Grayson Blackwell n’avait jamais été du genre impulsif. Chaque geste, chaque décision, chaque regard était pensé, calibré, dirigé vers un seul objectif : sa carrière. Sa réussite. Sa domination.Et pourtant… ce matin-là, alors qu’il fixait son emploi du temps d’un air absent dans le silence élégant de son bureau, quelque chose clochait.Il revoyait Jade. Ses baskets poussiéreuses. Ses sarcasmes. Ses gestes précis sous le capot d’une voiture. Et ce regard qui ne demandait rien, n’attendait rien de lui.C'était insupportable.Pourquoi pensait-il encore à elle ?Grayson se leva brusquement, passa la main dans ses cheveux et se dirigea vers le large mur vitré de son bureau. Manhattan grouillait sous ses pieds, mais sa tête, elle, tournait autour d’une jeune femme en salopette qui refusait obstinément de se plier à ses règles.Il attrapa son téléphone.— Knox, dit-il d’un ton sec. Envoie un chauffeur chercher Jade. Trouve la garage où elle travaille. Et qu’il soit... persuasif.— Persuasif
— Tu veux vraiment que j’essaie ces trucs en soie bizarre, là ? s’étonna Jade, avachie dans le fauteuil en cuir noir qui faisait face au bureau de Grayson.Grayson, droit derrière son imposant bureau, fronçait les sourcils comme s’il avait envie d’en finir avec cette conversation — et avec elle.— Ce truc en soie, c’était une robe de chez Maison Orlane.— Ça ressemblait au rideau de douche de ma tante Denise.— Jade…Elle lui lança un regard espiègle et croqua dans un paquet de crackers qu’elle avait ramené avec elle — et qu’elle venait de déposer sans gêne sur le bureau en noyer.— Tu sais, t’es beaucoup plus marrant quand tu t’énerves, ajouta-t-elle, la bouche à moitié pleine.Grayson ferma les yeux une demi-seconde. Il respirait profondément. Il était froid. Elle le rendait dingue. Et pourtant… il ne voulait pas qu’elle arrête.C’est à ce moment-là que la porte s’ouvrit à la volée.— Je peux entrer ou vous êtes en train de signer un traité de paix historique ?John Weston. Dans to
Quand les lourdes portes vitrées du magasin de luxe se refermèrent derrière eux, Jade resta un instant figée sur le trottoir, les bras chargés de sacs en papier glacé. Elle cligna des yeux sous la lumière du jour, comme si elle revenait d’un rêve étrange. Un rêve à base de soie hors de prix et de vendeuses trop maquillées.Elle tourna la tête vers Grayson.— C’était… beaucoup. Trop, même.— Tu n’avais rien. Il fallait bien commencer quelque part, répondit-il simplement.Elle secoua la tête, un petit sourire en coin.— J’crois que j’me sentirai jamais à l’aise dans ces trucs-là. C’est beau, ok, mais… c’est pas moi. J’ai l’impression de porter un déguisement. Tu comprends ?— Si ce n’est pas toi, on change. Tu veux quoi ? Des tee-shirts et des jeans ? Des baskets ? Des trucs simples ?Elle haussa les épaules, un peu désarçonnée.— Oui… c’est ce que j’ai toujours porté. Et ce que je préfère.Grayson sortit son téléphone et envoya un SMS.— Clara. Donne-moi les meilleures adresses de maga
Alors qu’ils sortaient de la boutique, bras chargés de sacs, Grayson jeta un coup d’œil à sa montre en or.— La journée n’est pas terminée, dit-il.Jade se retourna, surprise.— Tu veux m’acheter un yacht maintenant ?— Salon de beauté.Elle faillit éclater de rire, mais quand elle vit qu’il ne plaisantait pas, elle haussa un sourcil.— Tu veux que je me fasse masser ou épiler ? Tu sais que j’ai grandi dans un garage et pas dans une station thermale ?— Tu as passé ta journée sous un SUV. Et j’ai besoin que tu respires un peu. Détends-toi.Elle soupira. Ce n’était pas vraiment son truc, mais il avait fait un effort. Beaucoup, même. Et elle pouvait bien faire le sien.— Ok, mais si quelqu’un ose me toucher les sourcils, je m’en vais.Grayson esquissa un sourire discret et oconduit vers l'institut de beauté.L’endroit était somptueux. Fauteuils crème, plantes vertes, musiques zen et odeurs d’huiles essentielles. Jade n’eut même pas le temps de faire deux pas que toutes les employées levè
