Après avoir marché un long moment, ils parvinrent dans une clairière délimitée par le mur abrupt qui les entourait. L’ouverture d’une immense grotte bâillait largement sur la paroi. Son hall d’entrée était si vaste que le chœur d’une cathédrale aurait pu s’y nicher. Zébré d’énormes veines d’améthystes, il s’enfonçait dans la montagne en conservant des proportions démesurées.
En comprenant qu’ils allaient s’engouffrer dans cet endroit, Joachim franchit la distance qu’il s’évertuait de maintenir avec Pierre pour tenter de le raisonner.
— Si nous arrivons bien là où je crois, il serait peut-être temps de songer à demander à Anaël de rester dehors, pour garder un œil sur notre prisonnière. Au moins pendant que nous rencontrons la propriétaire des lieux.
— Je te rappelle qu’elle a également réclamé à voir Anaël, répondit calmement le Passeur, en poursuivant
Le groupe venait de prendre congé de Sylfinata, et les bruits de pas martelaient de nouveau l’immensité du couloir qui menait vers la sortie. La largeur de la galerie rocheuse leur permettait de progresser de front, mais Joachim restait en arrière. Officiellement, il conservait un œil sur Kalinda. Officieusement, il se remettait de sa confrontation avec la dragonne, et il n’était d’humeur à essuyer ni les commentaires de Pierre ni ceux de Kalinda. Que Sylfinata ait réussi à percer ses défenses le perturbait. À présent, elle savait pratiquement tout de lui. Il y avait si longtemps qu’il camouflait ses blessures, qu’il ne tenait pas à ce qu’Aëlwenn apprenne que certaines demeuraient toujours aussi vives. Son seul espoir résidait dans la discrétion de la dragonne, éventualité peu crédible connaissant les trésors de persuasion de la Fée de Noël. Joachim rongeait également son frein pour ne pas rap
Voletant au-dessus des arbres, Némor les guidait. L’épaisseur de la végétation interdisait de progresser en ligne droite, et Joachim peinait à se frayer un chemin avec ses entraves. Il redoutait de tomber sur une créature agressive sans pouvoir se défendre. Ils traversèrent heureusement la jungle sans encombre. Après une marche éprouvante, le terre-plein rocheux qui délimitait l’accès à la première grotte apparut entre les branchages. L’impression de Joachim d’être livré délibérément se renforça. Sylfinata ne pouvait ignorer ce qui se passait, et cette idée le minait. Il se sentait rejeté de Féérie, tout comme lorsqu’il avait appris le mensonge concernant la disparition des Mages Blancs. Affecté, il monta la rampe de pierre d’une démarche raide. Dotée d’un dispositif lumineux, Némor le devança pour éclairer la galerie qui s’ouvrait dans la roche. Joachim savait qu’Anaël et Pierre peineraient davantage pou
L’image de la Montagne Blanche les avait longtemps accompagnés, de moins en moins distincte, de plus en plus petite. À présent, elle avait totalement disparu. Cela faisait dix jours qu’ils marchaient, dont trois qu’ils foulaient le territoire des Ombres Noires. Joachim allait devant, suivant docilement les directives de Kalinda. Au début, la jeune femme ne relâchait que rarement sa surveillance. Malgré le sort relié à ses entraves, elle redoutait l’esprit retors de son prisonnier. Savoir qu’il était responsable de l’échec de l’invasion de Féérie par les siens l’armait de méfiance. Elle éprouvait une immense fierté de l’avoir capturé, mais elle n’était pas suffisamment orgueilleuse pour ne pas se douter que les circonstances l’avaient grandement aidée. Bien qu’affichant l’air nonchalant d’un beau parleur friand de mondanités, Joachim était loin d’être un adversaire inoffensif. Néanmoins, à aucun moment depuis son interve
Devant lui, Némor terminait de dégager un passage qui menait à une croûte de boue sèche plantée de troncs dépourvus de branchages. Oubliant un instant l’enjeu de la discussion, Joachim regagna la terre ferme en poussant un soupir de plaisir. Faute de trouver un sol solide, ils crapahutaient sans discontinuer dans les marais depuis le matin. Ses poignets liés le pénalisaient et il commençait sérieusement à ressentir la fatigue. Une fois sur la butte, décidé à obtenir une réponse avant de poursuivre ses efforts, il se retourna pour faire face à Kalinda : — Si tu m’avais laissé filer tout droit, nous aurions touché l’un de ses îlots bien plus rapidement. Cela t’amuse peut-être de m’obliger à avancer à l’aveugle, mais je suis fatigué. Alors, il serait sans doute temps de me dire exactement ce qu’il y a dans l’eau. Parce que sans cela, je ne ferai pas un pas de plus.  
