Après quelques minutes de réflexion, je rejoins la maison et constate que Maud a rejoint Sarah à l’étage. Je me sers un verre d’eau, autrefois j’aurais pris un whisky dans un moment pareil, mais j’arrive maintenant à m’en passer. Maud doit m’entendre, car elle descend et me retrouve dans la cuisine.—J’imagine à quel point ce doit être difficile, dit-elle, seulement il faut que tu te fasses violence.—Pourquoi? Aider ma fille coincée entre deux mondes? L’aider à mourir définitivement?—L’aider à trouver la paix.—Maud… je sais que tu veux bien faire, sauf que je ne crois pas un mot de ce que ce sorcier t’a dit!—Je sais, j’ai quand même besoin que tu me dises ce que tu sais.—OK, qu’est-ce que tu veux savoir?—Sais-tu comment s’est déclaré l’incendie?—Je n’en sais rien, j’imagine qu’il y a eu un court-circuit au niveau de la batterie et que cela a
La plage la plus proche ne se trouve qu’à une bonne heure de la maison. Cela nous permet de prendre notre temps au réveil, et d’arriver là-bas avant l’heure du déjeuner. Sarah est ravie, car bien que pas trop éloignés de la mer, nous ne nous y rendons jamais. J’y allais pourtant régulièrement autrefois, Eléanore et Célia adoraient ça.C’est pourquoi je ressens un pincement en descendant de la voiture et en foulant le sable, mais cela se dissipe avec les rires de Sarah. Cette petite me fait beaucoup de bien. Et j’ai l’impression que sa joie de vivre est plus forte lorsque mon moral est au beau fixe, alors cela m’encourage à faire des efforts.Maud et moi nous installons sur deux draps de bain, tandis que Sarah a déjà les pieds dans l’eau. Je regarde Maud du coin de l’œil, elle porte un maillot deux-pièces orange qui est à son avantage sur sa peau métissée, elle est magnifique. Je m’allonge sur le ventre et repense à sa déclaration de la veille. Imaginer l’avenir avec elle
Je n’étais au départ pas enthousiasmé par le fait que les filles fouillent dans cette histoire qui est la mienne, et je doute que cela nous éclaire réellement sur les cauchemars de Sarah. Mais je ne suis finalement plus contre en apprendre davantage. Alors j’attends avec Maud d’autres nouvelles de Caroline, seulement elle n’en donne pas et leur dernier échange date de trois jours.Je suis avachi sur le canapé, Maud a la tête posée contre mon épaule, et nous visionnons une série lorsqu’elle me propose de relancer son amie.—Non, laisse-lui du temps, dis-je, elle a son boulot à côté.Et puis Sarah ne fait plus de cauchemars. Du moins jusqu’à ce moment-là, car Maud soulève brusquement la tête.—Quoi? demandé-je.Elle me fait signe de me taire et elle éteint la télévision. Des bruits proviennent de l’étage, et Maud saute du canapé. Car depuis la première expérience de somnambulisme de Sarah datant de la semaine précédente, Maud nourrit l
—De quoi te souviens-tu, Sarah? demandé-je.La fillette se réveille difficilement. Maud est à côté et comme moi, attend la réponse de sa fille.—Sarah, est-ce que ça va? insisté-je.Elle acquiesce avant de s’inquiéter:—J’ai parlé pendant que je dormais?—Tu étais assise dans ton lit, s’exclame Maud.Et elle l’est toujours, Sarah n’a pas changé de position depuis que sa mère l’a réveillée en lui posant les mains sur le visage.—Tu as dit te nommer Elise, dis-je, tu t’en souviens?—Non.—De quoi te rappelles-tu? l’interroge Maud.—Que j’ai été me coucher, j’ai eu du mal à m’endormir…—Et ensuite?—C’est tout.—Tu ne te souviens pas avoir rêvé? demandé-je.—Non.—OK, ce n’est rien, murmure Maud en la prenant dans les bras.C’est sa deuxième crise de somn
