SolveigC’est quand j’ai créé un personnage pour écrire – me planquer derrière – que ma vie s’est à nouveau mise à déraper. Un choix qui peut paraître anodin, une goutte d’eau qui déséquilibre tout un système.J’ai fait entrer L dans la partie, un personnage pas si éloigné de moi, qui tire ses traits de mes failles, de mes travers, de mes peurs. Cet alias n’est pas mon opposé, juste un avatar qui me permet de me lâcher sans conséquence. Si je me suis cachée, c’est à cause du contenu de mon livre. Je voulais écrire un truc trash. Un de ces livres qu’on ouvre et qui ne laissent pas indifférent. Et c’est devenu un best-seller. La vie est étonnante. Cette histoire m’a surtout servi d’exutoire.À vingt-sept ans, seuls deux hommes, deux amours ont vraiment compté. Jérémy, Jérémy Varens, celui qui a inspiré mon roman et Erwann, l’homme qui m’a ramassé à la petite cuillère et offert l’idée d’un avenir doux auprès de lui.Ce qui était au départ un passe-temps est dev
SolveigMon portable vibre. Il résonne sur ma table de nuit en pin, et moi je suis incapable d’esquisser le moindre mouvement. Mon corps entier est en grève. Les quelques verres d’hier soir n’ont pas eu l’effet escompté sur l’instant. Ce matin, cela n’est pas la même affaire. Mes cheveux poussent à l’envers. J’essaye de me masser les tempes, mais il va me falloir quelque chose de plus radical.Au deuxième coup de téléphone, je me décide à attraper cet instrument de torture.—Elise, que me vaut cet appel matinal?—Alors ma chérie, tu vas bien?Je jette un œil à la place désormais vide à côté de moi, puis me lève en quête d’antalgique.—Et toi?—Tu es partie super tôt! tente mon amie.—Pas tant que ça.—Tu crois que je ne te connais pas? J’ai bien vu que tu étais à côté de tes pompes.Je trouve dommage qu’elle ne profite pas de ma moue et mes yeux au cie
SolveigLes mains sur les hanches, détaillant chaque recoin de la pièce principale de mon nouveau chez-moi, un sentiment de sérénité fugace me fait miroiter la paix que je cherche tant.Erwann n’a pas mis longtemps à récupérer ses effets et je ne vais pas m’en plaindre, cela m’ôte un poids des épaules. Nous nous sommes à peine croisés lui et moi, juste assez pour me rassurer sur mon choix. Évidemment, il m’a évitée tant qu’il a pu. Après tout, je suis responsable de notre séparation. Cela n’empêche que j’ai eu plaisir à le revoir. Je sais qu’on ne peut pas être amis, cela semble bien trop difficile pour lui, pourtant nous avons partagé toutes ces années et j’en garde un bon souvenir. C’est quelqu’un de bien, de droit, d’honnête, il mérite d’être heureux et je sais qu’il comblera une femme. Je ne suis pas cette femme.Un jeune couple a repris notre ancien chez nous et j’ai emménagé, non sans l’aide de mes amis, hier. Mes affaires sont toutes là, éparpillées devant m
SolveigBaptiste m’attend dans la voiture le temps que j’aille voir si l’objet de ma convoitise est à la hauteur. Il a accepté de venir m’aider.Je connais Baptiste depuis six ou sept ans, mais nous sommes devenus aussi soudés à partir du moment où Elise et lui se sont séparés. Il n’allait pas bien, c’était évident, mais il ne parlait pas. Il sortait de moins en moins, et quand il le faisait, quelque chose dans son regard que je n’avais jamais vu, apparaissait. La malice avait disparu pour laisser place au vide. Il dépérissait sous nos yeux, il s’éteignait et personne ne réagissait. Aucun de nous.Je pensais jusqu’alors que je ne côtoyais Baptiste que parce qu’Elise était avec lui. C’est à cette période-là que j’ai réalisé que je n’étais pas aussi insensible et froide que je l’imaginais, et qu’il avait de l’importance, que j’éprouvais de l’amitié à son égard.Un soir j’ai débarqué chez lui. J’ai cogné à sa porte, j’ai tambouriné pendant plus de trois quarts
SolveigVoilà de nombreuses minutes que j’observe un simple numéro de téléphone enregistré dans mon répertoire. Nom de contact: Erwann. Contact qui ne me répondra plus. Je fixe son nom sur l’écran. Je devrais l’effacer, à quoi bon garder ce numéro.Je ne peux pas.Mes mains tremblent, je pose mon portable sur la table à côté de moi. Une tasse fume, j’ai machinalement fait couler un café, mais je crois que je ne vais pas pouvoir le boire.Debout.Clope.Appel à ma cheffe: «Je ne peux pas venir travailler. »Assise.Clope.Ce n’est pas la réalité. Pas encore, ça ne peut pas recommencer. Je ne vais pas y arriver. Pourquoi?Ma tête tourne, je m’allonge les yeux fermés.Son image.Non, trop dur.Debout.Clope.
