—Voilà ce dont je vous parlais, s’exclame Maud.Son intervention a pour effet l’arrêt net de Sarah, elle nous repère dans l’entrée de la chambre et n’ose plus continuer.—Je jouais avec Eléanore, s’explique-t-elle.La maman s’approche de sa fille et la serre contre elle. Je reste quant à moi adossé à l’encadrement de la porte, comme paralysé. Je me concentre pour tenter de voir Eléanore, Sarah imaginait également sa présence.—Ça va ? m’interroge Maud.Sa voix me paraît lointaine, mon regard divague, je repense aux mots de la petite dans son jeu.—Elle fait toujours ça, continue la jeune femme, elle imagine que votre fille est avec elle.Je sens mes jambes fléchir, puis je tombe au sol. J’aperçois furtivement le regard paniqué de Sarah, juste avant que sa mère ne lui demande de se rendre dans le salon.Je craque, mes nerfs me lâchent et je m’effondre en larmes. Je ne sais pas ce qui m’arrive, incapable d’ex
Marjorie arrive chez moi en milieu d’après-midi. Je suis sobre, ce qui représente un immense succès pour moi. Seulement cette première gorgée m’appelle, elle me fait de l’œil depuis que je ne vois plus Eléanore déballer ses cadeaux. Je me suis concentré et reconcentré, mais mon esprit n’en a rien à faire. Malgré tout, mes espoirs sont reboostés par ma vision de ce matin, car elle signifie que tout n’est pas perdu, et reparler de Célia va peut-être raviver tout ça.Marjorie arbore sa tête des mauvais jours. Je la fais entrer, et elle s’installe aussitôt sur le canapé.—Tu as l’air bien, me dit-elle.Je sais cette description largement exagérée.—Ça va, toi ?—C’est Noël, je suis chez les parents là, donc tu te doutes que l’ambiance est un peu triste.—Comment vont-ils ?—Ils pleurent toujours leur fille.—Et leur petite fille, ajouté-je.—Oui, évidemment, se reprend-elle. Eléanore no
De la lumière provenant de dehors me sort de mon état comateux. Je ne dormais pas encore, mais après de multiples essais infructueux auprès de mes perles disparues, je reste à délirer tout seul au fond de mon canapé, sous l’œil bienveillant d’une bouteille de whisky vidée de la moitié de son contenu. Les phares s’éteignent et je me redresse pour me presser d’aller éteindre la lumière. Je n’ai pas le temps de rejoindre mon canapé que des coups se font entendre contre la porte.Je n’ose plus bouger, je ne sais pas quelle heure il est, ce n’est en tout cas pas une heure pour déranger les gens. On est lundi, ça ne peut pas être Maud, ce doit être Marjorie. Et je ne tiens pas à ce qu’elle me voit dans cet état.—C’est Maud, s’annonce-t-elle derrière la porte. Je sais que vous êtes là, je vous ai vu éteindre la lumière.J’hésite, tente d’analyser mon état d’ébriété… Je regarde ma montre, il n’est en fait que 18 h 30, la nuit tombe trop tôt en cette saison. Maud fra
Maud est retournée hier chez ses parents, afin d’y récupérer Sarah. Elle m’a appelé ce matin et donné rendez-vous pour le déjeuner, dans un petit restaurant de centre commercial. Que cela se passe là-bas ne m’enchante pas du tout, sauf qu’il va falloir que je m’y plie si je veux pouvoir échanger avec la petite fille. Maud paraît inquiète à l’idée que j’interroge Sarah – et je peux le comprendre –, seulement ce que cette dernière a dit à sa mère est bien trop troublant pour que j’en fasse abstraction.Je me gare, et rejoins le pôle où se trouvent tous les restaurants. Je n’y ai pas mis les pieds depuis l’accident. Maud est assise sur un banc, elle ne m’a pas vu arriver, et observe Sarah jouer avec d’autres enfants sur une grosse structure en forme de bateau. La jeune femme porte un chapeau, ou ce qui ressemble à un mixte entre un bonnet et un chapeau. Ce genre a sûrement un nom, mais je ne le connais pas. J’arrive à sa hauteur, elle me gratifie de son habituel sourire et se lève
