Loki me met la misère, mais c’est uniquement parce que je le laisse faire. Au dernier moment, alors qu’il s’apprête à m’enguirlander pour mon manque évident de concentration, je m’accroupis et pivote à trois cent soixante degrés avec une jambe tendue afin de lui faire mordre la poussière. Je me redresse ensuite avec souplesse et saute sur son torse pour écraser sa gorge de ma manchette droite.—Admettez-le cette fois-ci: l’élève a dépassé le maître.Son regard se durcit et je comprends alors que mon excès de confiance va me faire perdre cette manche. Sans même comprendre comment nous en arrivons là, je me retrouve bientôt à plus d’une vingtaine de mètres du sol, mes ailes déployées bloquées par une prise technique dont j’ignore encore tout.Les projections n’ont pas d’ailes, après tout…—J’admets volontiers que question modestie, vous me supplantez, assure mon formateur après m’avoir ramenée sur la terre ferme. En redemandez-vous?
—Je ne vois aucun intérêt à perdre du temps de la sorte, grommelé-je.Avachie sur le canapé du salon, je surveille la porte par laquelle mon père s’est éclipsé afin de retrouver Curtis. L’idée de devoir patienter ne serait-ce qu’une minute de plus alors que le sort de Lucas ne dépend que de moi me reste en travers de la gorge. Après tout, ai-je seulement besoin de l’aval du Haut-Juge pour me livrer à Lucius?—Je suis d’accord avec toi, marmonne Anna.Son pied martèle avec impatience le fauteuil en cuir dans lequel elle s’est installée. Son angoisse est telle qu’elle ne semble même pas remarquer les caresses qu’Aldrik lui prodigue afin de l’apaiser.—Si ton père juge nécessaire d’en avertir Curtis, c’est qu’il a une bonne raison de le faire, soutient ma mère.—Sans compter que seul le grand manitou est habilité à te donner ton épée, surenchérit Aldrik. Ce serait dommage de partir au combat sans arme, tu ne crois pas?
Je fixe mon poignet droit où se trouve à présent gravée une série de triangles entrelacés pour former un rond. J’ai l’impression que quelqu’un s’est acharné sur ma peau au bistouri électrique. Loki m’a assuré que la cicatrice s’estomperait avec le temps, ce qui ne m’empêche pas de la surveiller dans la crainte de voir ma main tomber sur le sol. Mes yeux glissent ensuite des boursouflures rosées vers l’arme qui se doit de devenir l’extension naturelle de mon bras.Lors de la première apparition d’Orseval, je me suis fait la réflexion que le terme «épée» était légèrement biaisé. Je m’attendais à une arme d’un mètre vingt dans le style d’Andúril; au lieu de quoi je me suis retrouvée avec une lame courbée de taille moyenne, dont le long pommeau blanc strié de veines glycines se prolonge sur sa partie concave sous la forme de minces ramifications entremêlées. Orseval est magnifique, c’est un fait. Cependant, je l’imaginais un chouïa plus imposante.«Tu
Lucas se réveilla en sursaut, s’empara de son téléphone portable pour constater que son alarme ne s’était pas enclenchée comme prévu et envoya ce dernier se briser contre le mur de sa chambre. Seulement cet accès de rage ne suffit pas. Dans une succession de gestes désordonnés, il mit à mal la couette dans laquelle ses pieds s’étaient entortillés et se lança à la recherche d’un autre projectile. Ses doigts crispés sur le matelas se détendirent alors sensiblement à la vision de la photo qui reposait sur sa table de chevet; celle qu’il fixait systématiquement avant de s’endormir, convaincu que la gamine à la langue bleu schtroumpf qui s’y trouvait représentée valait la peine de se livrer aux supplices de Lucius sans chercher à résister.Lucas se souvenait parfaitement de sa première rencontre avec Allyn et de la plaisanterie qu’il avait sortie sur cette photographie. La pauvre avait semblé si perdue le jour de son arrivée à l’Organisation qu’il n’avait pas fait preuve d’une