Durant le déjeuner, nous discutons avec Maud de Frédéric Fabre, de sa femme et de sa fille. Nous prononçons volontairement leurs prénoms afin de discerner chez Sarah la moindre réaction ou souvenir remonté à la surface. Mais rien. La fillette ne réagit pas et reste concentrée sur son assiette de légumes qu’elle rechigne à manger.—Tu as une Elise dans ton école? demande Maud.—Maman, je t’ai déjà dit que je ne connaissais pas d’Elise.—Pourtant il me semble bien qu’il y en a une en CM1 ou en CM2, non?—Je ne crois pas. En tout cas s’il y en a une, je ne la connais pas.Depuis l’échange téléphonique avec Caroline, nous nous efforçons, Maud et moi, de trouver une raison plus rationnelle aux phrases nocturnes de Sarah. Seulement nous n’avons pas trouvé d’autre Elise que la fille de l’ancien ministre.Cette histoire est de plus en plus étrange, j’en viens à me poser trop de questions. Des questions gênantes sur l
Caroline arrive comme elle l’avait annoncé. Nous n’avons rien prévu de spécial, mais le réfrigérateur est plein de petites choses pouvant agrémenter un apéritif dînatoire. Après nous avoir salués, la reporter se dirige aussitôt vers la chambre d’amis et enchaîne par un passage par la salle de bains. Maud et moi attendons avec impatience les «choses louches» qu’elle a à nous apprendre. Sauf que Sarah est avec nous, notre curiosité va donc devoir se contenir un moment, car nous souhaitons au possible éviter d’aborder ce sujet en sa présence.Caroline sort de sa douche seulement vêtue d’un short et d’un débardeur.—Tu es en mode vacances, l’accueille Maud.—En mode week-end à la campagne, lui répond-elle. Et j’espère qu’il va faire beau, parce que comme tu le vois, j’ai besoin de bronzer.Elle arbore une jolie paire de jambes, longues et fines, mais qui font pâle figure à côté de celles dorées de Maud.Nous nous installons tous le
Caroline est repartie aussi tard qu’elle le pouvait, après avoir passé notre après-midi à réfléchir et échanger sur la terrasse. Nous sommes tous d’accord sur le fait que le comportement des Fabre est louche, que tout semble coïncider avec la date de l’accident, et qu’il peut donc y avoir un lien avec les rêves de Sarah. Seulement ce dernier point demande de nouvelles investigations afin de le confirmer.Alors nous avons abordé plusieurs options pour avancer, je peux insister par téléphone pour tenter d’obtenir une entrevue, au risque de me retrouver avec une plainte pour harcèlement. Et harcèlement sur un homme de cette stature, c’est risqué. L’autre option serait d’engager un détective privé, rémunéré, il ne se poserait pas la question de la véracité des faits et se contenterait d’enquêter. Caroline va se renseigner, et nous en ferons de même de notre côté. La dernière option serait de continuer d’enquêter par nous-mêmes, mais il va nous falloir espionner les allées et venues
Pendant le déjeuner, Maud me rappelle que c’est dans seulement deux jours que Sarah doit partir chez ses grands-parents. On n’en a pas rediscuté, mais l’idée qu’elle soit loin de nous alors que ses cauchemars ont repris nous inquiète.—C’était prévu! s’offusque Sarah en voyant qu’on remet son séjour en question.J’échange un regard avec Maud.—Je peux briefer ma mère, s’exclame cette dernière.—Tu ne vas pas pouvoir tout lui dire.—Et pourquoi pas?—Parce que ça paraît insensé et nous ne sommes encore sûrs de rien.—Je lui dirai que Sarah fait des cauchemars et que nous avons vu un spécialiste qui nous a demandé de retranscrire ce qu’elle dit.—Et si elle fait de nouveau une crise de somnambulisme?Sarah nous observe parler d’elle, alors que Maud répond:—Je vais appeler ma mère pour lui expliquer et on verra bien si ça l’inquiète.Je me t
