Je me précipite jusqu’à l’infirmerie. J’ignore les appels de Zéphyr et d’Angie qui tentent de m’en empêcher. Ils ont vraiment cru que je resterais là, les bras croisés, à assimiler la nouvelle sans rien faire ? Ce n’est pas mon genre. Je longe les couloirs du château et ne tarde pas à pousser la porte du dispensaire. Je jette un regard circulaire dans la salle et le trouve allongé dans un lit blanc, des machines reliées à son corps. Un corps qui m’a l’air amaigri. Il est visiblement toujours dans le coma. Je l’entends à peine respirer. Il est en train de mourir à petit feu... par ma faute. Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Dès l’instant où je me suis retrouvée dans cet Isolement de malheur, Isaac a été là pour moi. Il m’a pris ma peine. Il m’a rassurée. Il s’est confié à moi. Du moins... un peu. Je ne connais pas toute son histoire, mais ce dont je suis certaine, c’est qu’il a traversé des moments affreux et qu’il ne s’attendait sûrement pas à mourir ainsi. Que s’est-il passé dans ma tête
Je la regarde claquer la porte derrière elle, inébranlable. Et c’est à ce moment que je me souviens du petit objet présent dans ma poche. Sa montre. Je voulais la lui rendre et j’ai encore raté une occasion de le faire. Cette fille est arrivée à me faire oublier ce pour quoi je suis venu jusqu’ici. Elle est vraiment douée. D’habitude, rien ni personne ne parvient à me détourner de mon objectif. Mais avec elle, c’est différent. Elle arrive à faire ressortir ce que j’essaie d’enfouir au plus profond de moi. Avant, jamais je ne me serais emporté ainsi. Je fixe une fois de plus le trou dans le mur. Ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps. J’ai bien cru que j’allais frapper Evalina pour sa naïveté. Elle s’expose à des risques dont elle n’a même pas idée. Elle aurait pu mourir. Je ne sais pas pourquoi j’ai réagi aussi brusquement. Après tout, si elle meurt, c’est son problème. Mais la reine m’a chargé de veiller sur elle, et si je n’avais pas été là, elle serait morte. Bon sang. Je presse
Comment Angie en est-il arrivé à cette conclusion ? Je ne comprends pas. D’après ce que j’ai pu observer dans ce royaume, personne n’a le même pouvoir qu’un autre. Chacun possède le sien. Pourquoi aurais-je le même que celui d’Isaac ?—Tu te trompes.—Tu as pu utiliser la localisation psychique parce que des particules de mon pouvoir flottaient encore dans l’air, explique-t-il. Et tu as pu guérir Isaac parce que Zéphyr avait la main posée sur ton épaule. Ce sont des preuves suffisantes, non ?Effectivement, ce qu’il dit n’est pas dénué de sens. Et lui n’a relevé que deux preuves. Le jour où j’avais entendu ses pensées, il avait mis sa main sur mon épaule pour me soutenir au cas où le mal de tête me reprenait. Lorsqu’il l’avait enlevé, tout s’était arrêté. J’avais beau me concentrer encore et encore pour tenter de les entendre à nouveau, c’était peine perdue. Je crois bien que ceci fait office de troisième preuve.—Avant de partir pour l’Imp
Cela faisait longtemps que je n’étais pas venue ici. Je suis adossée au mur blanc de la pièce en coupole, appelée également «la salle d’attente du Siège ». J’attends que la reine veuille bien me recevoir, tout en essayant de ne pas croiser le regard d’Angie. Je tente par tous les moyens de ne pas détourner mes yeux de ce soleil brillant éclairant la pièce à travers la baie vitrée. Ces derniers jours, le ciel est toujours d’un magnifique bleu. À vrai dire, je n’ai même jamais vu de nuages à Réturis. Pas une seule fois. Comme les étoiles sur ce royaume, j’ai l’impression qu’ils sont inexistants. Ce monde est décidément très étrange.Et je suis loin d’en avoir fait le tour. J’aimerais tant sortir dehors ! Je voudrais visiter les villages qui jouxtent le Majestueux, mais je doute qu’on me donne un jour cette permission. D’après la reine, je suis bien trop précieuse pour que l’on prenne le risque que je sorte. Je déteste me sentir comme prisonnière. Je dois rester ici, à attend
