méfiant de son esprit manipulateur.

« … D'accord, fais comme ça, » il a répondu après un léger temps d'hésitation. Puis, mordant ses mots, il a ajouté : « Tu es aussi avide que ta mère. »

J’ai riposté sans hésitation : « Au moins, je ne suis pas aussi dénuée de cœur que toi. »

Le jour du mariage, l’état de santé d’Iris était encore fragile à cause de sa chute. Elle n’était capable de marcher qu’avec difficulté.

La robe de mariée, que j’avais cousue moi-même, avait été faite sur mesure en fonction de mes propres mensurations. Mais en raison de sa maigreur due à la maladie, la robe semblait un peu trop grande au niveau de la poitrine et de la taille.

« Les compétences de Yvane ne sont pas aussi exceptionnelles qu’elle le prétend, elle se vante d’avoir remporté tant de prix internationaux et pourtant, la taille de cette robe est toute déformée. » Doris se plaignait en jetant un regard méprisant à la robe d’Iris.

J’ai répondu sans ménagement : « La robe était faite pour ma silhouette. Il faudrait peut-être apprendre à ne pas voler ce qui ne t’appartient pas avant de critiquer. »

« Tu — »

« Maman… » Iris est intervenue doucement, tirant Doris par le bras. « Ne sois pas fâchée contre ma sœur, ce n’est pas grave si c’est un peu plus grand, c’est plus facile à mettre et à enlever. »

Après avoir dit cela, Iris m’a tournée un sourire doux et a ajouté : « Sœur, merci de m’avoir permis de réaliser mon rêve. »

Un dégoût m’a monté à la gorge, et j’ai senti le besoin de sortir prendre l’air. Mais à peine arrivée près de la porte, j’ai croisé Julien qui s’approchait.

Il portait un costume sur mesure, parfaitement taillé, éclatant de prestance. Il semblait si parfait, tellement élégant, qu’il attirait tous les regards. La vision de sa silhouette me fit mal, car c'était moi qui lui avais conçu ce costume de mariage. Aujourd'hui, il le portait comme pour me gifler en plein visage.

« Yvane... » Julien m’a dit d'une voix douce.

Je l'ai ignoré délibérément, levant les yeux au ciel et me tournant pour l'éviter. Mais la voix de mon père m’a rattrapé derrière moi : « Où vas-tu ? Le mariage va commencer. Ta sœur est trop faible, tu dois l'accompagner jusqu'à l’autel. »

Je me suis retournée, observant la pièce remplie de monde, incrédule, et a demandé : « C’est moi qui dois la soutenir ? »

Doris m’a répondu sur un ton réprobateur : « Tu es la témoin de mariage, et en plus, tu es sa sœur. Pourquoi ne pas l’aider à se lever ? »

Ma colère a monté en flèche. Avant même de pouvoir répondre, Julien, qui se tenait près de moi, intervint. « Yvane, la dernière fois, tu as poussé Iris. Son état s’est encore aggravé. La robe est trop longue et trop lourde pour elle, elle — »

Ses mots m'étaient insupportables. Je n’ai attendu pas qu’il finisse sa phrase et, le visage fermé, je me suis précipité à l’opposée.

Iris a levé doucement son bras, attendant, l’air de me regarder comme si elle était l’impératrice Cixi et moi, une simple servante.

« Merci, Yvane… » elle a dit en souriant, le bras posé sur le mien. Ce sourire… il ressemblait plus à une provocation qu’à une reconnaissance.

Que voulez-vous qu’il en soit ? De toute façon, les ombres de la mort flottaient déjà autour d’elle, et moi, je me résignais, pensant à ma propre rédemption.

Le mariage a commencé.

Les premières notes solennelles de la marche nuptiale ont résonné dans la grande salle dorée, les portes du hall, majestueuses, se sont ouverts lentement. Les projecteurs se sont braqués sur moi et Iris.

Je serrais les dents, sentant un poids énorme sur ma poitrine, comme si le mont Everest m’écrasait. L’air me manquait.

Sous les regards de tous, je soutenais le bras d’Iris, marchant pas à pas sur le tapis rouge.

Le murmure qui a parcouru la salle au moment où nous apparûmes ne m’a laissé aucun doute sur le choc que cela provoquait. Les invités chuchotaient entre eux, leurs visages montrant la surprise et l’incompréhension.

« Que se passe-t-il ? La mariée n’est pas la grande sœur, mais la petite sœur en robe de mariée ? »

« Oui, c’est une erreur, non ? »

« La petite sœur qui prend la place de la mariée ? Que fait la famille Jiang ? »

Je n’écoutais plus, retenant à peine la honte et la colère qui bouillonnaient en moi. Je poussais Iris jusqu’à l’autre bout du tapis rouge.

Là, Julien attendait, élégant et distingué, son visage affichant une émotion contenue, ses yeux semblaient même brillants, remplis de larmes ? Mais il ne m’a regardé pas. Ses yeux, pleins de tendresse et de désir, étaient rivés sur Iris.

La douleur dans ma poitrine a éclaté à nouveau, un poison envahissant tout mon être.

Je ne pouvais pas y croire. Cet homme que j’aimais depuis huit ans, pour qui j’avais sacrifié tant de choses ! Il disait vouloir exaucer le dernier vœu d’Iris pour qu’elle meure sans regret, mais… j’avais l’impression qu’en réalité, la personne qu’il voulait épouser, celle qu’il aimait vraiment, c’était Iris.

Je ne savais même pas quand mes larmes avaient commencé à couler, je ne voyais plus rien, mais je continuais, d’instinct, à tendre la main vers Iris.

Julien la saisit délicatement, l’a enlacé avec douceur et les deux échangeaient un regard plein d’émotion avant de monter sur la scène.

Je me suis retournée, me dirigeant vers la première rangée sous la scène.

Je pensais que mon cœur était déjà devenu insensible, que j’étais devenue assez forte pour être une spectatrice détachée de ce mariage, mais je me suis rendue compte que je m’étais trompée. Je ne pouvais m’empêcher de ressentir cette douleur profonde et déchirante.

Soudain, une main propre et élégante s’est tendue vers moi. Un mouchoir était posé entre ses doigts.

La personne n’a prononcé pas un mot, et je n’avais ni la force ni l’envie de me retourner. J’ai pris le mouchoir, le remerciant d’une voix rauque : « Merci… »

« Ce n’est rien, » une voix grave et mélodieuse a répondu, qui a percé le tumulte de la salle. Elle était froide, pénétrante, et claire comme du cristal. « Ne pas t’avoir épousée, c’est la malchance de cet homme. »