Chapitre 3

Sébastian James est un bourreau de travail. La meilleure chose dans sa vie, après sa fille, c’est son travail. Il est le sous-chef cuisinier dans la maison de la première famille de Lune de Forêt.

Il est difficile de croire que mon père a eu une crise cardiaque en exerçant le métier qu’il aime tant. Il est en parfaite santé et est très heureux depuis que je suis entrée à l’université. Cet homme est robuste comme un cheval. Beaucoup le qualifient souvent de fort et agile pour un oméga. Comment peut-il soudainement se retrouver allongé dans une salle d’urgence, à lutter pour sa vie ?

Je prie silencieusement la Déesse lorsque ces pensées défilent dans ma tête.

J’ai attendu presque deux heures devant la salle d’urgence. En tant qu’oméga, il a été emmené dans une salle commune avec d’autres patients. Je ne peux pas encore entrer, car il est en soins intensifs.

Une heure de plus passe avant que le médecin ne m’appelle.

« Il est hors de danger maintenant. », dit-elle d’une voix douce. « Mais nous devons le surveiller une nuit de plus avant de le laisser partir. »

Je hoche la tête. « Merci, docteur, mais je suis tellement perdue. Mon père est la personne la plus saine que je connaisse. Que s’est-il passé ? »

« Même les plus forts de la meute ne sont pas à l’abri des imprévus de la vie. », répond-elle.

Ces mots font référence à l’alpha Zion Reign, le père de Nick. Ce mâle redoutable et fier n’est plus le même depuis l’accident d’hélicoptère il y a cinq mois.

« Ils ont dit qu’il s’est effondré soudainement après avoir vu la luna. », ajoute la médecin.

Un grand stress monte en moi. Les paroles de Még à propos de Nick qui aurait parlé à sa mère résonnent dans ma tête.

« Ce qu’elle lui a dit a dû être dur pour son cœur pourtant en bonne santé. », dit le médecin. « Mais il va s’en sortir. Vous pouvez aller le voir maintenant. Il demande après vous. »

Il n’y a qu’une chose que la luna aurait pu dire à mon père. J’avale la bile qui monte dans ma gorge.

J’ouvre doucement la porte et entre dans la pièce. Mon père est éveillé sur le lit, relié à un petit moniteur cardiaque qui émet des bips réguliers. Son visage est triste en me regardant.

« Papa. », murmuré-je, tout en balayant la pièce à moitié pleine de personnes malades du regard.

Seul un rideau fin sépare chaque patient de son voisin. Une infirmière est assise à un petit bureau dans le coin de la grande pièce.

Mon père pointe son manteau accroché à un cintre près du lit.

« Le médecin dit que tu ne peux pas partir encore. Tu as eu une crise cardiaque. », protesté-je.

« Prends mon téléphone et allume-le. », ordonne-t-il d’une voix rauque.

« Pourquoi ? Tu veux appeler quelqu’un ? », demandé-je, tout en attrapant son téléphone large et fin dans la poche de son manteau.

Je devine facilement ce qu’il s’apprête à me montrer, alors je prends les devants et ouvre son e-mail avant qu’il ne prononce les mots.

« Ouvre mon e-mail. »

Il n’y a aucun message non lu. Mais les deux premiers expliquent presque pourquoi le cœur de mon père a failli lâcher. Le titre du deuxième message est « Résiliation du contrat de travail ». Mais c’est le premier qui retient davantage mon attention, alors je clique dessus.

C’est un accord de non-divulgation. Un autre document qui empêche mon père de chercher de l’aide, que ce soit auprès des humains ou de notre espèce. C’est similaire à ce que j’ai signé avant d’écarter les jambes pour le fils de l’alpha. Mon propre être me dégoûte.

C’est moi qui ai causé tout ça. En regardant le premier e-mail, je vois que mon père est licencié sans rien. Nous sommes aussi expulsés de la meute, comme l’avait prédit Még.

L’alpha Zion ne se soucie guère de ces choses. C’est l’œuvre de sa luna, la mère de Nick. Mais comment a-t-elle su ? Je n’ai jamais chuchoté un mot à ce sujet à qui que ce soit. Még a insinué que Nick le lui dirait. L’a-t-il vraiment fait ?

Je suis mortifiée et incapable de dire quoi que ce soit alors que je fixe le texte avec les yeux embués. L’e-mail contient des pièces jointes. Je les ouvre et trouve des photos de Nick et moi en train de nous embrasser dans le salon de notre lieu de rencontre secret. Ce sont des photos très récentes, prises le jour où j’ai commis cette imprudence. Comment est-ce possible ?