Ce dernier tressaille à l’entente de son nom prononcé par la voix grave et hésitante d’Isaac. Il n’y a pas un bruit, mis à part les respirations de chacun d’entre nous. Et encore... Pour ma part, j’ai le souffle coupé. J’attends la réponse du Leader. Les autres ne doivent sûrement rien comprendre à la situation, tout comme moi. Même si intérieurement, j’avais cette impression que les deux garçons s’étaient déjà rencontrés. Reste à savoir si Angie va assumer, ou tout simplement nier.Mais il reste muet. Immobile. Aucune émotion ne traverse son visage. Isaac s’avance, jusqu’à s’arrêter face à lui. Ils font quasiment la même taille. Isaac ne dépasse Angie que de quatre ou cinq centimètres. Les secondes s’écoulent, interminables. Les deux hommes se dévisagent.—Oui, c’est bien toi, finit par dire Isaac. Tu as beau garder le silence, je ne connais personne d’autre possédant les mêmes yeux que les tiens.Angie reste muet. Pourquoi ne répond-il pas ? Mais lorsque je
Je descends précautionneusement de mon pégase noir. Ce dernier recule de quelques pas, les sabots claquant contre le sol de terre aride. J’attache sa corde autour d’un arbre non loin, dépourvu de feuillage. Je caresse une dernière fois sa magnifique robe noire, me demandant si j’aurais la chance de le revoir. Mais ce que je m’apprête à faire m’en fait douter. Je me détourne de lui, inspire un grand coup, puis m’élance. J’avance avec détermination jusqu’à l’Imposant qui se dresse face à moi. Peut-être que je signe mon arrêt de mort… Peu importe, j’y vais pour elle. Pour Tessia. Si je décide de faire demi-tour, plus jamais je n’oserai me regarder dans une glace.En espérant que la Démone ne bluffe pas ! Elle prétend détenir Tessia, mais je n’en ai jamais eu la preuve. Il n’y a qu’une seule façon de le découvrir... J’inspire à nouveau une grande bouffée d’air frais. Plus que quelques pas et j’atteins la grande porte en bois noir... J’avance une main tremblante vers la poignée. Je s
Mes yeux s’ouvrent lentement sur un espace sombre. Étrangement familier. Des toiles d’araignée dans les recoins, une fraîcheur à en faire dresser les poils sur la peau, une odeur de moisi, et des barreaux en acier. Je suis de retour à l’Isolement. Je me relève d’un bond, faisant abstraction des courbatures qui tétanisent mes muscles. Je me précipite jusqu’aux barreaux qui entravent ma liberté, et lorsque je les saisis à pleine main, la peinture qui s’écaille me vaut quelques égratignures.—Eh ! Il y a quelqu’un ? appelé-je.Seul l’écho de ma voix se fait entendre. L’Isolement est désert. Il n’y a personne à part moi. La Démone n’a donc pas respecté sa part du marché. À l’instant même où je me suis présentée à elle, elle s’est empressée d’envoyer l’un de ses nébors m’électrocuter. Je hurle de rage. Mes poings ne cessent de marteler les barreaux de ma cellule, seulement, je n’arrive pas à les briser comme la dernière fois. Et cela a le don de m’énerver davantage. Je n
—Marché conclu, accepte Harmonie, les yeux luisant d’une intense couleur rouge.Non, non, et non… Il est vrai qu’Angie m’avait assurée qu’il respecterait sa promesse faite à la reine – celle de me protéger au péril de sa propre vie – et je peux désormais constater que ce n’était pas des paroles en l’air. Il est réellement prêt à le faire.—Non..., murmure Isaac, serrant un peu plus fort ma main.Je ne peux pas le laisser faire. Je puise dans mes dernières ressources afin de me relever. Je m’écarte des bras d’Isaac et tente de ne pas penser à cette douleur cuisante qui me pétrifie le corps.—Qu’est-ce que tu fais ? me questionne-t-il. Tu ne dois pas te lever, tu vas avoir mal !—J’ai déjà mal, grimacé-je. Me lever n’y changera pas grand-chose.Il soupire, mais à ma grande surprise, n’insiste pas. Il doit probablement se demander ce que j’ai derrière la tête. Et c’est bien ça, le problème. Je n’ai rien. Aucun plan. Pas une
