Share

2

Author: Elyna E.C.
last update Last Updated: 2021-06-29 15:20:33
— Bon ça suffit, dis-moi ce qui te perturbe.

Ne m’attendant pas à me faire attaquer de front à une heure aussi matinale, je délaisse mon chocolat chaud et ma tartine beurrée pour plonger mon regard fatigué dans celui de ma meilleure amie attitrée.

— Je vais bien, affirmé-je avec une telle conviction que je m’en serais persuadée moi-même si l’image révoltante de Lucius et la rouquine torturant une pauvre âme perdue ne revenait pas sans cesse me hanter depuis mon réveil.

— À d’autres, répond Alice qui balaye sa crinière blonde en arrière pour éviter qu’elle ne tombe dans son Moka. Tu sais que je parviens toujours à mes fins, alors évitons la partie du « je vais bien / tu es sûre ? / oui / je n’y crois pas un instant / bon d’accord / alors raconte ! » et passons direct au plus intéressant : Hugo va bientôt arriver et je ne veux pas qu’il interrompe notre session commérage.

— Il n’y a pas de session commérage qui tienne.

Pour toute réponse, Alice place son menton sur le revers de ses mains jointes en coupelle et me fixe de ses yeux de biche. Incapable de lutter contre cette ténacité exaspérante de si bon matin, je me mordille la lèvre supérieure et trempe ma tartine dans mon chocolat avant de m’épancher sur ce qui me bouleverse depuis deux ou trois jours.

— Penses-tu que toutes les âmes méritent d’être sauvées ?

Ça y est, je l’ai dit. Je m’écrase sur la table suite à cette honteuse interrogation, le temps pour Alice de bien digérer l’information. Cette dernière cligne plusieurs fois des paupières et remue les lèvres comme pour reformuler la question à voix basse, ou pour être certaine de l’avoir bien comprise.

— Si tu me la joues style métaphorique pour parler de Lucas, je…

— Je me contrefiche de Lucas. Je te parle d’une vraie âme perdue.

Alice se redresse et s’adosse à sa chaise. De toute évidence, les commérages actuels ont dévié bien plus loin que ce à quoi elle s’attendait.

— Serait-on en train de parler de votre âme perdue ? Celle que tu…

— Apprends à connaître, oui.

Mes doigts jouent avec les miettes de mon plateau pour me donner un faux semblant de décontraction.

— Je débute la seconde moitié de son histoire et je… je ne sais pas, disons que j’éprouve un peu moins de pitié envers elle que lors de ma première incursion dans ses souvenirs.

— Au point d’hésiter à la laisser dans les Affres ? insiste Alice en écarquillant cette fois-ci ses gros yeux bleus.

— Non ! Enfin, je veux dire… bien sûr que la mission va se poursuivre. Qui suis-je pour juger qui doit rester ou non dans ce monde horrible ? Mais il faut me comprendre, c’est la première fois que je suis confrontée à une âme aussi noire, tous les autres étaient…

— Tous les autres étaient les contacts de Lucas, me coupe Alice en touillant son Moka. Ce n’est pas parce que vous les avez trouvés affaiblis dans les Affres qu’ils étaient tous des saints. Je te rappelle que nous les cherchons dans des souvenirs heureux, seul Lucas pouvait juger à l’époque s’ils étaient aussi bons que tu le prétendais.

— Tu veux dire que cela vous est déjà arrivé, à Hugo et toi, de…

— De sauver des enflures de première ? Je n’irais pas jusque-là, mais il nous est déjà arrivé de lutter pour achever une lecture et retrouver l’âme en détresse. Après tout, qu’ont bien pu faire ces gens de leur vivant par rapport à la cruauté des Anges Noirs ? Crois-tu vraiment que qui que ce soit mérite de souffrir l’éternité en leur compagnie ?

Des violeurs ou des tueurs, oui, sans la moindre hésitation. À cette idée, je frémis sur ma chaise. Ai-je été à ce point naïve pour penser que toutes nos âmes perdues seraient blanches comme neige ?

— Qu’a donc fait ta protégée pour te conduire vers ce genre de considérations ?

Je hausse les épaules, mes mains à présent crispées sur ma tasse qui refroidit à vue d’œil.

— Vus comme ça, ses agissements peuvent paraître tout à fait dérisoires ; mais je ne peux me départir pour autant de ce sentiment malsain à chaque fois que je termine ma lecture.

— Sacrifiait-elle des bébés chats pour un culte vaudou ? suggère Alice.

— Yeurk ! Non et tu peux me croire, si je tombe un jour sur une âme comme celle-là, je la repose direct dans un coin obscur de la bibliothèque.

— Alors que faisait-elle ?

— Elle était… mauvaise.

— Mais encore ?

J’esquisse un demi-sourire embarrassé, maintenant que j’ai saisi les nuances de moralité que l’on peut appliquer dans notre cas actuel.

— Elle endurait une sacrée douleur depuis sa naissance, alors la gamine pleine d’espoir s’est petit à petit transformée en une espèce de sale garce tenace déterminée à anéantir le plaisir de tout son entourage pour les voir souffrir avec elle. D’accord, vu comme ça elle n’a rien d’exceptionnel, mais c’est juste parce que je n’arrive pas à poser les bons mots sur mes impressions.

Un frisson me parcourt suite au souvenir de ma dernière lecture, mais je reprends une gorgée tiède de mon chocolat pour me réconforter. Alice m’adresse un sourire indulgent.

