Le jour du procès d'Idriss avait marqué un tournant décisif dans l'histoire de Nemtaba. Désormais, la cité pouvait enfin respirer après des semaines d'incertitude et de tensions. Pourtant, Aïcha savait que si la menace immédiate avait été écartée, la reconstruction de la confiance et de la stabilité exigeait encore bien des efforts.Depuis l'aube, les rues de la capitale vibraient d'une énergie nouvelle. Les marchands avaient rouvert leurs étals, les rires d'enfants résonnaient à nouveau dans les ruelles et les musiciens jouaient des mélodies festives en l'honneur de la reine qui avait su éviter une guerre. Pour la première fois depuis longtemps, le peuple de Nemtaba ne vivait plus dans la peur.Aïcha, du haut des remparts du palais, observait la ville reprendre vie, un mince sourire se dessinant sur ses lèvres. Malik s'approche doucement d'elle, son regard balayant lui aussi la cité en contrebas.— Tu as réussi, murmura-t-il. Nemtaba est en paix.Elle soupira légèrement, le vent joua
Trois jours s'étaient écoulés depuis le procès d'Idriss, et l'heure était lieu pour Aïcha de tenir sa promesse : elle se rendrait en personne à Alkazar pour consolider la paix avec le roi Arkanis. Le matin du départ, le palais était en effervescence. Soldats, serviteurs et conseillers s'activaient, préparant les chevaux, rassemblant les provisions et organisant la délégation royale.Aïcha, vêtue d'une tunique aux couleurs de Nemtaba, ajusta son voile finement brodé avant de quitter ses appartements. Malik l'attendait dans la cour, en train de donner ses dernières instructions aux capitaines de la garde. Lorsqu'il sourit à l'aperçu, un léger effleura ses lèvres.— Tu es prête ? demanda-t-il en lui tendant les rênes de son cheval.— Autant qu'on peut l'être en allant négocier avec un roi qui aurait pu être notre ennemi, répondu-elle en enfourchant sa monture.Tahar, qui faisait également partie du voyage, les rejoignit, son regard grave mais résolu.— Nous avons tout prévu pour assurer
L'agitation du banquet avait laissé place à un silence tendu. Le serviteur capturé tremblait sous le regard perçant de Malik, qui ne desserrait pas son emprise sur son bras. Aïcha, les yeux fixés sur lui, cherchait à deviner l'étendue de la menace qui pesait sur l'alliance.Arkanis se leva lentement de son trône, traversant la salle avec une lenteur calculée. Il s'arrête à quelques pas du serviteur, le dominant de toute sa hauteur.— Répète ce que tu viens de dire, ordonna-t-il d'une voix glaciale.Le serviteur déglutit, jetant des regards affolés autour de lui comme s'il espérait que quelqu'un vienne le sauver. Mais personne ne bougea.— Je… Je ne voulais pas causer de troubles, balbutia-t-il. Mais… j'ai entendu parler d'un complot.Aïcha s'avance d'un pas.— Un complot pour quoi ? Briser la paix entre Nemtaba et Alkazar ?Le serviteur hocha frénétiquement la tête.— Certains nobles… Ils ne veulent pas de cette alliance. Ils pensent que vous affaiblirez Alkazar en vous liant à Nemtab
Le matin du départ de la délégation de Nemtaba fut empreint d’une solennité inhabituelle. Après l’arrestation de Lord Hazim et des conspirateurs, l’alliance avec Alkazar était enfin consolidée, du moins pour le moment. Aïcha savait cependant que cette paix restait fragile et qu’il leur faudrait continuer à la défendre.Dans la cour du palais d’Alkazar, Arkanis observait Aïcha monter à cheval, entourée de Malik, Tahar et de leurs soldats.— Reine Aïcha, déclara-t-il d’un ton formel, ce fut un honneur de sceller cette alliance avec vous.Elle lui adressa un sourire poli, bien qu’elle restât sur ses gardes.— Espérons que cette paix dure, Arkanis. Nos royaumes ont trop souffert des guerres passées.Il inclina légèrement la tête.— Nous veillerons à ce qu’elle perdure.Malik échangea un regard avec Aïcha, captant dans les paroles du roi une nuance de sincérité qu’ils n’avaient pas perçue auparavant. Peut-être qu’Arkanis avait réellement changé… ou peut-être comprenait-il enfin que l’aveni