Ce matin, ni Célia ni ma princesse ne partagent mon petit-déjeuner. Mais ça va. La veille, je suis rentré surexcité et enjoué par cette soirée passée. Maud me fait du bien, et Sarah aussi, c’est indéniable. Évidemment, j’ai aperçu la mélancolie se pointer à mon entrée, mais je l’ai ignorée. Je me suis rendu directement dans ma chambre et me suis couché. J’ai tenu le coup et les appels de ma bouteille sont restés sans réponse.J’ai pris beaucoup de temps à m’endormir, sans doute plusieurs heures. Je repensais à Maud, à ce que je lui avais dit. Ce matin, je ne regrette plus autant. Car après tout, lui dire qu’elle est jolie n’est que mettre en lumière une vérité, et ça n’a rien d’une quelconque déclaration de sentiments. Ma seule inquiétude va maintenant à l’interprétation qu’elle a pu en faire.C’est jeudi, et la rentrée aura lieu mardi, j’ai hâte. Je n’ai rien de prévu pour les cinq prochains jours et il va falloir que je m’occupe si je ne veux pas retomber dans mes affre
Je fais ce qu’elle dit et me laisse aller. Maud ne fait que poser ses lèvres sur les miennes, rien que quelques secondes, puis se retire. Elle rouvre les yeux, je n’ai pas fermé les miens.—C’est déjà une sacrée étape, dit-elle.Et je ne suis pas certain qu’elle réalise à quel point.—Vous acceptez de rester déjeuner ?J’acquiesce. Elle saisit sa tasse de café, qu’elle serre entre les mains, et se laisse tomber au fond du canapé. Je prends la mienne et la porte à ma bouche, il a tiédi.Je suis tout à coup envahi de remords. Non, nous n’avons rien fait, Maud n’a fait que poser ses lèvres. Il y a eu le mouvement, mais ni elle ni moi n’avons entrouvert la bouche au moment du baiser.Maud reste à côté de moi sans rien dire, elle doit également réfléchir à ce qui vient de se passer, probablement le sentiment de culpabilité en moins.Nous sommes coupés dans nos pensées par Sarah descendant les escaliers.—Maman ? appel
Ma vie prend une direction que je n’avais pas anticipée et est gratifiée d’une saveur que je n’aurais même pas osé espérer. Maud et Sarah deviennent toutes les deux mon quotidien, je les retrouve après mes journées passées à l’école, je dîne avec elles avant de rentrer dormir chez moi. Puis nos soirées s’allongent, il m’arrive de plus en plus de ne quitter Maud qu’au milieu de la nuit, jusqu’à ce qu’elle me propose de me réveiller avec elle.Je crois que le premier petit-déjeuner en compagnie de Sarah est plus perturbant pour moi que pour elle. Elle me découvre à son réveil et ne montre pas la moindre surprise, alors que Maud et moi redoutions ce moment. C’est pour ma part que c’est le plus délicat, attablé avec cette petite fille et cette jeune femme, je ne peux pas éluder le souvenir de ma vie d’avant. Ce moment me fait ressentir l’impression de les avoir remplacées. Et que cette impression est désagréable ! Je culpabilise. Je prétexte une sortie scolaire pour dîner seul chez
Je ne parviens pas à retrouver le sommeil, et lorsque le réveil sonne, ma décision est prise. Je ne parlerai pas de ce qui s’est passé à Maud, pas avant d’être certain de ne pas avoir tout imaginé. Je crains qu’elle me prenne pour fou, ou simplement que cela entache notre relation. Alors je fais mine de rien, observant néanmoins Sarah durant le petit-déjeuner, attendant qu’elle aborde le sujet de son cauchemar. Elle n’en fait rien.J’y repense toute la journée, tente de me faire revenir en mémoire l’intonation exacte, mais n’y arrive pas. Alors le soir venu, j’attends que Maud s’endorme pour redescendre. Je patiente un moment à côté de la porte de la chambre de Sarah et n’entends aucun bruit. Je me sers un whisky, puis demeure quelques minutes dans le couloir. Je dois y rester près d’une vingtaine de minutes, le temps de terminer mon verre et d’aller le laver afin de ne laisser aucune trace de cette entaille à la règle. Car je ne bois quasiment plus depuis que j’ai emménagé avec