— Ça m’est déjà arrivé de douter comme toi, me confie-t-elle. Lorsque nous avons débuté à l’Organisation il y a dix ans, Hugo et moi, nous n’avions pas la chance de posséder un équipier qui en savait déjà autant sur les voyages dans les Affres. Oh, bien sûr, au début nous avions des parrains et marraines pour nous former, précise-t-elle lorsqu’elle interprète mon expression scandalisée, mais tu es bien placée pour savoir qu’il y a une grande marge entre la description et l’action.

J’acquiesce avec virulence, notant par la même occasion qu’Alice et Hugo ont débuté leur aventure la même année qu’Axel et Lucas. Voilà peut-être l’explication de leur solide amitié.

— C’était ma troisième mission, j’étais responsable de la lecture. Le hasard a voulu que je tombe sur un jeune homme qui avait tué son demi-frère. À peine étais-je tombé sur ce souvenir que j’en suis ressortie aussitôt pour abandonner la bibliothèque en larmes. J’ai supplié Hugo de prendre la relève et de choisir un autre récit, une autre âme en détresse qui aurait mérité nos efforts plutôt que ce petit crétin ; mais il en a décidé autrement et a choisi de laisser sa chance à l’adolescent. Il en a résulté qu’Hugo a eu le courage de poursuivre l’histoire de notre âme perdue et a découvert que la mort du demi-frère – qui était en fait un imposteur – n’était qu’accidentelle et ne faisait suite qu’à la tentative d’agression que le défunt avait réalisée contre la cousine de l’âme perdue.

Alice avale les dernières gouttes de sa boisson, puis découpe sa crêpe pour en avaler un petit bout.

— Bref, tout ça pour dire que si je ne m’étais pas arrêtée à la seconde même où j’ai vu le crâne de ce garçon atterrir sur cette pierre, j’aurais pu apprendre la vérité au sujet de notre âme perdue et donc éviter de le juger aussi rapidement. Je ne dis pas que la tienne est blanche comme neige, mais on fait tous des erreurs ; et à ce que j’ai compris ton bouquin comporte plus de huit cents pages, alors ne t’attends pas à lire les récits constants de mère Teresa.

J’approuve d’un hochement de tête. Son histoire m’a permis entre-temps d’établir une autre analogie. N’est-ce pas en effet le même raisonnement quand un médecin fait serment de sauver n’importe quelle vie, et ce, quels que soient les antécédents de chacun ? Terminant à mon tour mon chocolat, je promets de me soumettre à un serment moral m’obligeant à sauver jusqu’au moindre petit détritus de l’humanité face à tous les Lucius des Affres.

— J’ai l’impression que tu es déjà plus détendue, affirme Alice.

— Je pense avoir mis un terme à mes cogitations de la matinée.

— Tu m’en vois ravie.

Notre tête-à-tête prend fin lorsqu’Hugo vient poser son plateau à notre table. Je laisse le binôme discuter de leur planning de la journée avec l’intention de me resservir un jus de fruit pressé, puis les rejoints quelques minutes plus tard alors que leur conversation a dévié sur leurs projets pour la soirée.

— Ce soir, vingt et une heures, projection dans mes appartements des premiers opus de l’hexalogie Star Wars. Tu es des nôtres ? me propose-t-il pour la forme.

— Tu veux plutôt dire « heptalogie », le corrigé-je dans un sourire avant de refuser poliment sous prétexte d’avoir déjà quelque chose de prévu.

— Je ne suis pas certain de devoir considérer le dernier de la saga comme un film d’anthologie, réplique-t-il, les sourcils froncés. Et quel genre de plans pourrais-tu bien avoir alors que tous tes amis seront dans mes appartements ?

— Le genre de plan qui nécessite que tous mes amis Singuliers soient justement loin de ma chambre, réponds-je dans un sourire amusé.

Loin de moi toute pensée scabreuse, ce soir signe simplement le retour aux sources avec Maël : une soirée de streaming rien qu’entre nous, comme au bon vieux temps.

— Pardon ?

— Allyn a un rencard, chantonne Alice en décoiffant son partenaire du revers de la main. Et cette conversation serait moins délicate si tu arrêtais de jouer les petites fouines curieuses.

Hugo hausse les épaules et Alice m’adresse un clin d’œil amusé. Contrairement à ce qu’elle m’avait affirmé le soir de la fête de l’Organisation, ma camarade n’a aujourd’hui aucun souci avec le fait que je reste en communication avec Maël. A-t-elle été influencée par la gentillesse de Roxanne, qui agit tout pareillement, ou a-t-elle été convaincue par le tempérament de mon ami ? Alice n’a jamais voulu s’étendre sur le sujet, mais dans la mesure où cette situation roule pour moi, je suis loin de m’en plaindre. Sauf quand elle m’invente une vie palpitante comme à l’instant, alors qu’il n’en est rien…

— Il faudra que tu m’expliques comment tu t’y prends pour rencontrer du monde avec nos agendas, parce que moi je rame, conclut Hugo en sirotant son jus de fraise d’un air résigné.

— Tu risquerais d’être surpris, murmuré-je pour moi-même.