Le lendemain matin, Nemtaba s’éveilla sous un ciel limpide, mais l’atmosphère dans la ville était lourde d’incertitude. Depuis l’annonce du traité avec Alkazar, une vague de méfiance s’était répandue parmi les citoyens, alimentée par les murmures des conservateurs menés par Marwan.Aïcha savait que la seule façon d’apaiser cette tension était de s’adresser directement à son peuple. Elle devait leur prouver que son choix n’était pas une faiblesse, mais une nécessité pour assurer un avenir stable et prospère.Préparations et DoutesDans les jardins du palais, elle se tenait face à Malik et Tahar, son regard déterminé malgré la fatigue qui marquait ses traits.— Aujourd’hui, je vais parler au peuple. Mais ce ne sera pas un simple discours. Je veux qu’ils me voient non pas comme une reine inaccessible, mais comme une dirigeante qui les comprend.Malik, appuyé contre un pilier, croisa les bras.— Tu vas devoir marcher sur un fil très mince, Aïcha. Certains sont prêts à écouter, mais d’autr
Le discours d'Aïcha avait marqué un tournant décisif pour Nemtaba. Bien que la méfiance n'ait pas totalement disparu, elle avait réussi à semer une graine de confiance dans l'esprit de son peuple. Désormais, elle devait prouver par des actions que cette paix n'était pas une illusion, mais un véritable changement pour le royaume.Les Premières RéformesDès le lendemain, Aïcha convoque un conseil exceptionnel au palais. Autour de la grande table, Malik, Tahar et plusieurs notables, dont Marwan, étaient réunis.— Nous avons calmé les esprits, mais cela ne suffit pas, déclaration-t-elle d'un ton ferme. Il est temps d’agir concrètement.Elle pose un parchemin devant elle, déroulant un plan.— Nous allons lancer un programme de reconstruction des villages touchés par les guerres passées. Des ressources seront attribuées à ces régions pour rétablir l'agriculture et le commerce local.Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée. Même Marwan semblait intéressé.— Une décision sage, admet-il
Le lendemain matin, Aïcha se réveilla avec une énergie renouvelée. Les discussions de la veille l'avaient rassurée sur sa capacité à regagner la confiance de son peuple, mais elle savait que des paroles seules ne suffiraient pas. Il fallait maintenant passer aux actes.Le conseil fut réuni dès l'aube pour lancer les projets annoncés la veille. Autour de la grande table du palais, Tahar déroula une carte des routes commerciales existantes et des nouvelles voies envisagées. Malik, quant à lui, tenait une liste des artisans et marchands prêts à collaborer.— La priorité est de sécuriser les axes principaux, explique Tahar en désignant les routes dépendantes Nemtaba aux cités voisines. Les patrouilles doivent être renforcées pour dissuader les bandits.Aïcha approuva d'un signe de tête.— Organisations aussi des postes de ravitaillement le long des nouvelles routes. Cela encouragera les caravanes et réduira les risques d'attaques.Malik, concentré, a ajouté :— Il faudra également prévoir
Aux premières lueurs de l'aube, Aïcha et sa troupe se mirent en marche vers les collines à l'est de Nemtaba. La tension était palpable. Les soldats, bien entraînés mais conscients du danger, avançaient silencieusement, les sens en alerte. Malik, toujours en tête, scrutait l'horizon avec une prudence méticuleuse. Tahar suivait de près, assurant la coordination de la troupe.Aïcha, malgré son calme apparent, sentait son cœur battre plus vite que d'habitude. Depuis qu'elle avait appris la disparition de la patrouille, elle n'avait pas fermé l'œil, hantée par la peur que cette paix si durement obtenue soit à nouveau menacée.— Nous sommes presque aux collines, murmura Malik en jetant un coup d'œil derrière lui. Les éclaireurs n'ont rien signalé pour l'instant.— Restez vigilants, répondez-elle. S'ils sont organisés, ils nous surveillent déjà.Les collines de l'est étaient depuis toujours un lieu de mystère. Des contes anciens parlaient de tribus disparues et de rebelles fuyant la loi. Mai