Angie est le premier à demander des explications. J’entends sa voix, mais je suis incapable de me concentrer sur ce qu’il dit. Les seuls mots qui résonnent dans ma tête sont ceux de Zéphyr. Il n’a pas dit que Cassie et Tessia étaient revenues. Il a seulement dit Cassie. Ma poitrine me fait mal. Mon corps se met à trembler de lui-même. Je ne me sens pas bien. Ma gorge est serrée. Je n’arrive plus à distinguer clairement mon entourage. Mon cœur bat trop vite. J’essaie de prendre une profonde inspiration et d’expirer calmement, mais j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. Tessia n’est pas revenue. Je recule et heurte la paroi du tunnel. J’ai la sensation qu’on est en train de jouer avec mon cœur. Qu’il résiste tant bien que mal, mais qu’il suffirait qu’on le crève encore un peu plus pour le voir perdre la partie. Je ne me sens plus capable d’agir comme si ce n’était pas grave. Comme si je pouvais encore attendre, alors que ma sœur est la seule famille qu’il me reste. Mes jambes son
—Je savais que je te trouverais ici.—Je n’ai pas cherché à me défiler.Zéphyr esquisse un sourire et s’engouffre dans l’espace sombre et bleuté du Jardin Abyssal. Il jette un rapide coup d’œil à l’aquarium, puis il me rejoint sur le canapé. Il se laisse tomber contre la matière moelleuse et pose ses avant-bras sur ses genoux, les mains croisées. Il ne dit rien. Et je sais pertinemment pourquoi. Il attend que ce soit moi, comme à chaque fois qu’il veut entamer une discussion sérieuse. Et je n’aime pas ce genre de discussions. Il me pousse souvent à comprendre ce que je redoute le plus, à faire face aux démons qui me rongent de l’intérieur. Et je déteste ça.—Tu perds ton temps, finis-je par dire.—Nous savons tous les deux que c’est un mensonge. Depuis quand ne lis-tu plus dans les pensées des autres ? Parce que tu n’as pas l’air de savoir pourquoi je suis là.—Je suis fatigué.—Fatigué ? relève-t-il, les yeu
—Angie, attrape !Je rattrape in extremis la dague qui filait droit sur mon front, ma main se refermant autour de la lame en métal froid. Je braque un regard incendié en direction d’Apolline. Celle-ci hausse les épaules, et ses pensées, manquant un brin de tact, ne tardent pas à résonner dans ma tête.«Tu n’avais qu’à être plus rapide ! »Je jette la dague à mes pieds. Celle-ci vient se figer dans le tatami. Si Ombelline voit ça, je suis mort. Je la retire et m’assieds sur l’entaille désormais présente, jetant un coup d’œil discret en direction de l’Immortelle. Elle est encore occupée à arbitrer le combat d’Edden et de Maximilien. Le Cerveau n’a d’ailleurs aucune chance, il n’est pas assez rapide et n’arrive pas à anticiper les coups de son adversaire. Et même si cela me coûte de le reconnaître, Edden est fort. Très fort.—OK, dis-moi ce qui ne va pas.Je fronce les sourcils. Apolline me rejoint sur le tatami et s’assied à mes côtés,
—Puis-je connaître l’origine de ce vacarme ? tonne une voix féminine derrière notre petit groupe.Je me retourne pour faire face à une silhouette bien particulière.—Ombelline ! s’exclame Zéphyr, d’un ton moins assuré qu’il a l’habitude d’employer. Comme tu peux le voir, nous avons géré la situation ! Tu peux donc retourner te...—Vous avez géré la situation ? le coupe-t-elle sèchement. Il me semble pourtant que ce n’est pas officiellement terminé.L’Immortelle baisse ses yeux gris sur ma silhouette. J’affronte son regard, ne comprenant pas très bien en quoi sa phrase me concerne. Suis-je la situation non terminée ? Isaac a réussi à me faire reprendre mes esprits et à me calmer. Si elle était arrivée quelques minutes plus tôt, sa remarque aurait été très pertinente, mais maintenant, elle tombe dans le vide. Je me contrôle parfaitement. Les Surnaturels dévient leur regard dans ma direction. Lorsque je vois le visage d’Apolline afficher une e
J’ouvre mes yeux sur un espace clos. Froid. Sans vie et abandonné. Ou presque. Un vieux berceau terni par les années se tient dans un coin. Je sais exactement où je suis. Je savais que cela se reproduirait, mais je n’imaginais pas aussi rapidement. Je baisse le regard sur mes jambes pour constater, à mon plus grand soulagement, qu’elles ne sont pas ligotées. Et aucune chaise à l’horizon. Je suis tout simplement assise sur le sol froid. Le berceau est le seul meuble de la pièce. Si Isaac dit vrai et que je suis bien victime d’une effraction de rêve, cela veut donc dire que Mélodie créée ce cauchemar de toutes pièces. Le berceau qui figure dans cet endroit n’est donc pas là pour rien.Je me relève, à l’affût du moindre bruit susceptible d’annoncer la venue de la Démone. Pour le moment, il n’y a personne. Elle ne doit pas savoir que je suis réveillée. Il faut dire que contrairement à la dernière fois, je n’ai pas fait de bruit. Isaac m’a bien expliqué qu’ici, il ne pouvait rien m’a