Quelques minutes plus tard, Joachim pataugeait devant elle dans l’eau noire jusqu’à mi-mollet. Il se déplaçait en essayant de faire peu de bruit, et elle le suivait en guettant avec anxiété les remous qui se formaient sous ses pas. Pour une raison indéterminée, une fois la saison de l’accouplement terminée, les sirènes de vase ne s’en prenaient toujours qu’aux mâles des autres espèces, qu’elles dépeçaient pour nourrir leurs petits. Elles se détournaient systématiquement des femelles, à moins d’être obligées de les combattre. Ne se sentant pas directement menacée, Kalinda déployait toute son attention à veiller sur la progression de Joachim. Elle le vit gagner le premier îlot avec soulagement. — Marche le plus longtemps possible sur la terre ferme, le guida-t-elle. Tandis pis si pour cela tu dévies un peu de la ligne droite. Aide-toi des troncs couchés pour passer d’île en île, et évite de remu
Le terrain humide cédait progressivement la place à des îlots envahis d’herbes hautes. Cheminer devenait plus aisé, ce qui ne rendait pas leur progression plus joyeuse. Depuis leur mésaventure avec les sirènes de vase, survenue trois jours plus tôt, Kalinda refusait farouchement de revenir sur cet épisode. Elle voyait là une atteinte à son autorité. Le fait que Joachim ait agi pour l’aider à reprendre pied lui interdisait de le vouer aux gémonies, mais il était hors de question qu’elle le félicite pour cet acte. À la décharge du Mage Blanc, elle reconnaissait qu’il ne tentait pas d’abuser de la situation. Conséquence d’autant plus fâcheuse, qu’elle aurait aimé avoir une bonne raison pour le punir de son baiser volé. Baisé qui, en l’occurrence, la gênait exclusivement à cause du trouble suscité par le contact de ses lèvres alors qu’elle aurait dû se sentir outrée par l’acte lui-même. &n
Némor les rejoignit alors qu’ils atteignaient le sommet d’une butte qui marquait le début d’une série de collines couvertes de buissons hauts. La chauve-souris rentrait bredouille, et la modification du paysage interdisait à la jeune femme de lui demander de réitérer ses efforts. L’étroit sentier se transformait en large chemin de terre, où subsistaient des traces de chariots encore fraîches. Ils approchaient de la civilisation, et celle-ci était dangereuse pour Joachim. Kalinda renvoya aussitôt Némor en éclaireuse. Poursuivant leur route, les deux marcheurs se contentèrent de grappiller des fruits mûrs sur les groseilliers qui poussaient au bord du chemin. Depuis leur dernière discussion, un silence tendu régnait entre eux, et ils mangèrent du bout des lèvres. Ils accédaient à un bosquet plus épais lorsque Némor réapparut pour cliqueter au-dessus de leurs têtes. La jeune femme traduisit à Joachim les informations que celle-c
Une heure plus tard, Joachim barbotait dans un grand baquet de bois rempli d’eau tiède. Un simple rideau l’isolait du reste de la chambre, et il entendait Kalinda vaquer de l’autre côté. Exceptionnellement, la jeune femme avait accepté de lui retirer ses menottes pour qu’il puisse se déshabiller. Ne plus être entravé par les bracelets de fer lui donnait l’illusion d’une liberté, qui s’évanouissait chaque fois que ses yeux se posaient sur Némor. Perchée sur le haut de l’armoire, la chauve-souris l’observait avec une acuité presque gênante. Kalinda avait été la première à se décrasser, et l’établissement étant ce qu’il était, il devait se contenter de l’eau de son bain pour ses ablutions. Mais après la marche forcée qu’il venait de vivre, il aurait consenti à bien moins pour retrouver une peau et une chevelure propres. Rassemblant cette dernière pour la tordre, il sortit de l’eau pour se s