Le trajet du retour fut un silence orageux. Dans l’habitacle, on n’entendait que le froissement lointain des klaxons de Manhattan et la respiration tendue de Jade. Elle refusait de croiser le regard de Grayson. Et lui, comme à son habitude, restait impassible, les mains crispées sur le volant.Lorsqu’ils arrivèrent au manoir, Grayson coupa le moteur, mais n’ouvrit pas tout de suite la bouche. Puis, de sa voix grave et tranchante, il lança :— Dans une heure, un coiffeur et une esthéticienne seront là. Tu dois être prête. Ce soir, on dîne chez mes parents. Ce n’est pas une option.Jade sortit de la voiture sans un mot. Elle claqua la portière et entra dans le manoir, la mâchoire serrée.Mais à peine avait-elle franchi le seuil que la porte s’ouvrit sur une dame au port droit, à l’élégance douce, les cheveux gris tirés en un chignon soigné, un sourire franc éclairant son visage ridé.— Vous devez être Jade, dit-elle avec un accent de tendresse dans la voix. Moi, c’est Hattie. Gouvernant
Hattie entrait dans la chambre de Jade avec un sourire franc et maternel, les bras chargés d’accessoires et d’épingles à cheveux. La gouvernante de la maison, cette femme chaleureuse aux cheveux argentés et au regard pétillant, était de retour de congé. Jade avait été soulagée de la voir, préférant mille fois sa compagnie bienveillante à celle de la styliste engagée par Grayson, froide comme un dressing de défilé.— J’étais partie voir ma cousine dans le pays voisin, tu sais. Je reviens à peine… et paf ! Je découvre que Monsieur Grayson s’est marié ? C’est pas rien !Jade rit doucement.— Et tu veux savoir ce qu’il ne t’a sûrement pas dit ? C’est un mariage arrangé. Forcé, même. Par chantage.Hattie s’arrêta un instant de brosser les cheveux de Jade et fronça les sourcils.— Grayson a fait ça ? Mon garçon a toujours été un peu trop fier, mais de là à forcer une fille… T’as pas eu peur ?Jade haussa les épaules, un brin mélancolique.— J’avais pas vraiment le choix. Mon père était hosp
Le trajet de retour fut d’abord silencieux. Un silence lourd mais apaisant, comme deux guerriers qui viennent de gagner une bataille. Jade avait ôté ses talons dès qu’elle s’était assise dans la voiture, poussant un long soupir de soulagement.— Tu comptes me dire ce que tu penses de cette soirée ? demanda Grayson, les yeux rivés sur la route.Jade esquissa un sourire fatigué.— Je pense que ta grand-mère pourrait gouverner un pays… Et que ta mère a besoin d’un bon massage crânien pour détendre ses nerfs.Grayson éclata d’un rire bref, étonné lui-même d’avoir ri.Un silence complice s’installa. Puis Jade, d’une voix plus douce, murmura :— Grayson... est-ce qu’on peut faire un détour ? Juste un petit moment. Je voudrais passer voir mon père.Grayson jeta un coup d'œil vers elle. Elle avait ce regard. Ce mélange de tendresse et d'inquiétude qu’elle ne montrait qu’en parlant de Graham.— Bien sûr, répondit-il sans hésiter.**★À l’hôpital, Graham les accueillit avec son sourire fatigué
Le matin se leva sur un manoir étrangement silencieux.Jade ouvrit les yeux après une nuit agitée, le cœur encore lourd de ce baiser échangé la veille. Un baiser qu’elle n’arrivait pas à oublier, pas plus que la manière brutale dont Grayson s’était éloigné ensuite, comme si elle avait commis une erreur.Elle s’était retournée toute la nuit dans le lit. Repassant chaque seconde. Chaque souffle. Chaque regard.Elle avait senti quelque chose dans ce baiser. Quelque chose de vrai, de fort, de fragile.Mais ce matin, tout ce qu’elle sentait… c’était l’absence.Elle descendit les marches à pas feutrés, surprise de ne pas entendre les pas précis et rythmés de Grayson dans la salle à manger. Lui qui se levait toujours aux aurores, toujours impeccable, café en main, en train de lire les dernières nouvelles ou de dicter des messages à Knox.Mais la pièce était vide. Même la cafetière semblait avoir pris une pause.Jade fronça les sourcils.— Hattie ? appela-t-elle doucement.La gouvernante appa
La voiture s’arrêta devant la résidence principale. Grayson descendit, ouvrit la portière arrière, et Jade sortit en furie, les cheveux en bataille, les yeux en feu.— Tu es malade ! Complètement malade ! hurla-t-elle en claquant la portière si fort qu’une alarme de voiture se déclencha au loin.Grayson resta impassible, refermant calmement la sienne.— On en parlera à l’intérieur.— À l’intérieur ?! Quoi ?! Tu veux m’enfermer dans une cave maintenant ?! Tu m’as kidnappée dans un parc public, agressé mon collègue et humiliée devant tout le monde ! Et tu veux qu’on en parle à l’intérieur ?!— Tu étais avec lui, Jade. Il te regardait comme si tu lui appartenais. Et tu ne faisais rien pour l’arrêter.— J’AI LE DROIT DE PARLER À QUI JE VEUX !— Pas quand t’es ma femme.— TA FEMME ?! TU TE RAPPELLES DE COMMENT TU M’AS IGNORÉE PENDANT DES JOURS ? TU M’AS TRAITÉE COMME UNE ÉTRANGÈRE ! Une étrangère que tu parades dans les réceptions Blackwell mais que tu relègues dans une chambre vide dès qu