Une voix. Je l’entends. Elle me parle, elle murmure mon prénom. Se glisse dans les limbes de mon sommeil. Caresse mes paupières, m’intimant l’ordre de les ouvrir. J’ai envie de dormir, mais j’obéis. J’ouvre les paupières, lentement, pour ne pas être éblouie par les rayons du soleil matinal. Cependant, ce n’est pas sur ma chambre que mes yeux s’ouvrent, mais sur un espace sombre. Froid. Sans vie. Mes pupilles peinent à se dilater pour tenter d’apercevoir quelque chose. Après plusieurs secondes, je parviens à distinguer une forme au loin. Je plisse les yeux. À première vue, on dirait un lit. Mais il me semble bien trop petit pour accueillir un adulte, ou même un enfant.En revanche, il est idéal pour un bébé. C’est un berceau. Un vieux berceau qui semble avoir subi les conséquences du temps. La peinture du bois est écaillée, et quelques planches sur le côté manquent à l’appel. Mais il est là. Toujours debout, tout au fond, dans un coin. Ce berceau abandonné donne un aspect
Angie coulisse la porte pour la fermer. Je fronce les sourcils.—Je préférerais que tu ne fermes pas la porte.—Je préfère quand elle est fermée, réplique-t-il d’emblée.Je croise les bras et soupire pour lui signifier que je ne suis pas d’accord avec lui. C’est incroyable, il lui suffit d’une phrase pour trouver le moyen de me contredire ! Comment allons-nous réussir à communiquer calmement l’un et l’autre, si nous ne sommes déjà pas d’accord quant au fait de fermer ou non une porte ?Angie croise les bras et s’adosse contre la porte, le regard rivé sur un point au-dessus de moi. Généralement, quand il fait ça, c’est qu’il est perdu dans ses pensées. Je me laisse alors lourdement retomber sur mon lit, les bras étalés de part et d’autre de ma tête, fermant les yeux pour ne plus avoir à croiser cette lumière éblouissante. Un sourire ne tarde pas à faire son apparition sur mon visage. Je sais pourquoi il est ici. Du moins, je crois avoir ma petite
—Evalina !—Non, va-t’en ! lui hurlé-je, des larmes de colère perlant sur mes joues.Je ne veux plus le voir. Pas après ce qu’il a fait. A-t-il sincèrement pensé que je ne lui en voudrais pas ? Comment a-t-il pu me faire ça ? Comment a-t-il pu me regarder dans les yeux et me mentir ?—Attends ! Écoute-m...—Je t’ai dit de t’en aller ! vociféré-je.S’il n’est pas bête, il m’écoutera et s’en ira. Quoiqu’en ce moment, je doute de son intelligence. S’il avait un tant soit peu de jugeote, il ne m’aurait pas menti en me regardant droit dans les yeux. Il faut qu’il s’en aille. Mes nerfs sont en train de lâcher, et ce n’est pas bon du tout.—Je voulais te le dire, mais je ne savais pas comment t...—Va-t’en, Edden ! le coupé-je, serrant les poings pour tenter de me contrôler. Va-t’en ! Je t’en supplie, va-t’en !Le Fidèle s’apprête une fois de plus à se justifier, mais lorsque ses yeux verts croisent le
S’il te plaît, Angie, on a besoin de votre aide.—Qu’est-ce que tu fais ? me demande Sean, toujours occupé à rassurer Bastian.Je rouvre les yeux et attends quelques secondes avant de lui répondre, laissant mes pupilles s’habituer à l’obscurité. Cela faisait un moment que j’avais les paupières closes.—J’essayais de contacter Angie par la pensée, expliqué-je. Mais je crois que c’est inutile, ça ne fonctionne pas.C’est sans doute au-dessus de mes capacités. S’il m’avait entendu, il serait là, non ?—Les animaux de notre royaume sont capables de pratiquer entre eux l’appel par la pensée afin de rallier les autres lorsqu’il est question de danger ou de violation des frontières. Si les animaux peuvent le faire, je pense que tu peux y arriver aussi, m’encourage-t-il.Je le remercie d’un faible sourire, désespérée à l’idée de rester ici encore plusieurs heures. Ça commence à faire un bout de temps que nous sommes là. Apollin