—Que fais-tu ici, Allyn?Son murmure est rauque, comme s’il avait lutté contre lui-même pour prononcer ces mots. Malgré son désir évident de voir la situation s’éclairer, Lucas ne cherche pas à rompre l’intimité de notre position. Ce qui est dans un sens plutôt pratique, puisque je ne tiens pas à ce que nos camarades entendent ce que je m’apprête à lui répondre.—Comment as-tu pu penser un seul instant que mes parents garderaient le secret? lui reproché-je à mi-voix. Une heure dans les Affres leur a suffi pour comprendre ce que tu représentais pour moi.Lucas déglutit en fermant les yeux. Ses mains rivées sur mes joues glissent alors sur mes épaules, puis sur ma taille. Son front est toujours en appui contre le mien quand il articule avec difficulté:—Je ne veux pas de toi ici si c’est pour te perdre dans deux jours. Pourquoi ne ressembles-tu plus à un Ange?—C’est simple: je ne passerai pas une he
—C’est hors de question! fulmine Lucas.Loïc Fortin a encore frappé. Je me disais bien que son calme de la veille était déconcertant. Voilà qu’il a trouvé le moyen de se venger de mon cher et tendre: quoi de plus simple pour venir à bout des nerfs de Lucas que d’abuser une fois encore de son pouvoir?—Je savais qu’Alice resterait ton équipière, Lucas. C’est normal et cela ne me dérange pas de faire équipe avec ce… Jed? hésité-je à l’adresse de Josias.Ce dernier approuve d’un gentil signe de tête malgré le malaise que semble lui inspirer la discussion.—Moi si, ça me dérange, grogne Lucas en pointant Fortin du doigt. Et cet enfoiré sait pertinemment pourquoi.—Harper, votre langage.—Trouvez quelqu’un d’autre.—Vous n’êtes pas dans un supermarché. Jed Nell est l’unique Singulier sans partenaire, il est donc logique qu’il devienne le nouvel équipier de mademoiselle Rivière. Cette
Lucas freina net à la sortie de la Sphère, statufié par l’étendue chaotique qui lui faisait face. En optant pour la visite d’un parc animalier balinais, le Singulier avait naïvement cru devoir affronter une jungle aussi luxuriante que celle qu’Allyn et lui avaient explorée au cours de l’année précédente. Au lieu de ça, l’espace naturel en question n’en avait plus que le nom.Les arbres autrefois gigantesques avaient été tronçonnés sans aucun scrupule, leurs dépouilles gisant à même le sol ou pendant mollement par de faibles attaches encore existantes. Les lianes herbacées n’avaient pas échappé au massacre et se nécrosaient sur le terrain craquelé, souvent regroupées en tas d’ordures où d’énormes fourmis avaient établi leurs nids.Ce paysage de désolation devenait apocalyptique à mesure qu’Alice et Lucas approchaient des attrape-touristes et autres bâtisses destinées à accueillir les animaux. Là-bas, le sol remodelé suite à de plus que probables impacts de bombes reflétait
Mes paupières s’entrouvrent avec paresse, dévoilant la surprise que Lucius a cette fois-ci orchestrée à mon attention. L’inconnu maigrelet qui me fait actuellement face s’est assis dans la position du lotus, les mains jointes et le regard fixe pointé dans ma direction. Ses yeux noirs, cernés de vert et de violet, me donnent la curieuse impression d’avoir affaire à une coquille vide; je reviens toutefois vite sur cette première impression lorsque je me consacre à l’examen de ses lèvres dont le tressautement trahit une impatience manifeste à l’idée de croquer ma chair.Je déglutis et prête davantage attention au reste de sa physionomie. Parvenue à la triste conclusion qui s’impose, je prie pour que la créature n’ouvre pas la bouche pour dévoiler deux rangées de dents similaires à celles des clowns du petit Thomas.«Tu es au-dessus de ça», m’intimé-je avec force. «Pense à tout ce que tu as affronté ces derniers mois, pense à tout ce qu’il te reste à a
Sept mois et demi plus tard.Je laisse Lucas ouvrir le chemin devant moi. Le personnel hospitalier nous reluque avec amusement: bien que nous ayons pris le temps de nous changer après que Maël se soit précipité pour nous annoncer la nouvelle à notre retour de mission, quelques brindilles de paille dépassent toujours des cheveux hérissés de mon compagnon et je devine qu’il en va de même pour le chignon lâche qui ballotte au-dessus de ma tête.—Ces maudits hôpitaux se ressemblent tous, grommelle mon équipier. On ne s’y retrouvera jamais!—On nous a dit tout de suite à gauche après la salle des infirmiers. Tiens, c’est ici.Sans prendre garde au numéro affiché près de la chambre en question, j’en viens vite à rougir d’embarras et à refermer ladite porte tout de suite après être tombée nez à nez avec un couple tout aussi surpris que moi.—Mille pardons! Ce n’était pas eux,