Alice et moi avons fini nos petits déjeuners, mais nous patientons aux côtés d’Hugo pour quitter ensemble la cafétéria. Si mes collègues sont déjà vêtus de leurs combinaisons noires afin de partir en mission, j’ai pour ma part enfilé un de mes joggings préférés dans l’idée de profiter de la salle de méditation avant mon entraînement sportif. Si j’ai bien retenu une leçon depuis le temps, c’est de ne jamais enchaîner directement petit déjeuner et coaching en compagnie d’Enzo ou de Roxie.

En fin de journée, je retrouve ma chère Alice pour notre séance de spa presque quotidienne. Un changement conséquent dans mon emploi du temps : un passage d’une bonne heure dans la piscine aux dimensions olympiques afin d’enchaîner les longueurs jusqu’à ce que la faim ait raison de moi. Pour une raison inexplicable, ma mésaventure dans l’aquarium de Marion m’a donné envie de lutter contre mon antipathie envers la natation.

— Hugo a eu la ravissante initiative de parler de ton rencard de ce soir auprès des garçons, déclare Alice sur un ton malicieux lorsque je sors de ma cabine individuelle, une serviette autour de la tête. Attends-toi à te faire harceler par Enzo et Guillaume durant le dîner.

— Magnifique, marmonné-je. Je ne te connaissais pas ces talents d’affabulatrice.

— Ça me divertit, se justifie-t-elle dans un sourire angélique. Et puis, cela valait le coup rien que pour contempler la tête de Lucas.

Alice hausse les sourcils à plusieurs reprises pour souligner l’intérêt soudain de la conversation, mais je me contente pour ma part de me diriger vers un des sèche-cheveux muraux. Elle ignore tout de ma faiblesse passagère lors de notre dernière mission. Elle ne peut donc se douter qu’à l’instant même où elle a cité mon équipier, j’ai souhaité m’enfoncer dans les profondeurs de la terre afin de dissimuler mon embarras. Il est étrange de constater comme tout peut vous paraître nettement plus attirant une fois que l’on vous a interdit d’y toucher. Avant cette stupide soirée à la noix, jamais je n’avais alimenté pareils sentiments à l’égard de ce crétin d’équipier.

— Il avait l’air contrarié, insiste Alice, en attente d’une réaction de ma part.

— Il doit être constipé, rétorqué-je en penchant la tête pour donner un peu de volume à mes cheveux.

— Si tu le dis, pouffe-t-elle, mais je pense quand même que…

— Stop, la coupé-je en redressant la tête pour lui faire face, ça suffit, lâche l’affaire avec Lucas. Crois-moi, ça ne sert à rien d’en parler plus longtemps.

Mon amie écarquille de nouveau ses yeux de biche et insiste, à mon grand désarroi.

— S’est-il passé quelque chose dont je ne suis pas au courant ?

— Non. Et c’est parfait comme ça.

— Allyn…

— Alice, je ne plaisante pas, est-ce qu’on peut changer de sujet ?

Devant sa moue désillusionnée, je ne peux m’empêcher d’ajouter d’un ton plus léger :

— Je te rappelle que j’ai déjà un rencard de prévu. Parler d’un autre garçon n’est pas très correct, tu ne crois pas ?

Le regard de ma collègue s’assombrit.

— J’espère bien que tu es consciente que je plaisantais. Ce n’est pas parce que j’ai admis que tu n’étais pas obligée de l’ignorer que ça te donne carte blanche pour entamer une relation glauque avec lui.

— Ça ne m’était jamais venu à l’esprit, mais merci quand même du conseil.

— Mais je t’en prie, c’est un plaisir.

Nous retrouvons nos collègues un peu plus tard pour dîner tous ensemble à la cafétéria. Encore une fois, c’est chose rare : personne n’a atterri à l’infirmerie depuis le début de l’année ; ce que nous célébrons tous en touchant du bois – ou pour certains, la tête de Guillaume. Comme l’avait prédit Alice, nos amis ne tardent pas à orienter la conversation sur l’origine de mon absence et je dois employer divers subterfuges pour ne pas avoir à admettre que ma soirée se résumera à visionner la trilogie Retour vers le Futur en compagnie d’un mort qu’ils méprisent tous.

— Tu rates quelque chose, conclut Guillaume sur un ton grave qui en dit long sur l’estime qu’il porte à la saga.

— Promis, je viendrai pour la prochaine projection. D’ici là, je suis certaine qu’Han Solo n’aura même pas été cryogénisé.

— Oh, ça… Quand on part dans un marathon cinématographique, on ne sait jamais quand ça va finir.

Je les salue une heure plus tard au niveau de mes appartements et les observe s’éloigner dans le couloir éclatant de propreté avant de pénétrer dans ma chambre et de refermer la porte, un sourire aux lèvres. Sur mon lit, étendu sur le dos et les bras croisés derrière la tête, se tient mon fantôme préféré dans son éternelle chemise bleue à fines rayures.

— J’aurais bien installé les films, mais il me manquait un petit quelque chose pour allumer ton ordinateur, lance-t-il en guise de préambule.

Refoulant un rire naissant, je trottine jusqu’à lui et m’assieds sur la couette pour lui souhaiter la bienvenue.

— Tu m’as manqué aujourd’hui. Tu as fait des découvertes intéressantes ?

— Rien qui mérite de nous y attarder.

— Vraiment ?

Je suis un peu déçue. Depuis le temps que Maël se consacre à espionner les recoins de l’Organisation, j’aurais espéré apprendre au moins une information croustillante. C’est à croire qu’il ne sait pas chercher aux bons endroits… ou qu’il refuse de partager ses informations avec moi.