Ils marchaient depuis deux jours sans croiser âme qui vive.Le paysage avait changé.Les arbres étaient devenus plus rares, plus noueux.Le ciel semblait plus proche.Et l’air, plus dense.Pas étouffant.Chargé.Comme si les pierres, les herbes, la terre elle-même retenaient leur souffle.À chaque pas, le silence s’intensifiait.Non pas vide, mais attentif.Ils sentaient qu’ils s’approchaient de quelque chose.Quelque chose de haut.Et soudain… elle fut là.Une tour.Plantée au centre d’une plaine nue.Ni forêt autour.Ni collines.Juste elle.Étrange.Brute.Presque organique.Elle semblait née de la terre, plutôt que bâtie.Pas de porte visible.Pas d’escaliers.Aucune ouverture.Juste cette masse haute, droite, impossible à ignorer.Et pourtant… étrangement invitante.Ils s’approchèrent.Chaque pas vers elle semblait plus lourd.Comme si la tour pesait sur l’air lui-même.Ou sur leurs épaules.Sur leurs pensées.Et en arrivant à sa base, ils virent une inscription gravée dans la pi
Le matin se leva sans hâte, étirant ses couleurs comme on déploie une couverture sur un corps endormi.Les enfants, encore enveloppés dans les souvenirs vibrants de la montagne d’échos, marchaient d’un pas calme, presque méditatif.Leur silence n’était plus pesant.Il était plein.Plein de ce qu’ils avaient déposé là-haut.Plein de ce qu’ils ne savaient pas encore nommer.Et dans l’air, une douceur.Un parfum de terre, de mousse, de promesse.Ils ne savaient pas où ils allaient, mais ils savaient que quelqu’un les attendait.Et ils avaient appris, désormais, à faire confiance au chant du monde.Au milieu de la journée, ils atteignirent une vallée.Fermée.Paisible.Presque retenue.Comme un lieu qui ne veut pas trop s’offrir.Le sentier descendait doucement, bordé de fleurs pâles, de pierres rondes.Et au fond, une maison.Ou plutôt, une forme.Faite de bois, de tissus, de silence.Elle ne ressemblait à aucune autre.Elle semblait tissée d’absence.Et pourtant, tout en elle disait : e
Le vent avait changé de ton.Plus sec.Plus franc.Comme s’il voulait leur dire que ce qu’ils s’apprêtaient à vivre ne serait pas une traversée douce, mais une confrontation.Les enfants marchaient côte à côte, mais chacun enfermé dans sa propre pensée.Il y avait quelque chose dans l’air.Pas une odeur.Pas une vibration.Un appel.Une urgence tranquille.Comme quand on sent que le temps du détour est passé.Et que, désormais, il faut monter.La montagne apparut à l’horizon dans une brume presque dorée.Étrangement simple.Sans neige.Sans pics.Sans menace.Mais elle imposait le respect.Pas par sa hauteur.Par son présence.Elle ressemblait à une épaule ancienne posée sur le monde.Et quand ils posèrent le pied sur son flanc, quelque chose en eux se figea.Comme si elle les écoutait.Déjà.Avant même le premier mot.Ils avancèrent lentement.Le sol était rocailleux mais pas hostile.Chaque pierre semblait placée là pour une raison.Comme les notes d’une partition muette.— Cette mo
Le chemin qui suivit la rivière était lumineux.Pas tant par le soleil, mais par l’intérieur.Quelque chose en eux avait bougé.Une retenue relâchée.Une fissure devenue passage.Ils marchaient côte à côte, sans se parler, mais plus proches que jamais.Et à l’approche du crépuscule, alors que le ciel se teintait d’un orange doux comme la peau d’un fruit mûr, ils aperçurent une forme étrange au loin.Rectangulaire.Silencieuse.Une maison.Ou du moins… ce qu’il en restait.Elle n’avait pas de toit.Ni porte.Ni fenêtres.Juste quatre murs de pierre, couverts de mousses et d’empreintes.Et un silence épais, pas hostile… attentif.Ils entrèrent.Et aussitôt, sentirent que ce lieu n’était pas vide.Il écoutait.— C’est une maison ? demanda Komi.— C’est un écho, répondit Naya.— Elle n’a pas de toit… parce qu’elle appartient au ciel aussi.Salimata s’approcha d’un mur.Elle y vit des marques.Des lettres.Des traces de mains.Et au centre, une phrase gravée, presque effacée :“Ici, aucun
Ils avaient marché toute la matinée, la brise tiède sur leurs visages et les fleurs de l’homme encore tièdes dans leurs poches.Chacun d’eux gardait le silence, non par fatigue, mais par respect pour ce qu’ils venaient de vivre.Ils sentaient que quelque chose se préparait.Un moment.Un lieu.Un face-à-face.Et comme souvent, ce fut la nature qui les guida.Le sentier descendit doucement, bordé d’arbres fins et hauts comme des silences dressés.Puis le vent s’arrêta.Et devant eux, elle apparut.La rivière.Elle était là.Immobile.Mais pas asséchée.Pétrifiée.L’eau, translucide, semblait suspendue dans son propre mouvement.Des vagues arrêtées en plein geste.Des gouttes figées au bord des rochers.Le lit de la rivière brillait d’un bleu glacé.— Elle ne coule plus, dit Salimata.— Depuis quand ? murmura Komi.Un écriteau de bois penchait au bord du sentier, gravé d’une main ancienne :"Je suis la rivière de ce que l’on ne s’avoue pas.Je ne coule que lorsque le cœur se parle à lui