Plusieurs jours passèrent avant que toute l’affaire ne soit rendue publique. Ils ne furent pas si simples que je l’espérais. Eléanore pleurant celle qui avait été sa mère de substitution durant deux longues années, ainsi que Célia, sa maman, comme si elle ne découvrait qu’aujourd’hui qu’elle était réellement morte dans l’accident.C’est difficile de la voir souffrir. J’aimerais qu’elle soit toujours heureuse, au moins autant que je le suis de la retrouver. Seulement elle pleure sa mère comme je l’ai fait ces dernières années. Alors que c’est ensemble que nous aurions dû surmonter cette épreuve, je ne peux maintenant que compatir et la soutenir.Nous avons attendu quelques jours avant de faire revenir Sarah, et même après cela, il nous faut la tempérer afin qu’elle laisse Eléanore respirer et retrouver peu à peu une vie normale. Mais les voir jouer ensemble me fait fondre sur place. Maud suit cela avec distance, elle sait disparaître pour me laisser seul av
Nous arrivons devant le grand portail en fer forgé.—Et maintenant? demande Maud.—On fonce, répond Caroline.C’est aussi l’idée que j’ai en tête. Les filles s’agrippent tandis que j’enfonce de toutes mes forces la pédale d’accélérateur. La voiture s’immobilise après avoir repoussé de seulement quelques centimètres les lourdes portes de métal et Maud se cogne violemment la tête contre le tableau de bord.—Continue! crie-t-elle alors que du sang lui coule déjà d’une narine.Je l’écoute et enclenche la marche arrière. C’est à la troisième tentative que les articulations du portail cèdent enfin.Je stoppe la voiture devant la grande entrée et descends sans prendre le temps d’arrêter le moteur. Je cours jusqu’à la porte et la pousse, elle n’est pas verrouillée. Un homme se trouve là, dans le hall. Ce n’est pas Monsieur Fabre, j’en conclus qu’il doit s’agir de Christophe Mercier. Je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche
Je laisse un message sur le répondeur de Maud pendant le trajet où je lui explique mes sérieux doutes suite à la déclaration de la femme de ménage. C’est quelques minutes plus tard que je vois qu’elle essaie de me rappeler, seulement j’arrive à la gendarmerie. Je la rappellerai.À mon entrée, je réclame aussitôt le commandant Vail. On me demande la raison et je réponds que j’ai une question urgente à lui poser. C’est le jeune homme de la dernière fois et il me reconnaît, aussi il n’insiste pas et s’en va prévenir son supérieur. Cette fois-ci, le commandant vient en personne à l’accueil.—En quoi puis-je vous aider? me demande-t-il après les salutations d’usage.—Je voudrais faire appel à vos souvenirs concernant l’accident.Le gendarme paraît gêné, puis hésite quelques secondes, avant de m’inviter à le suivre.La porte de son bureau refermée derrière moi, il s’exclame:—Ne me faites pas regretter de vous avoir lais
C’est assez bizarre de me rendre chez quelqu’un que je ne connais pas afin de lui poser des questions. Caroline me déconseille d’avertir la personne de mon passage et de tout miser sur la compassion. Ce qui lui semble naturel par son métier est loin de l’être pour moi, mais je suis motivé et je m’interdis de repartir sans rien avoir appris.Il est 9 heures lorsque je frappe à la porte. Une dame âgée d’une cinquantaine d’années m’ouvre et me sonde de bas en haut.—Bonjour Madame.—Bonjour…Elle me regarde d’un air méfiant, craignant probablement un représentant.—Vous êtes Myriam Lafarge?—Oui, je peux vous aider?—Je pense que oui, je m’appelle Adam Weiss.Me présenter ne déclenche aucune réaction particulière de sa part, sinon celle de l’interrogation.—J’ai perdu ma femme et ma fille dans un accident de voiture il y a deux ans, peut-être vous souvenez-vous?—&nb
Caroline part pour se rendre au manoir. Malgré mon insistance, elle refuse que je l’accompagne et je finis par me ranger à son avis. Elle a l’air de savoir ce qu’elle fait et semble avoir une idée derrière la tête qu’elle garde pour elle. «Restez ici jusqu’à mes nouvelles, vous avez besoin de parler un peu», nous dit-elle juste avant son départ. Tandis que je repense aux rêves de Sarah et à ce que pourrait être leur explication, Maud vient près de moi et m’embrasse.—Je ne t’en veux pas, me dit-elle, je comprends ce que tu as fait.—Non, j’ai agi trop vite. Je me suis laissé porté par mes angoisses et j’aurais dû répondre à tes appels, seulement je ne l’ai pas fait parce que j’étais tourmenté et que j’avais peur de m’emporter contre toi sans raison valable.Elle prend ma main et m’attire jusqu’au canapé.—Tu veux reparler des éléments du dossier, de ce que cela t’a fait de te replonger dans l’accident?—Ça n’a