Joachim détestait devoir s’enfuir, mais privé de ses pouvoirs, il devait admettre qu’il ne faisait que la gêner. Rageant contre son inutilité, il fila le long de la barre rocheuse. Il évitait de trop s’approcher du bord de la crevasse qui déroulait un sol uniformément plat à perte de vue. S’il voulait aider Kalinda, il devait d’abord trouver un endroit où se dissimuler. Le sable ralentissait sa course, mais il atteignit un amoncellement de gros rochers sans être inquiété. Derrière lui, les explosions, les cris et les imprécations se multipliaient. Tant que le combat se poursuivait, il avait une chance de tirer la jeune femme de ce mauvais pas. Demeurant à couvert, il escalada une petite butte en espérant avoir un meilleur point de vue sur la bataille. Arrivé en haut, il se retourna. Kalinda parvenait encore à faire front à ses adversaires. Elle reculait toutefois de plus en plus contre la mura
Ils déambulaient entre les parois abruptes, lorsque Joachim ralentit pour l’interpeller : — Je suppose que tu vas dévoiler l’existence de Sylfinata. — Non. — C’est bien. — C’est bien ? Juste ça ? Étonné, il la dévisagea. — Qu’attendais-tu que je te dise ? — Je ne sais pas, moi : félicitations ; tu me surprends ; je suis fier de toi , énuméra-t-elle, sans parvenir à cacher sa déception. Elle devenait pathétique, et elle souhaita qu’il poursuive sa route en l’ignorant. Mais il conservait son regard posé sur son profil, et une chaleur embarrassante enflamma les joues de la jeune femme. Ce fut le moment qu’il choisit pour répondre : — Félicitations ; tu me surprends ; je
Passé maître dans l’art de la guerre, Joachim aurait pu profiter du sommeil de Kalinda pour neutraliser Némor et tenter de s’enfuir. La chauve-souris avait beau être rapide, elle ne possédait pas l’efficacité des menottes. Mais le risque de tomber entre des mains moins caressantes, joint à l’obscur besoin de ne pas décevoir sa geôlière l’arrêtaient. Il tenait donc sa parole en gardant la jeune femme endormie blottie contre lui. Il aurait pu tout aussi bien lui briser le cou. Partager une étreinte ne rendait pas un ennemi plus doux. C’était même une manière redoutable de tromper sa confiance. Une imprudence contre laquelle il se promit de mettre en garde la jeune femme au bout de leur périple. Ce serait son dernier cadeau. Quoique l’idée qu’elle puisse être défaite si facilement le heurtait moins que celle qu’elle se donne ainsi à un autre. Une constatation qui l’obligeait à une conclusion déra
Une heure plus tard, Joachim barbotait dans un grand baquet de bois rempli d’eau tiède. Un simple rideau l’isolait du reste de la chambre, et il entendait Kalinda vaquer de l’autre côté. Exceptionnellement, la jeune femme avait accepté de lui retirer ses menottes pour qu’il puisse se déshabiller. Ne plus être entravé par les bracelets de fer lui donnait l’illusion d’une liberté, qui s’évanouissait chaque fois que ses yeux se posaient sur Némor. Perchée sur le haut de l’armoire, la chauve-souris l’observait avec une acuité presque gênante. Kalinda avait été la première à se décrasser, et l’établissement étant ce qu’il était, il devait se contenter de l’eau de son bain pour ses ablutions. Mais après la marche forcée qu’il venait de vivre, il aurait consenti à bien moins pour retrouver une peau et une chevelure propres. Rassemblant cette dernière pour la tordre, il sortit de l’eau pour se s
Némor les rejoignit alors qu’ils atteignaient le sommet d’une butte qui marquait le début d’une série de collines couvertes de buissons hauts. La chauve-souris rentrait bredouille, et la modification du paysage interdisait à la jeune femme de lui demander de réitérer ses efforts. L’étroit sentier se transformait en large chemin de terre, où subsistaient des traces de chariots encore fraîches. Ils approchaient de la civilisation, et celle-ci était dangereuse pour Joachim. Kalinda renvoya aussitôt Némor en éclaireuse. Poursuivant leur route, les deux marcheurs se contentèrent de grappiller des fruits mûrs sur les groseilliers qui poussaient au bord du chemin. Depuis leur dernière discussion, un silence tendu régnait entre eux, et ils mangèrent du bout des lèvres. Ils accédaient à un bosquet plus épais lorsque Némor réapparut pour cliqueter au-dessus de leurs têtes. La jeune femme traduisit à Joachim les informations que celle-c