« Je suppose que les photos prouvent que c’est vrai. », mon père interrompt mes pensées. « Alors il n’y a pas besoin de poser la question. Ou veux-tu nier ? »

« Papa, je- »

« Tu es désolée, je sais que tu l’es. Ce qui est fait est fait. » Il soupire profondément. « Je ne veux pas de problème avec la luna et la meute, Sara. Nous devons partir dès que possible et discrètement. Tu dois rentrer et commencer à faire tes valises. »

Il a raison. J’ai ruiné nos vies ici. Il n’est pas exagéré de penser que la luna usera de son influence pour révoquer ma bourse, comme Még l’avait prédit. Les Reign sont un nom puissant, pas seulement parmi les loups-garous.

Alors que mon père ferme les yeux, je sais qu’il a fini de parler. En réalité, je ne sais pas quelle douleur est la pire. Cette immense déception que mon père ressent en ce moment ou la douleur de voir mon compagnon dans les bras d’une autre femme. Je ne sais pas laquelle me fait le plus mal à cet instant.

Je veux m’asseoir à côté de lui, mais j’ai trop honte de rester près de lui. Je remets simplement le téléphone en place et quitte la pièce discrètement pour attendre dehors. Faire mes valises devra attendre. Je ne veux pas être près du manoir Reign pour l’instant.

***

Après notre petite discussion, je jette parfois un coup d'œil à mon père sans m'approche pas de lui. C'est au coucher du soleil que je me mets en route pour faire ce qu'il m'a demandé.

Notre petite maison est à quinze minutes de l'hôpital. Dès que le château apparaît à l'horizon, la première chose que je vois, c'est un camion de taille moyenne à côté du SUV Hummer de la luna.

Je l’ai remarqué parce que je n'ai jamais vu ce genre de véhicule autour de la propriété. Il semble tellement hors de propos parmi les véhicules plus élégants garés à côté. Le coffre est ouvert et quelqu'un y charge des affaires. Je me demande si quelqu'un d'autre est en train de déménager. L'un des bagages ressemble à ceux de mon père. Il est de la même couleur.

Je marche de façon maladroite et hésitante autour du bâtiment en direction des blocs de maisons où nous vivons. Quelqu'un me surveille. Avec la sensation de picotement sur ma nuque, je sais que ce n'est ni une femme de ménage, ni un garde. Je n'ose pas lever les yeux pour voir qui me regarde.

Le verrou refuse de céder quand j’ai entré le code pour ouvrir la maison. Je baisse les yeux pour examiner de plus près et je découvre que j'avais raison. Ils ont changé les serrures.

Déjà ?

Des pas s'approchent derrière moi. Je me retourne pour voir une garde féminine et un autre oméga qui viennent vers moi. La luna se tient à quelques pas. Elle ne dit rien, mais ses yeux sont pleins de malice.

« Toi et ton père ne vivez plus ici. », dit la garde.

« Qu'est-ce que vous voulez dire par... nous ne vivons plus ici ? »

« T'es sourde ou quoi ? Ce n'est plus ta maison. On a déplacé vos affaires sur ordre de la luna. Tu les trouveras dans le fourgon blanc dehors. »

« Pardon ? » La question s'échappe dans un souffle.

« Luna Reign, ne faites pas ça. » Je commence à m'approcher d'elle, les mains jointes, mais la garde me bloque.

Je vois sa mâchoire se tendre alors qu'elle me lance un regard furieux. On dirait qu'elle me dit silencieusement de ne pas oser m'adresser à sa patronne. La garde vocalise mes pensées avant même que je ne puisse les formuler correctement.

« Ne t'avise même pas de t'adresser à la luna, oméga ! »

J'essaie de me rapprocher d'elle une nouvelle fois en suppliant.

« S'il vous plaît. Nous avons besoin de temps pour trouver un autre endroit. Je vous en prie. Mon père était aux urgences, il aura besoin de quelques jours pour se rétablir une fois qu'il sera sorti. »

« Tu dis que tu as besoin de temps ? », demande la garde avec dégoût. « La seule raison pour laquelle elle a aidé avec le fourgon, c'est pour que ça reste aussi discret que possible. Tu penses qu'elle va te laisser rester plus longtemps que... je n’ai pas à dire plus. Tu dois partir ! »

Elle se tient entre moi et la mère de Nick, alors que la luna me lance des regards remplis de haine. Je souhaiterais vraiment qu'elle parle. Mais apparemment, je ne mérite même pas un mot de sa part.