Après une longue minute à se fixer dans le blanc des yeux, nous nous décidons à lancer le premier film.

Nous rigolons aux mêmes instants, mimons nos répliques préférées par-dessus celles des acteurs et nous amusons à fredonner le mythique générique de fin. Nous tenons jusqu’à une heure du matin sans parvenir à visionner la saga dans son intégralité. Préférant reporter le troisième – et meilleur – volet pour plus tard, nous consacrons les quelques minutes précédant mon endormissement à parler de tout et de rien. Allongée sur le flanc, je sens mes paupières picoter et se fermer petit à petit, bercée par la voix de Maël. J’ignore à quel moment je relâche mon attention, mais une chose est certaine : je m’endors totalement détendue pour la première fois depuis bien longtemps.

***

Maël et moi ne nous quittons plus durant tous les soirs de la semaine. Rien ne sert de le nier : il est d’un soutien irremplaçable lorsque je me réveille en plein milieu de la nuit, en proie à un nouveau cauchemar délirant. C’est pour cela que sa présence rassurante me manque énormément ce matin-là, lorsque je décide enfin de prendre le taureau par les cornes afin de parler à mon équipier.

— Je pense avoir trouvé un nouveau souvenir, annoncé-je, à peine installée en face de lui.

Les conversations de nos amis s’évanouissent autour de la table, tandis que Lucas lève les yeux de son bol de céréales pour les planter dans les miens. J’essaie de faire abstraction de la curiosité que nous titillons, mais c’est difficile dans la mesure où mon équipier et moi-même nous adressons à peine un mot par semaine depuis une vingtaine de jours. Autant dire que notre comportement puéril a de quoi faire jaser même Juliette.

— D’accord, lance Lucas avant de replonger sa cuillère dans son petit déjeuner.

J’esquisse un signe de tête, puis me concentre à mon tour sur mon muffin aux cranberries. Les conversations reprennent comme si elles ne s’étaient jamais interrompues et Harper intègre vite le débat qui oppose Enzo à Lily. Pour ma part, bien silencieuse en raison des nœuds d’estomac qui m’empêchent de savourer ma pâtisserie, j’écoute d’une oreille l’écœurement d’Hugo pour sa jeune âme perdue dont la chambre à coucher regorge d’insectes cloués dans des cadres de verre. À la mention d’une colonie de tarentules qui se serait un jour échappée du bureau de son père, j’en perds définitivement l’appétit.

Je retrouve Lucas dans la salle de la Sphère après une séance de méditation : tout est bon à prendre en ce moment pour supporter d’être dans la même pièce que mon équipier. Ce dernier s’amuse avec une de ses lames qu’il replace à son mollet quand il m’aperçoit. Sans un mot, je réponds à son signe de tête et me dirige d’un pas martial vers la Sphère aux rouages cuivrés. J’en viens à me demander s’il nous sera un jour possible de changer d’équipier ; mais pour le moment, je ne dois pas me disperser avec ce genre d’élucubration. Harper a en effet déjà placé sa main dans la mienne et attend patiemment que je me concentre sur notre destination.

Si ses conseils de la dernière fois se sont révélés utiles, je les agrémente de ceux que j’ai reçus de la part d’Alice lors d’une de nos séances jacuzzi. Il en résulte que je ne tarde pas à ressentir les premiers tiraillements sur mon corps et cette nausée violente qui se promet persistante. Par moments, l’emprise de Lucas se resserre comme si j’avais une chance de le perdre dans les limbes du voyage, mais il n’en est rien au final, car nous atterrissons tous deux côte à côte dans une automobile si rétro que nous n’avons pas assez de place pour étendre nos jambes.

— Une voiture, déclare Lucas en haussant les sourcils, on ne me l’avait jamais faite celle-là.

Je m’épargne de lui répondre, trop concentrée face à cette situation inédite pour chercher à lui clouer le bec une bonne fois pour toutes.

— Nous n’étions pas supposés atterrir dans une voiture, insiste-t-il. Où est la Sphère ?

Son front se plisse tandis que je reste muette, complètement abasourdie.

— Reconnais-tu au moins les environs ? Un détail ?

— Je ne sais pas, je… je ne comprends pas. On aurait dû se retrouver dans une ferme avec un étang et des saules pleureurs à perte de vue. Est-ce que tu vois la moindre chose qui s’en approche de près ou de loin ?

Harper se couvre les yeux de sa main droite pour se protéger des reflets du soleil. Je l’observe étudier le paysage environnant avant de me livrer moi aussi à cette tâche. Un effort de concentration supplémentaire me permet finalement de faire le lien entre le décor actuel et celui où je désirais me rendre de prime abord. Je me retourne alors en vitesse pour scanner les arrières de la voiture, localise le panneau-stop et la barrière en bois brisée, puis me repositionne sur mon siège pour déglutir avec difficulté.

C’est impossible, tenté-je de me persuader.

— Alors ? grogne Harper, impatient.

On le croirait tenté de vouloir m’assommer afin de me faire réagir. Pour sa défense, je mets un temps phénoménal à me remettre de ma paralysie. J’ignore s’il s’agit de l’absurdité de la situation ou de cette étrange coïncidence qui me donne l’impression de revivre mon pire cauchemar, mais les faits sont là : je demeure stoïque, et ce, bien trop longtemps étant donné les circonstances. À croire que je suis bel et bien devenue suicidaire.