Plusieurs jours passèrent avant que toute l’affaire ne soit rendue publique. Ils ne furent pas si simples que je l’espérais. Eléanore pleurant celle qui avait été sa mère de substitution durant deux longues années, ainsi que Célia, sa maman, comme si elle ne découvrait qu’aujourd’hui qu’elle était réellement morte dans l’accident.C’est difficile de la voir souffrir. J’aimerais qu’elle soit toujours heureuse, au moins autant que je le suis de la retrouver. Seulement elle pleure sa mère comme je l’ai fait ces dernières années. Alors que c’est ensemble que nous aurions dû surmonter cette épreuve, je ne peux maintenant que compatir et la soutenir.Nous avons attendu quelques jours avant de faire revenir Sarah, et même après cela, il nous faut la tempérer afin qu’elle laisse Eléanore respirer et retrouver peu à peu une vie normale. Mais les voir jouer ensemble me fait fondre sur place. Maud suit cela avec distance, elle sait disparaître pour me laisser seul av
Nous arrivons devant le grand portail en fer forgé.—Et maintenant? demande Maud.—On fonce, répond Caroline.C’est aussi l’idée que j’ai en tête. Les filles s’agrippent tandis que j’enfonce de toutes mes forces la pédale d’accélérateur. La voiture s’immobilise après avoir repoussé de seulement quelques centimètres les lourdes portes de métal et Maud se cogne violemment la tête contre le tableau de bord.—Continue! crie-t-elle alors que du sang lui coule déjà d’une narine.Je l’écoute et enclenche la marche arrière. C’est à la troisième tentative que les articulations du portail cèdent enfin.Je stoppe la voiture devant la grande entrée et descends sans prendre le temps d’arrêter le moteur. Je cours jusqu’à la porte et la pousse, elle n’est pas verrouillée. Un homme se trouve là, dans le hall. Ce n’est pas Monsieur Fabre, j’en conclus qu’il doit s’agir de Christophe Mercier. Je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche
Je laisse un message sur le répondeur de Maud pendant le trajet où je lui explique mes sérieux doutes suite à la déclaration de la femme de ménage. C’est quelques minutes plus tard que je vois qu’elle essaie de me rappeler, seulement j’arrive à la gendarmerie. Je la rappellerai.À mon entrée, je réclame aussitôt le commandant Vail. On me demande la raison et je réponds que j’ai une question urgente à lui poser. C’est le jeune homme de la dernière fois et il me reconnaît, aussi il n’insiste pas et s’en va prévenir son supérieur. Cette fois-ci, le commandant vient en personne à l’accueil.—En quoi puis-je vous aider? me demande-t-il après les salutations d’usage.—Je voudrais faire appel à vos souvenirs concernant l’accident.Le gendarme paraît gêné, puis hésite quelques secondes, avant de m’inviter à le suivre.La porte de son bureau refermée derrière moi, il s’exclame:—Ne me faites pas regretter de vous avoir lais
C’est assez bizarre de me rendre chez quelqu’un que je ne connais pas afin de lui poser des questions. Caroline me déconseille d’avertir la personne de mon passage et de tout miser sur la compassion. Ce qui lui semble naturel par son métier est loin de l’être pour moi, mais je suis motivé et je m’interdis de repartir sans rien avoir appris.Il est 9 heures lorsque je frappe à la porte. Une dame âgée d’une cinquantaine d’années m’ouvre et me sonde de bas en haut.—Bonjour Madame.—Bonjour…Elle me regarde d’un air méfiant, craignant probablement un représentant.—Vous êtes Myriam Lafarge?—Oui, je peux vous aider?—Je pense que oui, je m’appelle Adam Weiss.Me présenter ne déclenche aucune réaction particulière de sa part, sinon celle de l’interrogation.—J’ai perdu ma femme et ma fille dans un accident de voiture il y a deux ans, peut-être vous souvenez-vous?—&nb
Caroline part pour se rendre au manoir. Malgré mon insistance, elle refuse que je l’accompagne et je finis par me ranger à son avis. Elle a l’air de savoir ce qu’elle fait et semble avoir une idée derrière la tête qu’elle garde pour elle. «Restez ici jusqu’à mes nouvelles, vous avez besoin de parler un peu», nous dit-elle juste avant son départ. Tandis que je repense aux rêves de Sarah et à ce que pourrait être leur explication, Maud vient près de moi et m’embrasse.—Je ne t’en veux pas, me dit-elle, je comprends ce que tu as fait.—Non, j’ai agi trop vite. Je me suis laissé porté par mes angoisses et j’aurais dû répondre à tes appels, seulement je ne l’ai pas fait parce que j’étais tourmenté et que j’avais peur de m’emporter contre toi sans raison valable.Elle prend ma main et m’attire jusqu’au canapé.—Tu veux reparler des éléments du dossier, de ce que cela t’a fait de te replonger dans l’accident?—Ça n’a
