Dans un nuage de vapeur, Octave quitte la chaude humidité de sa modeste salle de bains. La serviette nouée autour de la taille et les cheveux encore mouillés, il se dirige vers le salon pour se préparer un café avant d’aller s’habiller. Son cœur manque un battement et il pousse un cri de surprise lorsqu’il la voit, tranquillement installée sur une chaise.—Morwenna ? Mais… que faites-vous là ? Comment êtes-vous entrée ?—J’avais à vous parler. Et la porte n’était pas verrouillée.Octave devient cramoisi, gêné de se montrer ainsi dénudé. La jeune elfe ne rougit même pas, amusée de la honte de ce beau garçon. Elle est fascinée par ses yeux. Sa timidité couplée à une détermination naissante, cette envie de lutter malgré la peur qui le tiraille. Elle aime ses cheveux couleur noisette aux mèches un peu folles, et le voir ainsi lui prouve qu’il possède l’endurance nécessaire pour mener à bien cette mission. Sa peau blanche et imberbe lui paraît douce et Morwe
—Un rat ? couine Octave, elle nous a vraiment transformés en rat ?—C’est notre meilleure chance. Dans un château, personne ne se soucie des rongeurs ! rétorque Griselda.—Vous y êtes déjà entrée ? Cet endroit est d’un blanc immaculé, je ne crois pas que beaucoup de souris s’y trouvent, hormis pour servir de cobayes !—Taisez-vous ! s’impatiente Morwenna, en tête du cortège. Suivons le renard, il nous guidera jusqu’à la galerie qui mène aux sous-sols du château.Les trois comparses ont été transformés en rats facilement reconnaissables. Morwenna est une rate souple et rapide au poil ambré, Octave un peu plus frêle, mais tout aussi vif avec un poil couleur noisette, comme ses cheveux. Quant à Griselda, qui ferme la marche, elle est plus costaude que ses compagnons, le poil noir comme la nuit.Ils déambulent dans les galeries terreuses, découvrant un monde nouveau: celui de ces créatures discrètes et peu appréciées. Octave
Dans les gradins du Vélodrome, la fureur des buveurs est à son paroxysme. Les poches de sang ne suffisent pas et des mouvements de révolte et de colère éclatent au nom de la Liberté, de la Justice. Rarement Mélisaine a été si terrifiée.—Clotaire ! cette folie doit cesser ! Nous ne tiendrons pas longtemps !—Il le faut ! Demain a lieu l’un des événements les plus attendus de l’Exposition ! Si nous relâchons maintenant ces monstres, nous risquons de déclencher une panique générale dans la ville. L’ordre doit venir du Président Loubet, pas de moi !—Clotaire, je vous en supplie, envoyez une missive urgente au Président !Mélisaine, responsable des fées et des Féeriques, fait son maximum pour endiguer la colère des buveurs. Mais elle doute. Contrairement à Clotaire, elle ne ressent aucune certitude quant à la nature du criminel qu’ils recherchent. Il n’est pas impossible que tous les buveurs enfermés là soient innocents. S’ils continuent ainsi
L’aube se lève, et avec elle la clameur de la foule en liesse. Aux abords du parc aérostatique de Vincennes, les badauds et nobles gens se bousculent déjà.Clotaire et Octave jouent des coudes pour gagner les lieux où débutent déjà les festivités. Aucun des deux hommes n’a anticipé un tel engouement pour ces jeux de ballon. Le départ est fixé à 10 h et la montre à gousset de Clotaire n’indique même pas 8 h.—Il semblerait que cette activité rassemble plus d’adeptes que nous le pensions, en déduit Octave.—En effet… des hommes sont sur place depuis hier soir, l’endroit est sécurisé. J’espère seulement ne pas avoir sous-estimé mes effectifs.—Ne bénéficiez-vous d’aucun renfort auprès du gouvernement ?—Bien sûr que si ! Des gars de l’armée doivent être là, je trouve cependant étrange de ne pas les avoir déjà croisés.—Ils attendent certainement que l’heure tourne avant de se déployer…Les deux officiers longen