— Il faut sortir de cette voiture, déclaré-je avec un flegme incroyable.

— Pardon ?

— Tout de suite !

Le sifflement du train ne tarde pas à se faire entendre et les rails sur lesquelles la voiture se positionne apparaissent si subitement à nos yeux qu’il ne fait aucun doute qu’elles ont été subtilement dissimulées jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Prenant enfin conscience de l’état critique de la situation, Harper dégaine la lame de sa cuisse et s’empresse de casser la vitre de la porte – bien évidemment bloquée – avec son manche. Une dizaine de coups de forcenés sont nécessaires afin de dégager les derniers morceaux coupants de la fenêtre. Enfin, il se faufile en travers pour ensuite m’extirper du véhicule avec bien moins de grâce. Quelque peu hébétés, nous avons à peine quinze secondes pour nous éloigner de la zone à risque avant que la locomotive ne percute la voiture de plein fouet et la réduise en mille morceaux.

Le choc passé, Lucas se tourne vers moi pour me foudroyer du regard.

— Tu cherches à nous tuer ou quoi !?

J’ignore s’il fait référence à mon manque de réactivité ou à notre dangereuse destination. Je n’ai aucune excuse à lui présenter de peur de virer mélodramatique concernant la première supposition. Quant à la seconde, un surcroît de concentration me permet de me défendre un tant soit peu :

— Cette voiture existait bel et bien, tout comme le train. Marion et sa famille l’ont vue quitter la chaussée et atterrir sur les rails alors qu’ils se trouvaient sur le chemin des vacances. C’était à peine quelques kilomètres avant d’arriver dans le domaine où je comptais nous entraîner.

J’ai le plaisir d’observer son expression suffisante s’évanouir au profit d’une profonde incrédulité. C’est à peine s’il ne recule pas d’un pas pour encaisser le choc de mes révélations.

— Tu veux dire que ce n’est pas une invention des Anges Noirs ?

— Non ! Cet accident a vraiment eu lieu. J’ai beaucoup travaillé sur les souvenirs de Marion, je savais parfaitement ce que je faisais en nous conduisant à la ferme. Je ne comprends pas comment nous avons pu atterrir hors de la Sphère et si loin de notre véritable destination.

— La Sphère !

Lucas tourne sur lui-même, catastrophé, avant de poser les yeux avec soulagement sur la bulle de verre qui trône en haut d’une butée. Quand nous sommes tous deux certains de pouvoir repartir d’ici sans encombre, il poursuit d’un air songeur :

— Peut-être que tout cela est en rapport avec tes dons étranges.

— Que veux-tu dire par là ?

— Je veux dire qu’en dix ans d’expérience, rien de tout cela ne m’était jamais arrivé. Un souvenir identique à l’original qui se met à péter les plombs après t’avoir mis en confiance, la Sphère qui déconne en nous projetant dans un véritable accident meurtrier… Suis-je donc le seul à trouver que plus rien ne tourne rond depuis que tu as pris les rênes ?

J’encaisse le coup sans ciller, puis lui tourne le dos pour contempler l’horizon. Maintenant que mes yeux se sont ouverts sur l’endroit où nous nous trouvons, je n’ai plus aucun doute sur le fait que le souvenir est en tout point similaire à celui que j’ai découvert la nuit dernière dans le roman de Marion. Ce sentiment de fausse sérénité rejoint le malaise persistant qui m’habite à chaque fois que je progresse dans la vie glauque de notre âme perdue.

— Je sais que je ne me suis pas trompée, assuré-je en me retournant pour planter mon regard dans les iris gris de Lucas. Quelque chose cloche dans ces souvenirs et cela n’a aucun lien avec mes dons inexplicables. Mais si tu veux t’en donner à cœur joie pour me prouver que j’ai tort, ne te prive pas : je serais ravie de te rédiger un résumé concis de la vie de Marion afin que tu reprennes la lecture là où je l’ai arrêtée.

Pivotant une nouvelle fois pour contempler les débris de la voiture, je conclus pour moi-même :

— Je crois qu’une pause me fera le plus grand bien.

Related chapters

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   3

    Lorsque Lucas s’avachit sur la chaise vide en face de la mienne ce matin-là, il le fait avec si peu de délicatesse que j’en manque de renverser mon petit déjeuner sur mon plateau-repas.—Toi, on peut dire que tu as le chic pour choisir tes âmes perdues, lance-t-il en guise de préambule.Bien le bonjour à toi aussi.—Je présume que tu as fait connaissance avec Marion.—Cette femme est horrible.—Ravie que pour une fois on soit capable de s’entendre sur un point.Lucas fronce les sourcils et m’examine longuement avant de continuer:—Bref, j’ai tout autant envie de reprendre la lecture que de me couper une main, mais de toute manière ce n’est pas important pour le moment, car je pense avoir trouvé un souvenir intéressant.—Vraiment? Déjà?—Je lis vite, assure-t-il.Harper penche la tête sur le côté, sûrement dans l’espoir de déchiffrer mon expression blasée. Dé

    Last Updated : 2021-06-29
  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   4