SolveigJe l’ai rendu malheureux. Je l’ai fait souffrir. Je nous ai fait du mal, et c’est tout ce qui reste et restera. Je suis responsable du fait qu’il soit mort seul. Je l’ai délaissé. Je l’ai fui. Il s’est retrouvé éloigné de ses amis par ma faute.J’ai tout détruit.Où est ce foutu manuel qui explique comment ne pas souffrir?Je devrais savoir faire, je devrais avoir les clefs pour gérer le décès d’un proche. La vérité c’est que je ne sais pas. Que je me fais peur.Et si je faisais comme si ce n’était pas vrai?J’allume la télé, les images se succèdent, les films, les émissions idiotes. Je m’anesthésie. Puis je me prépare pour aller travailler, je suis d’après-midi. Au moins à l’hôpital, je n’aurai pas le temps de penser. J’affiche un sourire et relance la machine. Personne ne peut voir combien à l’intérieur je me sens abîmée, vieille. Et je culpabilise de me sentir aussi triste. Je n’en ai pas le droit. Il n’était plus mon con
SolveigIl n’y a rien de plus fort qu’un début ou qu’une fin. Le début d’une relation et sa fin. Le début de la vie et sa fin.J’ai mal. J’essaie de me contrôler. Je ne gère rien du tout. Ça m’assassine de l’intérieur. Des souvenirs que je refuse de voir resurgir essaient de s’insinuer. Je cherche des éléments du réel auxquels me raccrocher.Mon téléphone clignote.De: Cherche-Poux (Elise A.)Je pense à toi ma louloute. Quand tu seras prête, n’hésite pas. Je suis là.Depuis qu’Elise m’a appelée pour m’annoncer la nouvelle je n’ai plus décroché, ni à elle ni à personne. La plupart de mes amis ont opté pour le SMS, mais j’ai aussi des dizaines de messages vocaux que je n’ai pas la force d’écouter.Je ne suis sortie que pour aller bosser et faire mes courses et j’évite tout contact avec mes proches.C’est trop difficile. Il y a cette pesanteur dans ma poitrine. Depuis ce mardi-là, elle s’installe en moi. Je ne sais pas comment
CamilleAssise sur une chaise dans l’église, je lisse ma jupe sur mes genoux. Solveig n’est pas venue. Elle était trop mal à l’aise à cause de la rupture. Nous avons eu beau lui répéter qu’elle avait toute sa place, elle a refusé. Elise sanglote à ma gauche. Pierre est raide comme un piquet à ma droite. Je me penche en avant pour jeter un œil à Simon. Il regarde fixement devant lui, la mâchoire serrée et je n’arrive pas à voir Baptiste qui est à l’autre bout du rang.Le prêtre déblatère tout un tas de conneries que le principal intéressé n’aurait pas franchement apprécié, mais dont les parents ont besoin. Je déteste les églises, et ne parlons pas des hommages funèbres. Entendre le murmure des gens qui commentent l’enterrement de quelqu’un qu’ils ne connaissaient même pas, le placement du produit « Dieu » toutes les cinq minutes alors que nous sommes là pour dire adieu à quelqu’un qu’on aime. Et puis la réverbération fait que je ne comprends pas la moitié de ce qui est dit
Solveig—Solveig, tu as un mail! me crie Erick, du salon.Je finis de ranger quelques affaires à l’étage et descends l’escalier pour me rendre devant mon ordinateur.De: EliseObjet: The White SideSalut Solveig,J’espère qu’Erick et toi allez bien. C’est le cas pour Martin et moi. Nous sommes à Sidney et je voulais te dire, car je pense que tu voudrais savoir… ça y est, nous l’avons retrouvé, il est dans notre sac. Nous nous étions rapprochés d’un laboratoire en Nouvelle-Zélande qui pratique des examens sur les objets anciens, les parchemins exposés dans les musées, ce genre de choses. Moyennant finance, nous nous sommes mis d’accord pour qu’ils l’étudient. Nous rentrons donc dès demain pour leur confier.Je crois que nous avons réussi à le mettre hors d’état de nuire. Autre chose, j’ai lu ton