Elle est debout, les fesses contre le capot de sa voiture, à m’attendre devant chez moi. Je me gare à côté d’elle et descends.—Salut, me lance Caroline.—Qu’est-ce que tu fais là?—Maud m’a prévenue et elle s’inquiète.Je passe devant et lui ouvre la porte d’entrée.—Je n’ai pas besoin d’être surveillé.Je lui fais signe de me suivre à l’intérieur puis reprends:—Tu as du nouveau sur Fabre?—Pas encore, mais je compte m’y rendre dans l’après-midi et demander à le voir.—Je pense également le faire. Maud t’a dit quelque chose?—Comment ça? m’interroge-t-elle.—Est-ce qu’elle t’a dit ce qu’elle allait faire?—Tu veux savoir si elle va venir te rejoindre ici ou si elle va rester chez ses parents?—Oui.—Adam, d’après toi?Je me rends à la cuisine, ouvre le réfrigérat
Je suis maintenant seul, dans le lit, totalement dévasté par ce nouveau rêve de Sarah. Tout me paraissait si réel… j’ai vraiment eu l’impression de parler à ma princesse. Même si les paroles provenaient d’une bouche différente, j’ai la certitude qu’elles naissaient ailleurs, de la bouche de ma… non, je suis complètement perdu. Et puis ce qu’elle a dit… Elle serait avec Célia. Et il y aurait un autre homme…Je me répète en boucle ces derniers mots, «papa, fais vite avant que je t’oublie» et n’en peux plus de ne rien faire. C’était un appel à l’aide! Un appel à l’aide de ma fille décédée! Ou que je croyais décédée… J’ai envie de prévenir la police, mais sous quel motif? Les dires d’une jeune fille durant ses rêves? Je passerais pour fou et ils refuseraient de s’en préoccuper…Je n’en peux plus d’attendre le retour de Maud, j’ai besoin de lui parler, avoir son avis sur mes réflexions de ces dernières minutes. Qu’elle me dise que je ne déli
Pendant le déjeuner, Maud me rappelle que c’est dans seulement deux jours que Sarah doit partir chez ses grands-parents. On n’en a pas rediscuté, mais l’idée qu’elle soit loin de nous alors que ses cauchemars ont repris nous inquiète.—C’était prévu! s’offusque Sarah en voyant qu’on remet son séjour en question.J’échange un regard avec Maud.—Je peux briefer ma mère, s’exclame cette dernière.—Tu ne vas pas pouvoir tout lui dire.—Et pourquoi pas?—Parce que ça paraît insensé et nous ne sommes encore sûrs de rien.—Je lui dirai que Sarah fait des cauchemars et que nous avons vu un spécialiste qui nous a demandé de retranscrire ce qu’elle dit.—Et si elle fait de nouveau une crise de somnambulisme?Sarah nous observe parler d’elle, alors que Maud répond:—Je vais appeler ma mère pour lui expliquer et on verra bien si ça l’inquiète.Je me t
Caroline est repartie aussi tard qu’elle le pouvait, après avoir passé notre après-midi à réfléchir et échanger sur la terrasse. Nous sommes tous d’accord sur le fait que le comportement des Fabre est louche, que tout semble coïncider avec la date de l’accident, et qu’il peut donc y avoir un lien avec les rêves de Sarah. Seulement ce dernier point demande de nouvelles investigations afin de le confirmer.Alors nous avons abordé plusieurs options pour avancer, je peux insister par téléphone pour tenter d’obtenir une entrevue, au risque de me retrouver avec une plainte pour harcèlement. Et harcèlement sur un homme de cette stature, c’est risqué. L’autre option serait d’engager un détective privé, rémunéré, il ne se poserait pas la question de la véracité des faits et se contenterait d’enquêter. Caroline va se renseigner, et nous en ferons de même de notre côté. La dernière option serait de continuer d’enquêter par nous-mêmes, mais il va nous falloir espionner les allées et venues