Plus tôt sur Hemera.Loki n’était pas serein, loin de là. Sa récente discussion avec le Haut-Juge empestait la trahison et le déshonneur; raison pour laquelle il préférait encore marcher pour méditer au calme, plutôt que de se rendre chez les Vanael en un battement d’ailes. Autrefois, l’Ange Gardien se serait contenté d’approuver les ordres d’un simple hochement de tête. Ce jour-là, il ne parvenait à ignorer la petite voix qui lui répétait à quel point il regretterait de se comporter en soldat discipliné.—Loki? s’étonna Milo lorsqu’il ouvrit sa porte pour inviter l’Ange à entrer. Sois le bienvenu.Loki fit un petit tour d’inspection une fois parvenu dans le salon, salua poliment Lucie et Axel et s’inquiéta de trouver les deux indésirables d’Hemera sur un fauteuil des Vanael.—Que font-ils encore ici? s’informa-t-il en désignant le couple d’un signe de tête.Milo, qui avait suivi son invité de près, se racl
Je patiente devant la salle animée lorsque Lucas me saisit par la taille pour déposer ses lèvres sur mon épaule dénudée. Fidèle à ma parole, j’ai réussi à mettre la main sur la robe bustier bordeaux ornée de dentelle noire qu’il tenait absolument à me voir porter ce soir; il en ira bientôt de même avec la seconde promesse que je respecterai d’ici quelques heures: Lucas n’affrontera pas la cruauté de mon oncle une nuit de plus.Armée de cette détermination, j’aborde la fête de l’Organisation d’une tout autre manière que la veille au matin. Suite aux changements de variables notables de cette nuit, il est évident que cette soirée sera ma dernière en tant que Singulière et je tiens à en profiter un maximum malgré le trou noir qui a pris naissance en moi pour engloutir progressivement mes organes.Notre entrée sur la fin de Every breath you take n’est pas sans ironie. Je me laisse guider par le bras de Lucas tandis que nous zigzaguons parmi la foule pour atteindre
Après dix jours de tranquillité absolue ponctuée d’une demi-douzaine de missions au cours desquelles mon attention angélique a chuté de manière exponentielle, Lucas et moi nous retrouvons confrontés au retour des vacanciers. En comparaison avec le calme apaisant dont nous avons largement profité depuis Noël, le manoir prend aujourd’hui des airs de ruche bourdonnante.Je parcours le couloir du premier étage sans ressentir la moindre irritation face aux regards curieux qui continuent de peser sur moi. Cette bulle de bonheur en compagnie de Lucas m’a au moins révélé une chose: profiter de la compagnie de mes proches est la seule chose qui compte. D’autant plus que je me sens animée d’une fougue telle que rien ne parviendra à étioler le sourire placardé sur mon visage depuis mon réveil. Je ne pensais pas qu’une simple soirée aurait cet effet sur moi, et pourtant me voilà à acclamer l’arrivée du vingt-sept décembre avec la même excitation qu’Alice l’année précédente.—&n
Nous ne sommes plus que quatre à table, ce midi. Trois, si on compte le fait que Lily et moi agissons comme si l’autre n’existait pas. Alice et Guillaume ont finalement pris la route ce matin. De ce que j’ai compris, ils ne passeront pas les fêtes dans leurs familles respectives cette année, mais chez les parents d’Alice. Je suspecte Guillaume de ne pas vouloir la lâcher d’une semelle pour le moment, d’autant plus depuis la dernière mission d’Alice et Lucas qui s’est révélée être un fiasco. Je trouve pour ma part que c’est une excellente idée: bien que nos séances de spa se soient révélées moins régulières que par le passé, nos rares échanges m’ont aidée à comprendre que quelque chose n’allait effectivement pas de son côté. Il ne me reste plus qu’à espérer que son séjour en famille lui fera le plus grand bien; autrement, je devrai me débrouiller pour mettre de l’ordre dans cette histoire avant mon grand départ.Entre l’absence d’Alice et Guillaume, le séjour de Julie