EliseLe téléphone sonne, voilà enfin ce coup de fil que j’attends depuis bien trop longtemps.—Prépare tes affaires, j’ai retrouvé sa trace à Sidney.—Laisse-moi une heure et je suis prête. Tu me rejoins à la maison? interrogé-je un Martin surexcité.Des tas de pensées se bousculent dans ma tête. Parviendrons-nous à convaincre son nouvel auteur de ne pas détruire l’objet de nos recherches ?Nous avons encore tellement de questions et surtout un objectif, l’arrêter. Il nous reste un peu moins d’un an avant sa prochaine disparition.Je prépare mes vêtements à la hâte, si bien que je dois attendre Martin afin que nous embarquions direction l’Australie. Nous empruntons un taxi pour nous rendre à l’aéroport et je sens mon ami songeur, ailleurs, durant tout le trajet. Une fois bien installés dans l’avion, il m’attrape la main et la serre un peu fort.—Je ne savais pas que tu avais peur de l’avion, constaté-je.—
SolveigDevant la galerie où expose Simon ce soir, je trépigne d’impatience. Les choses ont bien changé en un an. Nos vies ne sont plus les mêmes, nous ne sommes plus les mêmes. Mais tous, nous sommes arrangés pour être là ce soir. Camille a évidemment fait garder Elena. Kristin et Baptiste sont là, Erick aussi, bien sûr, à mes côtés.Le brouillard est derrière nous.—Bonsoir ! entends-je dans mon dos.Elise, le teint hâlé, sans mèche rose et souriante se tient devant nous.Je n’ai eu que peu de nouvelles depuis son départ, juste de quoi savoir qu’elle était toujours en vie, il me semble avoir devant moi une fleur qui a éclos.Elle resplendit.Je la serre dans mes bras et nous échangeons quelques mots. Ensemble, nous entrons enfin pour découvrir les œuvres de notre ami. Il nous a prévenus qu’une œuvre majeure crée l’année dernière en était l’élément central. Nous ne sommes pas déçus, je réalise seulement maintenant l’ampleur de son
EliseJe suis fauchée. J’avais quelques économies quand j’ai claqué la porte de ma vie en France, dorénavant, je n’ai plus de quoi tenir un mois. Un journal dans les mains, j’épluche les petites annonces.Les autres années, je passais au moins une partie des fêtes avec mes parents, cette année ce ne sera pas le cas. Cela m’a finalement bien arrangée d’avoir le prétexte de l’argent. Je n’arrivais pas à me dire qu’il allait falloir que je reprenne une place, un rôle qui n’est plus le mien, et en plus sans Simon.J’ai parcouru les brocantes et ai trouvé un cadeau parfait pour Martin. Quand je l’ai vu, je me suis dit que ce ne pouvait être qu’un présent de ma part pour lui. Nous avons prévu de partager un repas ce soir et j’ai hâte de lui offrir. Quelque part, le carnet nous a réunis, et m’a permis de tourner la page avec tout ce qui ne tournait plus rond dans ma vie. Et Martin s’est trouvé à côté de moi au bon moment.C’est lui qui cuisine et m’invite dans l’ap
EliseJe me rends dans un café pour rejoindre Martin, il m’a appelé aux aurores, car il a fait une découverte qu’il voulait impérativement partager avec moi. L’avantage du fait qu’il soit si tôt est qu’un jus noir bien serré m’est servi à la vitesse de l’éclair, vu que pour une fois il n’y a pas foule. L’inconvénient est que je suis épuisée.Je me tourne et retourne les méninges toutes les nuits, pensant à Solveig qui savait forcément. Me demandant si le carnet a le temps de faire à nouveau une apparition d’ici la fin de l’année. Ne comprenant pas encore tous les tenants et les aboutissants.Je remarque que Martin subit aussi la fatigue quand il me rejoint à table.—Encore une nuit difficile? lui lancé-je—La question serait plutôt quand ai-je vraiment dormi pour la dernière fois!—Tu voulais me parler de quelque chose?—Oui, j’ai étendu mes recherches, parce que jusqu’à présent je me suis conten