    Je lâche la main d’Harper dès notre arrivée. À notre grand soulagement, nous sommes cette fois-ci parvenus à bon port, ou du moins dans la Sphère. Je ne cherche pas à vérifier si mon équipier affiche son petit air supérieur face à cette constatation et lui emboîte le pas. S’il y a bien une chose que je dois admettre, c’est que c’est un soulagement de voir Lucas reprendre les rênes. Toute cette tension commençait à avoir raison de moi et le « cas Marion » n’est définitivement pas idéal pour débuter en tant que guide.La Sphère se trouve aujourd’hui dans la cour intérieure d’un énorme jardin décoré de buissons en forme de cygnes, de fontaines resplendissantes de propreté et de colonnes blanches entretenues avec soin, formant un péristyle autour d’une baie vitrée encadrée de rideaux pourpres. J’en serais restée bouche bée d’admiration si un détail particulièrement dérangeant n’avait pas attiré mon attention.—Sont-ils vivants? chuchoté-je en me penchant vers Luca

    Last Updated : 2021-06-29
  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   5

    —Comment ça tu n’en gardes aucun souvenir? s’étonne Alice.—Je ne suis pas amnésique, la corrigé-je face au buffet à desserts, hésitant entre une mousse au chocolat faite maison et une tarte sablée framboise pistache. Je dis seulement que les images de cette mission sont encore trop chaotiques pour que je puisse en faire un résumé précis.—Mais tu n’as même pas été droguée! D’ailleurs Lucas ne s’est pas gêné pour me le faire savoir. Quel pauvre type.—Je te rejoins sur ce dernier point, approuvé-je dans un sourire. Mais je ne saurais t’éclairer davantage sur le sujet. J’étais tellement… inutile. Une vraie demoiselle en détresse avec tout le stéréotype du boulet. Je crois que même lors de ma première mission, je n’ai pas été aussi inefficace.—Curieux…Nous prenons tout le temps qu’il nous faut devant les plateaux de fruits, car nous savons très bien que notre petit tête-à-tête prendra fin lorsqu’il nous faudra

    Last Updated : 2021-06-29
  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   6

    Je me réveille ce matin avec une atroce boule au ventre qui ne me quitte pas du saut du lit jusqu’à la fin du petit déjeuner. Plusieurs éléments peuvent être en cause: je ne parviens pas à déterminer ce qui me ronge à ce point les nerfs. Serait-ce l’apparition prévisible de l’Ange Noir au crâne rasé dans un de mes ravissants cauchemars? Une mauvaise digestion suite au gratin extrêmement calorique d’hier soir, ou encore savoir que Lucas et moi nous apprêtons à entamer notre quatrième aventure dans le monde merveilleux des souvenirs de Marion?Ma main tremblote au-dessus de mon bol. Je suis obligée de poser ma cuillère sur mon plateau de peur d’en renverser à côté. Ce malaise persistant me paraît de très mauvais augure et pourtant j’essaie par-dessus tout de sourire bêtement lorsque Guillaume et Juliette me rejoignent à table, vêtus tout comme moi de leur combinaison de Singulier.—C’est reparti pour un tour? lance-t-il allègrement.De t

    Last Updated : 2021-06-29
  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   7

    J’émerge à une heure tardive. Ayant dans un premier temps envie de satisfaire mon estomac affamé, j’enfile les premiers vêtements qui me tombent sous la main à la suite d’une douche express, puis enchaîne directement avec la cafétéria. L’heure avancée de la matinée me permet de manger dans le calme. Mieux encore, l’absence de mes compagnons est un avantage, car je suis plus que disposée à compléter mon petit bout de papier concernant les souvenirs de Marion.« Quatrième souvenir: chalets de Noël / dédale infernal. Choisi par Harper. Moi: »Je mordille mon stylo avant d’ajouter quoi que ce soit. Je ne sais pas quoi penser de cette dernière mission. C’était angoissant, effectivement, mais d’une manière bien plus complexe que les fois précédentes. Quant à cet épisode avec le double de Lucas… Non mais, même dans mes cauchemars les plus tordus je n’ai jamais songé à un truc pareil.« Moi: trompée par sa duplicité? »Après tout, le jumeau d

    Last Updated : 2021-06-29
  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   8

    Lucas n’est pas à l’infirmerie quand je m’y présente à la fraîche le lendemain. Supposant à juste titre qu’il n’a pas désiré passer une seconde nuit dans ces locaux déprimants, je le retrouve à la cafétéria, à l’heure du déjeuner, assis entre Alice et Lily et faisant face à Juliette et Guillaume. J’ai beau savoir qu’il n’est pas à l’article de la mort, une fatigue intense se lit sur ses traits et chaque mouvement pour saisir un aliment semble solliciter toutes ses forces. Rien de bien extraordinaire, toutefois, quand on se souvient de la brutalité avec laquelle il s’est battu contre son jumeau. J’ai si peu l’habitude de l’admirer aussi diminué que cela ne fait qu’accroître ma compassion à son égard.Enzo et Roxanne nous rejoignent et la conversation dérive de la nouvelle coupe de cheveux de Zacchari, notre prof de yoga, à la mission de Juliette et Guillaume qui les a retenus jusqu’à une heure avancée de la nuit. Quand Enzo s’enquiert de l’état de santé de mon équipier – ce dont

    Last Updated : 2021-06-29
  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   9