Un carillon accompagne l’ouverture de la porte vitrée du magasin d’antiquités. Jed est en tête, les sens en alerte et le regard balayant les alentours avec vigilance. Il n’a pas prononcé plus de trois mots depuis que nous sommes sortis de la Sphère pour nous mettre en quête de la boutique que détenait la femme de Robert. Encore une fois, j’en conclus que si sa présence à mes côtés est préférable à celle de Lucas depuis que je m’entraîne dans les Affres, les échanges que j’entretenais avec ce dernier lors de nos missions me manquent terriblement.Fait assez particulier pour être relevé: le souvenir d’aujourd’hui déborde de détails sonores dont les Affres se passent d’ordinaire volontiers. En effet, à la mélodie du carillon a rapidement succédé un méli-mélo de tic-tac d’horloges et de sifflements aigus semblables à ceux d’une cocotte-minute. À cela s’ajoute le compte-goutte d’une curieuse fontaine où un mince filet d’eau s’échappe par intermittence, produisant un écho métall
Mes paupières s’entrouvrent avec paresse, dévoilant la surprise que Lucius a cette fois-ci orchestrée à mon attention. L’inconnu maigrelet qui me fait actuellement face s’est assis dans la position du lotus, les mains jointes et le regard fixe pointé dans ma direction. Ses yeux noirs, cernés de vert et de violet, me donnent la curieuse impression d’avoir affaire à une coquille vide; je reviens toutefois vite sur cette première impression lorsque je me consacre à l’examen de ses lèvres dont le tressautement trahit une impatience manifeste à l’idée de croquer ma chair.Je déglutis et prête davantage attention au reste de sa physionomie. Parvenue à la triste conclusion qui s’impose, je prie pour que la créature n’ouvre pas la bouche pour dévoiler deux rangées de dents similaires à celles des clowns du petit Thomas.«Tu es au-dessus de ça», m’intimé-je avec force. «Pense à tout ce que tu as affronté ces derniers mois, pense à tout ce qu’il te reste à a
Lucas freina net à la sortie de la Sphère, statufié par l’étendue chaotique qui lui faisait face. En optant pour la visite d’un parc animalier balinais, le Singulier avait naïvement cru devoir affronter une jungle aussi luxuriante que celle qu’Allyn et lui avaient explorée au cours de l’année précédente. Au lieu de ça, l’espace naturel en question n’en avait plus que le nom.Les arbres autrefois gigantesques avaient été tronçonnés sans aucun scrupule, leurs dépouilles gisant à même le sol ou pendant mollement par de faibles attaches encore existantes. Les lianes herbacées n’avaient pas échappé au massacre et se nécrosaient sur le terrain craquelé, souvent regroupées en tas d’ordures où d’énormes fourmis avaient établi leurs nids.Ce paysage de désolation devenait apocalyptique à mesure qu’Alice et Lucas approchaient des attrape-touristes et autres bâtisses destinées à accueillir les animaux. Là-bas, le sol remodelé suite à de plus que probables impacts de bombes reflétait
—C’est hors de question! fulmine Lucas.Loïc Fortin a encore frappé. Je me disais bien que son calme de la veille était déconcertant. Voilà qu’il a trouvé le moyen de se venger de mon cher et tendre: quoi de plus simple pour venir à bout des nerfs de Lucas que d’abuser une fois encore de son pouvoir?—Je savais qu’Alice resterait ton équipière, Lucas. C’est normal et cela ne me dérange pas de faire équipe avec ce… Jed? hésité-je à l’adresse de Josias.Ce dernier approuve d’un gentil signe de tête malgré le malaise que semble lui inspirer la discussion.—Moi si, ça me dérange, grogne Lucas en pointant Fortin du doigt. Et cet enfoiré sait pertinemment pourquoi.—Harper, votre langage.—Trouvez quelqu’un d’autre.—Vous n’êtes pas dans un supermarché. Jed Nell est l’unique Singulier sans partenaire, il est donc logique qu’il devienne le nouvel équipier de mademoiselle Rivière. Cette