Les automates font grincer leur nuque pendant qu’ils observent et analysent l’activité autour d’eux. Pas un mouvement, hormis au loin quelques forcenés qui accourent en émettant des sons inintelligibles pour eux. Celui qui en est le chef s’approche à pas lents de l’estrade présidentielle. Il fourre sa main à l’intérieur de sa veste puis en sort un poignard à la lame scintillante. Dans le prolongement de son bras, le métal fait miroiter les rayons du soleil qui commencent à inonder le parc. Octave perçoit l’éclat de loin, protégé par la magie de Griselda, il n’a pas été touché par le sort qui immobilise les autres humains. Tant bien que mal, il tente désespérément de les faire émerger de leur torpeur.L’automate lève la main puis abat la lame dans un sifflement. Le poignard rencontre la chair tendre d’un homme qui s’écroule sur le sol, le visage dénué d’expression. Sa moustache tressaille tandis que le sang s’écoule de son abdomen. Ses yeux sombres s’agrandissent par la peur visc
Non loin du bois, au sein du Vélodrome municipal de Vincennes, la tension est à son plus haut niveau. L’alerte a été donnée qu’au parc aérostatique un drame était en train de se dérouler. Les agents les plus compétents ont laissé derrière eux les débutants et la problématique des buveurs avec eux. Les Féeriques ont également quitté les lieux, renforçant au préalable la barrière magique retenant les Maléfiques dans les gradins.Exaspéré, la voix pleine de colère, l’un d’eux s’exclame:—Mes frères ! L’injustice n’a que trop duré ! Allons-nous laisser ces humains nous séquestrer sans raison valable ?—Calme-toi, Horace. Notre peine s’arrête ce soir, lorsque les festivités autour de la course de ballons seront terminées… Mieux vaut rester tranquille si nous ne voulons pas nous attirer plus d’ennuis…—Tu te soumets à leur volonté ? s’écrie le buveur, la rage au ventre.—Bien sûr que non, mais nous ne devons pas leur offrir de
Madame de Honfleur quitte sa demeure à 23 h. Les rues sont calmes, abandonnées par les touristes qui préfèrent s’entasser dans les lieux de réjouissances nocturnes. Tandis que les hommes organisent des réunions secrètes pour débattre de l’actualité de ces derniers jours, les femmes refont le monde, loin de l’oppression masculine et de la société. Ses parents font partie de ces gens-là, qui sourient le jour et complotent la nuit. Elle n’éprouve aucune difficulté à déjouer l’attention des domestiques, trop occupés eux aussi à commérer, libérés de la vigilance accrue de leurs patrons.Elle dévale une volée de marches avec agilité et souplesse, prenant garde de se dissimuler dans l’ombre des murs. Elle perçoit soudain des chuchotements en provenance de la bibliothèque. Certainement le majordome qu’elle soupçonne de courtiser la dame de compagnie de sa mère. Elle fait demi-tour et longe un grand corridor qui mène à l’escalier de service. Là, elle descend aux cuisines. Plongée dans le
L’héritière de la famille Honfleur descend les marches à la suite de son étrange hôte. Ses mains gantées palpent la paroi humide et rugueuse du mur, seul repère dont elle dispose dans la pénombre angoissante des souterrains parisiens.—Ce chemin rallie-t-il les égouts ? L’odeur est épouvantable…—Je me doutais qu’une fleur aussi délicate que vous serait incommodée par les effluves des bas-fonds. Bienvenue chez nous ! raille-t-il avec un rire guttural.La jeune femme se raidit, elle se sent offusquée et ridicule. Cet Horace n’a pas tort, elle s’apprête à rejoindre une horde de morts-vivants, après tout.—Est-ce encore loin ? se hasarde-t-elle à demander, mes chaussures me font sacrément mal aux pieds…Le buveur lui lance un regard mauvais, il grommelle quelques paroles inaudibles avant de bifurquer dans une galerie qui jouxte l’escalier de pierre sur leur droite. Enfin, pense la journaliste, plus aucune marche pour faire souffrir
Deux jours plus tard.La foule s’amasse sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame. L’œuvre architecturale domine Paris par sa magnificence et sa solennité. Il n’y a pas meilleur endroit dans la capitale pour une déclaration à propos d’intégration et d’acceptation de l’autre.Sur le bas-côté, les roulottes des magiciennes et des diseuses de bonne aventure ont cédé la place au peuple, venu écouter le discours présidentiel sur l’avenir de leur cité. Octave se tient parmi eux, droit, dans une redingote neuve achetée pour l’occasion. Il ajuste son haut-de-forme dont il lisse le bord entre son pouce et son index. Il répète le geste dès que des regards se posent sur lui, trahissant ainsi sa nervosité. Personne ne connaît encore son nom, mais bientôt cela changera et l’attitude des gens aussi.—Ça va bien se passer.La voix chantante de Victorine le fait d’abord sursauter et sans même l’avoir vu, il sourit. Lorsqu’il se tourne v