Elle est debout, les fesses contre le capot de sa voiture, à m’attendre devant chez moi. Je me gare à côté d’elle et descends.—Salut, me lance Caroline.—Qu’est-ce que tu fais là?—Maud m’a prévenue et elle s’inquiète.Je passe devant et lui ouvre la porte d’entrée.—Je n’ai pas besoin d’être surveillé.Je lui fais signe de me suivre à l’intérieur puis reprends:—Tu as du nouveau sur Fabre?—Pas encore, mais je compte m’y rendre dans l’après-midi et demander à le voir.—Je pense également le faire. Maud t’a dit quelque chose?—Comment ça? m’interroge-t-elle.—Est-ce qu’elle t’a dit ce qu’elle allait faire?—Tu veux savoir si elle va venir te rejoindre ici ou si elle va rester chez ses parents?—Oui.—Adam, d’après toi?Je me rends à la cuisine, ouvre le réfrigérat
Je suis maintenant seul, dans le lit, totalement dévasté par ce nouveau rêve de Sarah. Tout me paraissait si réel… j’ai vraiment eu l’impression de parler à ma princesse. Même si les paroles provenaient d’une bouche différente, j’ai la certitude qu’elles naissaient ailleurs, de la bouche de ma… non, je suis complètement perdu. Et puis ce qu’elle a dit… Elle serait avec Célia. Et il y aurait un autre homme…Je me répète en boucle ces derniers mots, «papa, fais vite avant que je t’oublie» et n’en peux plus de ne rien faire. C’était un appel à l’aide! Un appel à l’aide de ma fille décédée! Ou que je croyais décédée… J’ai envie de prévenir la police, mais sous quel motif? Les dires d’une jeune fille durant ses rêves? Je passerais pour fou et ils refuseraient de s’en préoccuper…Je n’en peux plus d’attendre le retour de Maud, j’ai besoin de lui parler, avoir son avis sur mes réflexions de ces dernières minutes. Qu’elle me dise que je ne déli
Pendant le déjeuner, Maud me rappelle que c’est dans seulement deux jours que Sarah doit partir chez ses grands-parents. On n’en a pas rediscuté, mais l’idée qu’elle soit loin de nous alors que ses cauchemars ont repris nous inquiète.—C’était prévu! s’offusque Sarah en voyant qu’on remet son séjour en question.J’échange un regard avec Maud.—Je peux briefer ma mère, s’exclame cette dernière.—Tu ne vas pas pouvoir tout lui dire.—Et pourquoi pas?—Parce que ça paraît insensé et nous ne sommes encore sûrs de rien.—Je lui dirai que Sarah fait des cauchemars et que nous avons vu un spécialiste qui nous a demandé de retranscrire ce qu’elle dit.—Et si elle fait de nouveau une crise de somnambulisme?Sarah nous observe parler d’elle, alors que Maud répond:—Je vais appeler ma mère pour lui expliquer et on verra bien si ça l’inquiète.Je me t
Caroline est repartie aussi tard qu’elle le pouvait, après avoir passé notre après-midi à réfléchir et échanger sur la terrasse. Nous sommes tous d’accord sur le fait que le comportement des Fabre est louche, que tout semble coïncider avec la date de l’accident, et qu’il peut donc y avoir un lien avec les rêves de Sarah. Seulement ce dernier point demande de nouvelles investigations afin de le confirmer.Alors nous avons abordé plusieurs options pour avancer, je peux insister par téléphone pour tenter d’obtenir une entrevue, au risque de me retrouver avec une plainte pour harcèlement. Et harcèlement sur un homme de cette stature, c’est risqué. L’autre option serait d’engager un détective privé, rémunéré, il ne se poserait pas la question de la véracité des faits et se contenterait d’enquêter. Caroline va se renseigner, et nous en ferons de même de notre côté. La dernière option serait de continuer d’enquêter par nous-mêmes, mais il va nous falloir espionner les allées et venues