Ils avaient quitté la ville au petit matin, les poches remplies de silences brisés et les cœurs vibrants de cette vérité qu’ils n’avaient pas cherché à imposer, mais simplement à révéler.Le vent était doux.L’air, plus léger.Ils marchèrent sans se presser.Comme s’ils attendaient que le monde lui-même leur souffle la prochaine rencontre.Et il le fit.Au détour d’un sentier bordé d’herbes hautes et de pierres moussues…Ils virent un jardin.Mais sans sol.Sans clôture.Sans limite.Un jardin humain.Au centre du champ, un homme.Assis sur un tronc renversé.Tête basse.Dos voûté.Et sur ses épaules, ses bras, son cou…des fleurs.De toutes les formes.De toutes les couleurs.Elles ne semblaient pas posées sur lui.Elles poussaient.De sa peau.De ses pores.Comme si son corps entier portait une terre silencieuse, fertile de mots qu’il n’avait jamais dits.Ils s’approchèrent en silence.L’homme leva les yeux.Son regard était profond, mais pas triste.Plutôt… saturé.Comme une mer pl
Ils quittèrent la colline au lever du jour, le silence encore accroché à leurs peaux, comme une rosée invisible.Ils marchèrent longtemps, les souvenirs d’ombres encore chauds dans leur poitrine.Le monde autour d’eux reprenait forme : les chemins, les herbes hautes, le ciel vaste.Et soudain, à l’horizon…Une cité.Colorée.Chaleureuse.Vibrante.Des murs recouverts de fresques.Des toits qui scintillaient au soleil.Et surtout…des voix.On chantait là-bas.Partout.Dans les ruelles, sur les marchés, aux fenêtres.Les enfants couraient en rimes.Les marchands criaient leurs prix en mélodies.Les vieillards conversaient en chœurs graves et doux.C’était… beau.Éblouissant.Presque irréel.Les enfants furent accueillis avec joie.Des colliers de fleurs.Des fruits offerts.Des danses improvisées.Et des sourires.Beaucoup de sourires.— C’est trop beau, chuchota Komi.— Peut-être, répondit Naya, que c’est ça… le piège.Ils passèrent la première journée comme enveloppés.La ville les b
La nuit était tombée douce, sans heurt, comme un drap léger posé sur la peau du monde.Les enfants avaient marché sans trop parler.Leur souffle seul servait de rythme, ponctué par le chant discret des insectes et les craquements tendres des herbes sèches sous leurs pas.Au loin, une lueur.Pas un feu.Pas une maison.Un halo.Flottant.Vibrant.Comme une invitation discrète.Ils avancèrent, attirés sans savoir pourquoi.Et découvrirent une colline.Petite.Ronde.Presque nue.Mais tout en haut, une silhouette.Une jeune fille.Seule.Debout, face au ciel.Les bras levés.Son ombre s’étirait derrière elle, gigantesque, projetée par une lumière invisible, comme si le soleil couchant s’était logé en elle.Autour d’elle, d’autres ombres.Qui bougeaient.— Ce sont… des gens ? chuchota Komi.— Non, répondit Isma. Regarde bien… il n’y a que ses gestes.Et pourtant, l’ombre derrière elle dansait à plusieurs.Des formes humaines.Des scènes entières.Un père.Une femme.Un enfant recroquevill
Ils sortirent de la caverne au moment où le ciel se teintait d’ocre et de pourpre.Le vent avait changé.Pas plus fort.Plus… présent.Comme s’il reconnaissait leur passage.Comme s’il murmurait : Bienvenue à ceux qui sont revenus.Mais rien autour d’eux ne semblait vraiment différent.Les arbres étaient toujours là.La poussière, la lumière, les pierres.Et pourtant, dans leur regard…Tout avait basculé.Le monde ne leur apparaissait plus comme une carte à lire, mais comme une page à écouter.Chaque brin d’herbe vibrait.Chaque silhouette au loin portait une note suspendue.Ils ne marchaient plus en quête de réponses.Ils marchaient avec.Avec le chant.Avec ce qu’ils étaient devenus.Avec ce qu’ils avaient à transmettre.Et c’était peut-être cela, le plus effrayant.Et le plus doux.Ils atteignirent un village au troisième jour.Un petit hameau oublié, niché dans une vallée de terre rouge.Les enfants y jouaient.Les adultes y travaillaient en silence.Personne ne chantait.Personne