Octave ne s’est pas trompé, dans l’ombre de Razbork, de nombreuses portes dérobées permettent aux viles créatures de dissimuler leurs secrets.C’est derrière l’une d’elles que se tient Raïzel, adossée contre le mur, les yeux clos et les sens en alerte. Elle n’est plus la bienvenue en ces lieux, elle le sait. Les scientifiques l’ont utilisée pour mener à bien leurs recherches, elle sent le sortilège que le mage a lancé pour protéger ces murs. Mais c’est une goule, et les membres de son espèce sont peu sensibles à la magie des sorciers, qu’importe leur grade. Par chance, le sort semble la dissimuler de la perception de Griselda. À cette seule pensée, ses lèvres se retroussent sur ses dents d’un blanc immaculé, elle a été trahie. Par elle et par Anastase. Elle sait que ce dernier est un élément faible pour leur opération. Il est fort physiquement, et connaît le corps humain dans ses facettes les plus sombres, mais il a expérimenté l’amour et cette faiblesse-là, est un fléau impossi
L’héritière de la famille Honfleur descend les marches à la suite de son étrange hôte. Ses mains gantées palpent la paroi humide et rugueuse du mur, seul repère dont elle dispose dans la pénombre angoissante des souterrains parisiens.—Ce chemin rallie-t-il les égouts ? L’odeur est épouvantable…—Je me doutais qu’une fleur aussi délicate que vous serait incommodée par les effluves des bas-fonds. Bienvenue chez nous ! raille-t-il avec un rire guttural.La jeune femme se raidit, elle se sent offusquée et ridicule. Cet Horace n’a pas tort, elle s’apprête à rejoindre une horde de morts-vivants, après tout.—Est-ce encore loin ? se hasarde-t-elle à demander, mes chaussures me font sacrément mal aux pieds…Le buveur lui lance un regard mauvais, il grommelle quelques paroles inaudibles avant de bifurquer dans une galerie qui jouxte l’escalier de pierre sur leur droite. Enfin, pense la journaliste, plus aucune marche pour faire souffrir
Madame de Honfleur quitte sa demeure à 23 h. Les rues sont calmes, abandonnées par les touristes qui préfèrent s’entasser dans les lieux de réjouissances nocturnes. Tandis que les hommes organisent des réunions secrètes pour débattre de l’actualité de ces derniers jours, les femmes refont le monde, loin de l’oppression masculine et de la société. Ses parents font partie de ces gens-là, qui sourient le jour et complotent la nuit. Elle n’éprouve aucune difficulté à déjouer l’attention des domestiques, trop occupés eux aussi à commérer, libérés de la vigilance accrue de leurs patrons.Elle dévale une volée de marches avec agilité et souplesse, prenant garde de se dissimuler dans l’ombre des murs. Elle perçoit soudain des chuchotements en provenance de la bibliothèque. Certainement le majordome qu’elle soupçonne de courtiser la dame de compagnie de sa mère. Elle fait demi-tour et longe un grand corridor qui mène à l’escalier de service. Là, elle descend aux cuisines. Plongée dans le
Non loin du bois, au sein du Vélodrome municipal de Vincennes, la tension est à son plus haut niveau. L’alerte a été donnée qu’au parc aérostatique un drame était en train de se dérouler. Les agents les plus compétents ont laissé derrière eux les débutants et la problématique des buveurs avec eux. Les Féeriques ont également quitté les lieux, renforçant au préalable la barrière magique retenant les Maléfiques dans les gradins.Exaspéré, la voix pleine de colère, l’un d’eux s’exclame:—Mes frères ! L’injustice n’a que trop duré ! Allons-nous laisser ces humains nous séquestrer sans raison valable ?—Calme-toi, Horace. Notre peine s’arrête ce soir, lorsque les festivités autour de la course de ballons seront terminées… Mieux vaut rester tranquille si nous ne voulons pas nous attirer plus d’ennuis…—Tu te soumets à leur volonté ? s’écrie le buveur, la rage au ventre.—Bien sûr que non, mais nous ne devons pas leur offrir de