    Tout se passe excessivement vite. Harper referme si rapidement la porte que le premier chien à avoir bondi s’y écrase violemment. Nous apprécions le bruit causé par l’impact et le couinement qui en résulte; toutefois nous sommes déjà loin et ne nous retournons pas quand la porte cède dans un vacarme ahurissant. Les couloirs se révèlent très peu pratiques pour une course poursuite. La largeur ne permettant pas à Harper et moi de courir au même niveau sans nous rentrer dedans, mon équipier se contente de me tenir de sa main libre – et de m’arracher la peau par la même occasion – pour me faire garder le rythme.Les grognements de chiens furieux et le martèlement de leurs pattes sur le sol résonnent dans l’espace restreint, alimentant la panique qui nous anime. Pour la première fois depuis le début de cette mission, je suis contente d’apercevoir une de ces fameuses portes. Nous l’avons cependant à peine refermée derrière nous que des griffes trop puissantes pour être réalistes

    Last Updated : 2021-06-29
  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   10

    J’ai tellement dormi que je pourrais arracher mon plâtre et sauter à pieds joints sur mon matelas. J’avalerais bien un bœuf entier également, mais je doute que le moment soit propice pour commander un bon petit plat.—Bien dormi? me lance une voix à laquelle j’étais loin de m’attendre.Ma tête s’incline afin de dévisager le charmant coach sportif assis sans le savoir à côté de mon colocataire.—Enzo? dis-je face à cette apparition aussi imprévisible que déconcertante. Qu’est-ce que tu fais ici?—Je sais que ce n’est pas dans mes habitudes de venir prendre directement des nouvelles à l’infirmerie, mais ça, c’est uniquement parce que tu passes ton temps à dormir.Enzo approche sa chaise de mon lit, puis détaille mon équipier endormi.—Il va bien? s’informe-t-il, soucieux.Qui ne le serait pas à la vue de tout l’attirail médical disposé autour de Lucas?—Apparemment il s’est

    Last Updated : 2021-06-29

Latest chapter

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   Epilogue

    Quatre mois plus tardLucas tomba lourdement sur le sol de l’Organisation. Son premier réflexe fut de vérifier que sa coéquipière était encore en un seul morceau, puis, quand il se révéla que c’était effectivement le cas, il se concentra sur la douleur vive qui irradiait de son genou droit.—Je crois que je suis de nouveau bon pour me traîner cette fichue attelle durant plusieurs jours, grimaça-t-il en se relevant péniblement.—Je savais que tu n’aurais pas dû arrêter la kiné aussi tôt, mais tu ne m’écoutes jamais!—Je t’écoute, mais tes propos sont loin d’être tous aussi raisonnables que tu sembles le penser.—Allons voir le Doc dans ce cas, je suis certaine qu’il se fera une joie de prendre mon parti, comme toujours.—Je crois ne pas me tromper si j’affirme haut et fort que le Doc est loin d’être partial me concernant.—Bien évidemment, si tu n’avais pas tenté par trois fois de détruire

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   24

    C’est loin d’être une surprise lorsque je découvre le comité d’accueil qui patiente dans la salle de la Sphère. La seule différence, contrairement à d’habitude, réside dans l’absence du médecin qu’on ne s’est même pas donné la peine d’appeler.À quoi bon? Mon amertume se devine facilement. Je suis blasée, écœurée, dupée. Je n’aspire plus qu’à une seule chose et elle va bientôt m’être interdite: je ne sais pas par quel miracle je ne m’effondre pas en larmes devant mon public.Tiraillée par ces pensées déprimantes, je ne comprends pas pourquoi la Sphère s’obstine à m’empêcher de sortir de ses rouages. La porte est ouverte, mon pied droit a déjà franchi son seuil, et pourtant me voilà à lutter comme une folle pour que mon corps suive le mouvement; sans parvenir au moindre résultat.—Oh bon sang…—C’est incroyable!—Magnifique…—Est-ce que quelqu’un va enfin se décider à l’aider?

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   23

    —C’est donc comme ça que ça se passe lorsque vous parvenez à vous enfuir avec l’une de nos âmes, c’est plutôt stylé.—Ce ne sont pas vos âmes!—Bien sûr, bien sûr…Aldrik s’arrête face aux arches, et puisque nous nous tenons toujours par la main, je ne peux que l’imiter. Aujourd’hui plus que jamais, cela me fait un drôle d’effet de me tenir devant ces deux destinations. C’est comme si mon futur proche y était résumé: sur ma gauche, la porte grise et terne, terrestre et mortelle; sur ma droite, la lumière dorée éblouissante, promesse de chaleur et d’immortalité.—Songeuse?—Tout autant que toi, ce n’est pas comme si nous nous apprêtions à faire une promenade de santé.—Tu marques un point.Nous demeurons silencieux un instant, puis l’Ange Noir incline la tête vers moi pour ajouter:—Je sais que tu fais ça pour Harper, mais il faut faire preuve d’une certaine ab

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   22

    La logique aurait voulu que j’enchaîne directement d’Hemera aux Affres afin de m’épargner nombre de complications, mais je n’ai pu résister au besoin d’un détour par l’Organisation pour rassurer mes proches au sujet de ma disparition. Un second argument m’apparaît à la seconde où je franchis la porte de la Sphère terrestre: la fatigue m’envahit avec une telle force que je dois me rattraper de justesse à un mur pour ne pas m’écrouler sur le sol.—Elle est là, annonce un des vigiles dans le micro accroché au col de sa veste.Un groupe d’individus envahit la pièce avant que je ne sois parvenue jusqu’à la porte. Aucun des vigiles ne s’est porté volontaire pour me soutenir dans mon avancée, ce que j’attribue à ma brève coopération avec Aldrik, quelques heures plus tôt.—Vous voilà enfin! s’exclame Fortin, de toute évidence contrarié. Nous allons peut-être connaître le fin mot de toute cette histoire.J’ouvre à peine la bouche pour proteste