J'essaie de passer devant la garde gamma et elle me pousse. Je me retrouve à terre, à quatre pattes, levant les yeux vers la luna avec des yeux suppliants. Elle me lance un dernier regard malveillant avant de tourner les talons.

« C'est la dernière fois que tu es autorisée à t'approcher de la maison du clan. Si nous te retrouvons, toi ou ton père, près d'ici, vous serez arrêtés et déshonorés. », dit la garde. « Voici la clé du camion. Denise t'accompagnera pour le récupérer une fois que tu auras pris tes affaires. Tu as toute la soirée pour rendre le véhicule. Elle doit ramener ce fourgon avant minuit ! »

La garde laisse tomber la clé devant moi et se tourne pour suivre sa luna.

Je n'arrive pas à croire dans quel pétrin nous nous sommes mis. Mon père et moi sommes pratiquement sans-abri maintenant.

***

Je dois appeler mon père même si j’aurais voulu ne pas le faire. Je ne sais pas quoi faire d’autre. La fille Denise est aussi confuse que moi. Elle a trop peur pour même demander ce que nous avons fait de mal.

Tout le monde a peur de la luna. Ça ne me surprendrait pas si la fille avait été avertie de ne pas me parler. La luna Reign ne voudrait pas que le monde sache que son précieux fils a couché avec une oméga.

Après avoir écouté les instructions de mon père sur où emporter nos affaires, je me lance dans un trajet de quarante-cinq minutes en direction de la ville. En quatre heures, à la tombée de la nuit, j'ai rendu le camion à l’oméga et je suis retournée à l'hôpital.

J'ai fait en sorte que l'infirmière dise à mon père que je suis de retour. Aller le voir est trop difficile pour l'instant. Nous avons perdu nos vies et il a perdu son travail à cause de moi.

Je m’assois sur le banc de l'hôpital pendant des heures, perdue dans mes pensées, jusqu'à ce que je m'endorme.

À l'aube, la nausée me réveille d’un sommeil profond rempli de mauvais rêves. La sensation est presque la même que celle de ce matin-là, me forçant à courir aux toilettes les plus proches puis y rester pendant un certain temps.

Est-il vraiment possible d’avoir une intoxication alimentaire alors que j’ai si peu mangé cette semaine ?

Heureusement, je suis à l’hôpital. Je me rends à la pharmacie pour acheter des médicaments, mais on insiste pour avoir une ordonnance signée.

Cependant, après avoir décrit mes symptômes au médecin bienveillant, sa prochaine question envoie un froid terrible dans mes veines.

« Quand avez-vous eu vos dernières règles ? »

Je ne peux pas répondre immédiatement. Ma voix revient quand elle lève un sourcil.

« Quel rapport avec... la nausée ? » Mais je sais que c'est la question la plus idiote, même avant de la poser. Pourquoi cela ne m'est-il pas venu à l’esprit ?

Reste calme, Sara. Tu N'ES PAS enceinte.

Je n’entends pas la réponse du médecin à ma question stupide.

« Je vais prescrire quelque chose de léger au cas où, mais vous aurez aussi un kit de test. », dit-elle en griffonnant sur un morceau de papier. « Urinez sur le bâton avant de prendre les médicaments, Mademoiselle James. »

Vingt minutes plus tard, je suis debout dans la salle de bain, fixant horrifiée les deux lignes rouges sur le test de grossesse devant moi.

« Ce n’est pas possible. Il a été prudent... Non, je veux dire nous. Nous avons été extrêmement prudents, tous les deu. »

Un coup à la porte des toilettes me fait sursauter.

« Ça va, là-dedans ? Ça fait un moment que tu es là. » Ça doit être le concierge.

« Oui... » Je ne reconnais même pas ma voix. « Je vais sortir bientôt. »

Je me demande combien il serait facile de me tuer et de tout finir maintenant.

Mes pensées sont interrompues par un bip sur mon téléphone. Ça doit être mon père. Je le sors rapidement de mon sac et mon cœur tombe encore plus dans mon estomac. Le nom de Nick clignote sur l’icône de mes messages. Mon doigt tremble alors que j'ouvre le texte.

Il est écrit : « Où es-tu ? On doit parler ! »