Les automates font grincer leur nuque pendant qu’ils observent et analysent l’activité autour d’eux. Pas un mouvement, hormis au loin quelques forcenés qui accourent en émettant des sons inintelligibles pour eux. Celui qui en est le chef s’approche à pas lents de l’estrade présidentielle. Il fourre sa main à l’intérieur de sa veste puis en sort un poignard à la lame scintillante. Dans le prolongement de son bras, le métal fait miroiter les rayons du soleil qui commencent à inonder le parc. Octave perçoit l’éclat de loin, protégé par la magie de Griselda, il n’a pas été touché par le sort qui immobilise les autres humains. Tant bien que mal, il tente désespérément de les faire émerger de leur torpeur.L’automate lève la main puis abat la lame dans un sifflement. Le poignard rencontre la chair tendre d’un homme qui s’écroule sur le sol, le visage dénué d’expression. Sa moustache tressaille tandis que le sang s’écoule de son abdomen. Ses yeux sombres s’agrandissent par la peur visc
L’aube se lève, et avec elle la clameur de la foule en liesse. Aux abords du parc aérostatique de Vincennes, les badauds et nobles gens se bousculent déjà.Clotaire et Octave jouent des coudes pour gagner les lieux où débutent déjà les festivités. Aucun des deux hommes n’a anticipé un tel engouement pour ces jeux de ballon. Le départ est fixé à 10 h et la montre à gousset de Clotaire n’indique même pas 8 h.—Il semblerait que cette activité rassemble plus d’adeptes que nous le pensions, en déduit Octave.—En effet… des hommes sont sur place depuis hier soir, l’endroit est sécurisé. J’espère seulement ne pas avoir sous-estimé mes effectifs.—Ne bénéficiez-vous d’aucun renfort auprès du gouvernement ?—Bien sûr que si ! Des gars de l’armée doivent être là, je trouve cependant étrange de ne pas les avoir déjà croisés.—Ils attendent certainement que l’heure tourne avant de se déployer…Les deux officiers longen
Dans les gradins du Vélodrome, la fureur des buveurs est à son paroxysme. Les poches de sang ne suffisent pas et des mouvements de révolte et de colère éclatent au nom de la Liberté, de la Justice. Rarement Mélisaine a été si terrifiée.—Clotaire ! cette folie doit cesser ! Nous ne tiendrons pas longtemps !—Il le faut ! Demain a lieu l’un des événements les plus attendus de l’Exposition ! Si nous relâchons maintenant ces monstres, nous risquons de déclencher une panique générale dans la ville. L’ordre doit venir du Président Loubet, pas de moi !—Clotaire, je vous en supplie, envoyez une missive urgente au Président !Mélisaine, responsable des fées et des Féeriques, fait son maximum pour endiguer la colère des buveurs. Mais elle doute. Contrairement à Clotaire, elle ne ressent aucune certitude quant à la nature du criminel qu’ils recherchent. Il n’est pas impossible que tous les buveurs enfermés là soient innocents. S’ils continuent ainsi
—Un rat ? couine Octave, elle nous a vraiment transformés en rat ?—C’est notre meilleure chance. Dans un château, personne ne se soucie des rongeurs ! rétorque Griselda.—Vous y êtes déjà entrée ? Cet endroit est d’un blanc immaculé, je ne crois pas que beaucoup de souris s’y trouvent, hormis pour servir de cobayes !—Taisez-vous ! s’impatiente Morwenna, en tête du cortège. Suivons le renard, il nous guidera jusqu’à la galerie qui mène aux sous-sols du château.Les trois comparses ont été transformés en rats facilement reconnaissables. Morwenna est une rate souple et rapide au poil ambré, Octave un peu plus frêle, mais tout aussi vif avec un poil couleur noisette, comme ses cheveux. Quant à Griselda, qui ferme la marche, elle est plus costaude que ses compagnons, le poil noir comme la nuit.Ils déambulent dans les galeries terreuses, découvrant un monde nouveau: celui de ces créatures discrètes et peu appréciées. Octave