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   21

    Aldrik avait très bien caché Harper. Nous marchons sur plusieurs centaines de mètres avant de retrouver mon équipier inconscient, allongé sur le sol dans une sorte de renfoncement discret. Sa combinaison et son visage sont constellés de poussière rougeâtre. Je m’accroupis à ses côtés à la seconde où je reconnais sa silhouette. Au regard que me lance Aldrik quand je lève les yeux vers lui, je comprends qu’il se doute tout comme moi qu’il n’a pas intérêt à rester dans les parages s’il souhaite que son plan voie le jour. Nous nous adressons donc un hochement de tête entendu, puis il disparaît.Si je suis hésitante sur la façon dont je vais procéder une fois de retour à l’Organisation pour me sortir de toute cette folie, je mets toutefois mes problèmes de côté afin de m’occuper de mon équipier. Avec précaution, je pose sa tête sur ma cuisse et dégage du bout des doigts les mèches de cheveux brunes qui tombent sur son front et ses paupières closes. Il est si profondément endormi que

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   20

    —Je dois dire que je ne regrette pas ma petite escapade, affirme-t-il sur le ton de la conversation. Même si je vais avoir du mal à m’habituer à cet horrible éclairage. Heureusement que je ne suis ici qu’en touriste.—Où est Lucas?—À ton avis?Aldrik soupire, puis jette un coup d’œil en arrière quand du bruit se fait entendre dans le couloir. Avec autorité, il m’entraîne alors dans la cage d’escalier la plus proche pour nous dissimuler des agents qui circulent devant nous au pas de course. Il m’est si étrange de voir ce faux Harper se comporter ainsi que je ne cherche pas à résister.—J’ai dû en assommer un ou deux, m’explique-t-il en secouant la tête de gauche à droite comme s’il le regrettait. Je ne sais pas ce que Lucas leur a fait, mais ils n’étaient pas très contents de me voir. Un peu comme toi, d’ailleurs, maintenant que j’y pense.Aldrik m’étudie en silence, j’en profite pour me renseigner sur ses intention

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   19

    —Laisse-moi passer!—Allyn, s’il te plaît, ressaisis-toi.—Pas question! Tu ne peux pas lâcher une bombe pareille pour ensuite t’attendre à ce que je reste sagement assise sans rien faire!—Et où comptes-tu aller, hein? En supposant que Fortin te laisse repartir seule, comment comptes-tu retrouver Lucas?Je me fige sur place, la couverture à moitié tombée de mes épaules.—Allyn, je suis venu te prévenir parce qu’il me semblait que c’était la meilleure des choses à faire. Mais il n’y a aucune solution à part patienter.—Sauf s’il ne revient jamais.—Tu connais Lucas, il revient toujours.—Non, justement, je ne connais définitivement pas Lucas! Parce que je n’aurais jamais pensé une seule seconde qu’il serait capable de se comporter en crétin fini! À quoi pensait-il en partant tout seul? Ce n’est qu’un parfait égoïste!Je fin

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   18

    —Elle a besoin d’aide! Appelez un médecin!—Seigneur tout puissant! Que s’est-il donc passé, Lucas?—Allyn? Qu’est-ce qu’elle a?—Elle se vide de son sang… Oh mon Dieu, oh mon Dieu…—Mais ne restez pas plantés là, bande d’abrutis! Allez chercher quelqu’un!Les ténèbres s’estompent progressivement, mes paupières fermées baignent dans une lumière rouge et chaude. Je devine que l’on s’agite tout autour de moi, mais je suis incapable d’ouvrir les yeux pour m’enquérir de mon état.—Laissez-moi passer! Harper! Expliquez-vous, bon sang!Ah! Je reconnais au moins la voix mélodieuse de Fortin.—Je savais que cela finirait comme ça… Je te préviens, Lucas, que si elle y reste, je te hanterai jusqu’à la fin de ta vie et bien au-delà.—Dégage de là, Maël! Je n’ai pas besoin de tes menaces. Pas maintenant.

  • Les Arcanes d'Hemera Tome 2   17

    13 février 2014, dossier 456720DResponsable de l’entretien: Dr Julia Olivia, psychologue de l’Organisation.Agent concerné: Lucas Harper. Enregistrement classé confidentiel, archives de l’Organisation des Singuliers.«—Bonjour Lucas, soyez le bienvenu, commence le Dr Olivia en serrant la main d’Harper.Ce dernier s’installe après hésitation sur le siège que lui désigne la psychologue. Un bref coup d’œil dans l’angle du plafond lui indique qu’ils sont surveillés. Intérieurement, il ne peut s’empêcher de ricaner. Que croient-ils donc tous? Que dans un accès de colère, il risque d’en venir aux mains avec leur cher docteur?Son front se plisse lorsque le Dr Olivia glisse un dictaphone sur son bureau. La lumière verte indique que l’instrument est déjà en train de tout informatiser.—J’espère que vous ne voyez aucun mal à ce que notre conversation soit enregistrée.—Vous pouvez même gard

Scan code to read on App
DMCA.com Protection Status