Le parc baignait dans la lumière dorée du crépuscule. Jade riait aux éclats, accroupie dans l’herbe, pendant qu’un énorme American Bully, langue pendante et muscles saillants, se jetait sur une balle en plastique rose. À côté d’elle, Mike, décontracté, lançait la balle de toutes ses forces, son sourire charmeur plus large qu’un boulevard.— Il est incroyable ce chien, dit Jade en caressant la tête du molosse qui bavait gaiement sur ses jeans.— Il s’appelle Diesel, dit Mike en bombant un peu le torse. Il adore les femmes. Moins les hommes. Surtout ceux en costard.— Tu veux dire… les Blackwell ?Ils éclatèrent de rire.Mais soudain, une voiture noire surgit au loin. Elle freina brutalement à l’entrée du parc. Grayson descendit comme une tornade, son manteau volant derrière lui comme s’il sortait tout droit d’un film d’action.John, à contrecœur, le suivit en traînant les pieds.— Bon sang, il va encore faire un carnage…Grayson repéra Jade en deux secondes. Son regard vira au noir qua
Jade décida de rentrer un peu plus tôt ce soir-là, mais son taxi ne s'arrêta pas devant la maison principale des Blackwell. Non. Elle demanda au chauffeur de la déposer plus loin, là où les lumières de la résidence secondaire clignotaient doucement dans la pénombre.Son père, Graham, l’accueillit sur le pas de la porte avec un sourire ravi et un regard attendri. Il n’eut même pas besoin de demander pourquoi elle n’allait pas à la grande maison. Il savait.— J’ai commandé une pizza, dit-il avec fierté, comme s’il venait de signer un contrat avec une multinationale.Jade éclata de rire.— C’est ta grande cuisine gastronomique du soir ?— Une quatre fromages, et j’ai ajouté des olives noires. Je me suis dit que tu serais impressionnée.Elle secoua la tête en riant, entra et se laissa tomber sur le vieux canapé en cuir. Il y avait une odeur de pain chaud, de vieux vin et d’album photo poussiéreux. C’était comme rentrer à la maison. La vraie.Ils mangèrent sur la table basse, les doigts gr
— Hé, t’as deux secondes ? demanda Mike, en s’essuyant les mains.Jade redressa la tête depuis le moteur qu’elle auscultait. Ses joues étaient rouges, son front perlé de sueur, et quelques mèches s’échappaient de son chignon. Elle avait l’air fatiguée, mais déterminée. Farouche.— Ouais, bien sûr, répondit-elle, posant la clé à molette avec un soupir.Mike l’emmena un peu à l’écart, derrière l’un des pick-up en réparation. Il croisa les bras, la regarda un moment sans rien dire.— Tu veux qu’on parle du tyran en costume trois pièces qui a fait irruption ici hier ? demanda-t-il enfin, un sourire au coin des lèvres.Jade haussa les sourcils, surprise.— Pas vraiment.— Je m’en doutais. Mais si jamais t’as envie… je suis là.Elle esquissa un sourire timide. Elle ne s’était jamais demandé si Mike faisait attention à elle. Pas comme ça. Mais dans sa voix, dans ses yeux, elle sentait cette attention calme, sincère. Une douceur inattendue. Un contraste frappant avec l’intensité dévastatrice
La nuit était tombée depuis longtemps. La maison Blackwell baignait dans un silence pesant, comme figée dans une attente invisible.Grayson était debout, dans le couloir, figé devant la porte entrouverte de la chambre de Jade.Il la voyait.Elle dormait, recroquevillée sur le côté, ses cheveux tombant en cascade sur l’oreiller, une main glissée contre sa joue.Elle semblait si paisible… et pourtant, même dans son sommeil, il percevait la tension dans son visage. Comme si son cœur restait éveillé.Grayson serra les poings.Il aurait pu entrer. Il aurait pu s’allonger à côté d’elle, glisser un bras autour de sa taille, enterrer son visage dans son cou et lui murmurer qu’il avait peur. Peur de l’aimer. Peur de la perdre.Mais il resta là. Immobile. Silencieux.Il luttait.Chaque fibre de son corps le poussait vers elle, mais chaque cicatrice de son passé le retenait en arrière.Il revoyait Gina. Son regard avant de mourir. Le petit corps sans vie de ce bébé qu’il n’aurait jamais pu proté