Le terrain humide cédait progressivement la place à des îlots envahis d’herbes hautes. Cheminer devenait plus aisé, ce qui ne rendait pas leur progression plus joyeuse. Depuis leur mésaventure avec les sirènes de vase, survenue trois jours plus tôt, Kalinda refusait farouchement de revenir sur cet épisode. Elle voyait là une atteinte à son autorité. Le fait que Joachim ait agi pour l’aider à reprendre pied lui interdisait de le vouer aux gémonies, mais il était hors de question qu’elle le félicite pour cet acte. À la décharge du Mage Blanc, elle reconnaissait qu’il ne tentait pas d’abuser de la situation. Conséquence d’autant plus fâcheuse, qu’elle aurait aimé avoir une bonne raison pour le punir de son baiser volé. Baisé qui, en l’occurrence, la gênait exclusivement à cause du trouble suscité par le contact de ses lèvres alors qu’elle aurait dû se sentir outrée par l’acte lui-même. &n
Quelques minutes plus tard, Joachim pataugeait devant elle dans l’eau noire jusqu’à mi-mollet. Il se déplaçait en essayant de faire peu de bruit, et elle le suivait en guettant avec anxiété les remous qui se formaient sous ses pas. Pour une raison indéterminée, une fois la saison de l’accouplement terminée, les sirènes de vase ne s’en prenaient toujours qu’aux mâles des autres espèces, qu’elles dépeçaient pour nourrir leurs petits. Elles se détournaient systématiquement des femelles, à moins d’être obligées de les combattre. Ne se sentant pas directement menacée, Kalinda déployait toute son attention à veiller sur la progression de Joachim. Elle le vit gagner le premier îlot avec soulagement. — Marche le plus longtemps possible sur la terre ferme, le guida-t-elle. Tandis pis si pour cela tu dévies un peu de la ligne droite. Aide-toi des troncs couchés pour passer d’île en île, et évite de remu
Devant lui, Némor terminait de dégager un passage qui menait à une croûte de boue sèche plantée de troncs dépourvus de branchages. Oubliant un instant l’enjeu de la discussion, Joachim regagna la terre ferme en poussant un soupir de plaisir. Faute de trouver un sol solide, ils crapahutaient sans discontinuer dans les marais depuis le matin. Ses poignets liés le pénalisaient et il commençait sérieusement à ressentir la fatigue. Une fois sur la butte, décidé à obtenir une réponse avant de poursuivre ses efforts, il se retourna pour faire face à Kalinda : — Si tu m’avais laissé filer tout droit, nous aurions touché l’un de ses îlots bien plus rapidement. Cela t’amuse peut-être de m’obliger à avancer à l’aveugle, mais je suis fatigué. Alors, il serait sans doute temps de me dire exactement ce qu’il y a dans l’eau. Parce que sans cela, je ne ferai pas un pas de plus.  
L’image de la Montagne Blanche les avait longtemps accompagnés, de moins en moins distincte, de plus en plus petite. À présent, elle avait totalement disparu. Cela faisait dix jours qu’ils marchaient, dont trois qu’ils foulaient le territoire des Ombres Noires. Joachim allait devant, suivant docilement les directives de Kalinda. Au début, la jeune femme ne relâchait que rarement sa surveillance. Malgré le sort relié à ses entraves, elle redoutait l’esprit retors de son prisonnier. Savoir qu’il était responsable de l’échec de l’invasion de Féérie par les siens l’armait de méfiance. Elle éprouvait une immense fierté de l’avoir capturé, mais elle n’était pas suffisamment orgueilleuse pour ne pas se douter que les circonstances l’avaient grandement aidée. Bien qu’affichant l’air nonchalant d’un beau parleur friand de mondanités, Joachim était loin d’être un adversaire inoffensif. Néanmoins, à aucun moment depuis son interve