EliseJe regarde le soleil se coucher bercée par le bruit des vagues qui m’apaise et l’odeur salée me rappelle que je ne suis plus chez moi. Le vent souffle, comme toujours ici agitant mes cheveux.Après m’être assurée que mon amie allait s’en sortir, j’ai voulu prendre le large. Je suis partie, seule, voir le monde. Abandonnant derrière moi ma mèche rose.Je n’ai pas souvent pris l’avion dans ma vie. Ce n’est pas faute d’avoir voulu partir, ce n’était pourtant jamais le moment. J’ai besoin de réponses, car je ne comprends toujours pas ce qu’il s’est passé. La police nous a interrogés puis a fait des tonnes de prélèvements. Le fait que nous ayons tous été retrouvés au même endroit peut laisser penser à un enlèvement. Simon et Camille nous ont bombardés de questions. Je n’ai ni réponse ni souvenir. Je sens bien que Solveig a plus d’éléments que nous, mais elle se refuse à en dire quoi que ce soit.De mon côté, à force de chercher des témoignages sur internet,
KristinL’automne est déjà bien avancé, on pourrait se croire en hiver. Des feuilles mortes virevoltent dehors. Un frisson s’empare de moi alors que nous sommes bien au chaud. Je serre la main de Baptiste – sûrement un peu trop fort par instants, car il la fait bouger de plus en plus. Je relâche un peu la pression.—Merci !J’ai beau rationaliser, les événements du printemps dernier m’ont marqué au fer rouge. Nous n’avons pas vraiment d’explication sur ce qu’il s’est passé, et je suis terrifiée à l’idée que cela se produise à nouveau.Mon frère trouve d’ailleurs que je l’appelle trop. Il faut bien que je vérifie qu’il ne se soit pas à nouveau volatilisé ! Solveig a tenté de me rassurer, elle dit qu’elle sait que ça n’arrivera plus. Cela ne me suffit pas, mais je n’ai pas mieux. Je profite donc tant que faire se peut de Baptiste.Cet été, il m’a invité à l’accompagner visiter sa famille. Solveig m’a aidée à préparer cette escapade et j’ai pu béné
SolveigMon corps entier me fait souffrir. La chute a été rude, mais l’état comateux dans lequel elle m’a plongé m’a permis d’aller récupérer tout le monde. Je fais glisser ma main sous les draps. The White Side est bien là. Tant que je ne suis pas sortie de l’hôpital, j’ai peur de l’égarer et que ce cauchemar devienne à nouveau notre réalité.On frappe à la porte.—Oui ?Erick passe sa tête dans l’embrasure. Je me tortille pour essayer de me rendre plus à mon avantage – douloureusement et inutilement. Je ne parviens qu’à gémir. Il se précipite vers moi.—Ça va ?—Oui, ne t’inquiète pas, le rassuré-je. Et toi ?Il incline la tête. Depuis que je suis hospitalisée, il me rend visite tous les jours. Nous avons parlé de sa disparition.Ce n’est pas vraiment son genre de déserter comme il l’a fait, mais il n’a pas supporté la pression. En sortant de chez L.V., il n’a pas compris ce qui lui arrivait. Cela faisait des s
SolveigJe suis dans un lit d’hôpital. Découverte miraculeuse du matin.Je ne suis pas dans une forêt étrange. Je ne suis pas non plus en train de dormir au travail.Mes pensées semblent s’éclaircir.À côté de moi, sur un fauteuil, un grand blond est endormi. Serait-ce Erick? Je tends le cou difficilement afin de mieux voir.Si ce n’est lui, c’est donc son frère…Je me laisse glisser à nouveau sur mon oreiller essayant de rassembler mes souvenirs pour comprendre quelque chose.—Tu es réveillée? Comment te sens-tu?Il se penche au-dessus de moi pour actionner la sonnette.—Je ne sais pas trop, je n’arrive pas à faire le tri entre la réalité et… Comment ai-je atterri ici?—Les secouristes nous ont extraits de la forêt dans laquelle nous étions avec Elise et Baptiste.Alors je n’ai pas déliré nous y étions vraiment.—Tu peux me dire ce qu’il s’est passé