La porte du garage claqua derrière elle avec la rage d’un ouragan.Jade marchait à grands pas dans la rue, les mains tremblantes, la respiration courte, les yeux brûlants. Elle n’avait même pas pris son sac. Juste sa colère. Son amour blessé. Son cœur piétiné.Il l’avait humiliée.Devant tout le monde. Comme si elle n’était qu’un pion, une possession à récupérer à la force du contrat.Mais elle n’était pas un pion.Elle était Jade Carter.Et elle avait des comptes à régler.Elle sauta dans le premier taxi venu, donnant l’adresse de la résidence Blackwell avec une voix dure, étranglée de rage. Durant tout le trajet, elle revoyait le regard glacial de Grayson, la façon dont il avait parlé à Mike, comme s’il marquait son territoire, comme s’il affirmait un droit qu’il n’avait plus. Plus maintenant.Arrivée devant la maison, elle sortit sans un mot et fonça à l’intérieur.Grayson était là. Dans le salon. Un verre de whisky à la main, comme si rien ne venait de se passer. Il leva à peine l
Le garage résonnait d’un morceau de rock old school. Jade, concentrée, resserrait les boulons d’un moteur à moitié démonté. Mike s’approcha, torse en avant, chiffon à la main.— Tu veux que je te montre une astuce pour desserrer ce vieux truc ? demanda-t-il, un peu trop près.— T’inquiète, je sais le faire. Et si je me loupe, je t’offre un café, lança-t-elle avec un sourire.Mike rit doucement. Il lui prit doucement le poignet pour guider ses gestes. Le contact dura une seconde de trop. Jade le sentit mais ne dit rien, croyant à un geste innocent.Puis le vrombissement rauque d’un moteur de luxe fendit l’air. Une Maserati noire s’arrêta juste devant l’entrée. Les gars du garage levèrent les yeux.— Bordel, souffla l’un d’eux. C’est qui, ça ? Batman ?Mike se redressa d’un coup. Jade tourna la tête et elle le vit.Grayson Blackwell. Costume noir. Ray-Ban sur les yeux. Une aura de tempête.Il sortit de la voiture comme on entre dans une guerre. Lentement. Calculé. Froid. Magnétique.— O
Jade inspira profondément en poussant la porte du Mike’s Garage. L’odeur d’huile moteur, de métal chaud et de gomme brûlée l’enveloppa comme une vieille amie. C’était un parfum qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer.— Eh, regardez qui est de retour ! lança Mike, en sortant de sous un capot, les mains noircies de cambouis.Il s’approcha d’elle avec un grand sourire, un torchon sur l’épaule. Il ne lui fit pas de remarque sur ses cernes ou sur son air perdu. Il se contenta de lui ouvrir les bras.— J’avais parié que t’allais revenir, dit-il en l’enlaçant brièvement. T’es une vraie, Jade. Ce garage t’aime bien.— Moi aussi, souffla-t-elle, un sourire discret aux lèvres.Le claquement métallique d’une clé à choc se mêlait à la musique rock diffusée en fond.Jade, en combinaison bleue remontée jusqu’à la taille, bras nus, front couvert de quelques gouttes de sueur, vissait une pièce sous le capot d’une vieille Mustang.— C’est du joli boulot, commenta Mike, accoudé à l’aile de la voiture.Il
Jade avait attendu. Espéré. Prié, même.Mais ce soir, c’en était trop.Elle descendit les marches du grand escalier avec détermination. Elle l’avait entendu rentrer. La porte avait claqué doucement. Ses pas l’avaient guidée vers le bureau. Toujours ce fichu bureau. Comme une forteresse qu’il utilisait pour se barricader derrière ses douleurs et ses silences.Elle frappa une fois. Pas de réponse.Elle entra quand même.Grayson leva à peine les yeux de ses papiers.— J’ai besoin de te parler, dit-elle, d’une voix calme, mais ferme.— Je suis occupé, Jade.— Ça ne prendra pas longtemps, répondit-elle, avançant dans la pièce.Il soupira, referma le dossier devant lui, et s’adossa lentement à son fauteuil. Son regard était froid, distant. Presque méconnaissable.— À Singapour… tu étais différent. Tu étais… toi. Vrai. J’ai cru qu’on construisait quelque chose. Et puis tu as changé. Du jour au lendemain.Elle le regarda, les yeux brillants de douleur.— Qu’est-ce que j’ai fait, Grayson ? Tu